Le Haut Conseil à l'Égalité publie un rapport incendiaire (et très critiqué) sur la pornographie

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Le Haut Conseil à l'Égalité publie un rapport incendiaire (et très critiqué) sur la pornographie

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Logo du site "Pornhub", l'un des principales plateformes de contenus pornographiques dans le monde
Logo du site "Pornhub", l'un des principales plateformes de contenus pornographiques dans le monde
© Radio France - Olivier Bénis

Dans une synthèse publiée ce mercredi, le HCE passe au crible quatre plateformes pornographiques, où les femmes sont "caricaturées des pires stéréotypes", subissant des traitements "contraires à la dignité humaine et à la loi". Des professionnelles dénoncent elles un rapport orienté et caricatural.

Les mots sont crus et particulièrement durs : difficile de lire la synthèse du rapport du Haut Conseil à l'Égalité sur la "pornocriminalité" sans être choqué par tout ce qui y est écrit. "Dans l’industrie pornographique, des femmes et des filles sont massivement victimes de violences physiques et sexuelles. Les femmes, caricaturées des pires stéréotypes sexistes et racistes, sont humiliées, objectifiées, déshumanisées, violentées, torturées, subissant des traitements contraires à la fois à la dignité humaine et… à la loi française", dénonce le HCE, qui précise avoir "mené une étude sur les quatre principales plateformes pornographiques (Pornhub, XVideos, Xnxx, Xhamster) qui comptent des millions de vidéos et sur lesquelles les femmes sont classées par catégories et par mots-clés".

Parmi ce torrent de vidéos, le HCE assure que "1,4 million" propose "des pratiques sadiques" qu'elle détaille ; leur "modèle économique étant la monétisation du trafic, les vidéos rivalisent de pratiques les plus violentes, les plus dégradantes possibles". "Tous ces actes, par la cruauté et la souffrance engendrée, ont des répercussions réelles sur la santé physique et mentale des personnes qui les subissent, et répondent pour certains à la définition juridique des actes de torture et de barbarie." Le rapport estime même à "90 %" la proportion de "contenus pornographiques contenant de la violence physique ou verbale, donc pénalement répréhensibles". Il souhaite ainsi "déconstruire le mythe d'une pornographie « fun », « cool », synonyme de « libération sexuelle »".

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"Un déni sociétal" sur la "pornocriminalité"

Plus largement, il accuse l'industrie de la pornographie, de ses producteurs à ses acteurs et actrices, d'être "illégale" dans presque toutes ses composantes : contrats de travail illégaux, car "on ne peut pas consentir à sa propre torture, à sa propre humiliation" ; séquences illégales de "violences physiques et sexuelles" ; illégalité des "discours pornographiques" de "provocation à la haine misogyne, raciste et LGBTphobe" ; illégalité d'une pornographie qui "diffuse et facilite la pédocriminalité", méprise "la protection des mineurs" ("la consommation massive dès le plus jeune âge renforce la culture du viol, banalise et augmente la violence sexuelle"), et diffuse de manière "illimitée" des contenus à caractère sexuel mettant en scène des femmes "revictimisées sans fin".

Le rapport dénonce également les "moyens considérables" de l'industrie pornographique pour "se soustraire au droit", mais aussi un "déni sociétal partagé par les acteurs et actrices institutionnel·les, censé·es agir et qui restent dans l’inaction, voire la complaisance oubliant les principes du droit français qui soutiennent notre contrat social".

Reprenant les préconisations du Sénat en 2021, le Haut Conseil à l'Égalité "demande que la politique pénale ait pour priorité la lutte contre la pornocriminalité et la poursuite des sites et plateformes dans l’illégalité", ainsi que la création d'une "nouvelle infraction générique d’exploitation sexuelle qui intégrerait les nouvelles formes de cyber-proxénétisme", et "l'extension du pouvoir de retrait et de blocage de Pharos à toutes les atteintes volontaires à l’intégrité d’une personne". Il conclut : "Le discours pornographique est incompatible avec la lutte contre les violences sexistes et sexuelles et avec l’émancipation sexuelle de tous et toutes."

Se basant notamment sur le rapport du HCE, la ministre déléguée chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes Bérangère Couillard appelle  dans une tribune publiée ce dimanche à "mettre fin à la violence et à la barbarie dans la pornographie". "Derrière ces images, il y a des femmes qui souffrent", écrit-elle dans le Journal du Dimanche. "Je refuse d'accepter cet état de fait."

Un rapport orienté, dénoncent des travailleur·se·s du sexe

Au-delà de l'industrie de la pornographie vilipendée dans le rapport, le texte du HCE a suscité une large indignation de professionnels indépendants, travailleuses et travailleurs du sexe, sur les réseaux sociaux. Ils y dénoncent une étude réalisée exclusivement à charge, et surtout sans tenir compte de leur avis. "Ce rapport est une honte à tous les niveaux", explique ainsi une chercheuse sur la consommation porno des ados sur X/Twitter. "Non-consultation des travailleur·se·s du sexe, éviction des chercheurs n'allant pas dans leur sens, invisibilisation des travaux n'allant pas dans leur sens... Il ne s'agit pas d'une synthèse des savoirs, mais un rapport ne mobilisant QUE les travaux leur permettant d'appuyer leur abolitionnisme."

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La journaliste Carmina, rédactrice en chef du site spécialisé "Le Tag Parfait", s'indigne elle d'être citée dans le rapport (elle avait été précédemment auditionnée par le Sénat) tout en voyant ses propos caricaturés. "Je suis outrée par les propos tenus à mon égard", explique-t-elle. "Qu'on ne soit pas d'accord avec moi, soit. Mais qu'on utilise ce ton plus qu'ironique et qu'on parle de feminism washing [le fait de se présenter faussement comme féministe, NDLR] en détournant mes propres mots, c'est révoltant."

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Le rapport fait réagir au-delà des sphères du X : deux chercheurs ont  publié ce mercredi une tribune dans Mediapart s'inquiétant d'une "dérive autoritaire" du Haut Conseil à l'Égalité, dont l'un d'eux avait été membre avant de démissionner. Le sociologue Sébastien Chauvin annonce de son côté avoir lui aussi démissionné du HCE ce mercredi, suite à la publication du fameux rapport : il explique avoir été le seul au sein de l'institution à avoir voté contre.

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"Dans la liste des personnes auditionnées, il n'y a pas une seule actrice"

La comédienne Nikita Bellucci  ironise de son côté : "Je vais faire des films porno gratuits, sur la base du volontariat, comme ça je ne serai pas taxée de marchandiser mon corps." D'autres peinent à sourire sur le sujet. "C'est horrible. En lisant le rapport, j'ai pleuré", raconte à France Inter Lulla Byebye, actrice porno. "Ils veulent retirer aux actrices pornographiques la capacité à consentir. On nous traite comme des enfants, on considère qu'on ne peut pas consentir. Or la notion de consentement, c'est ce qui permet aussi de dire non !"

"Ils veulent considérer que tout tournage est illégal, et que ce soit assimilé à du proxénétisme, pour dire ensuite que le consentement est nul", regrette-t-elle. "Ce qui m'a choqué aussi, c'est la violence des mots employés. Moi j'ai retenu le terme de "poupée gonflable" [pour désigner les actrices, NDLR]. C'est la manière dont les personnes qui ont écrit ce rapport voient les actrices porno, et c'est extrêmement stigmatisant. À la fin du rapport, il y a la liste des personnes auditionnées : il n'y a pas une seule actrice. Nos avis ne sont pas pris en compte. Or ils disent que leur position est de se mettre à la place des personnes concernées ! Pour ça, il faudrait écouter ces personnes."

Si l'actrice ne nie pas l'existence de violences sexuelles dans le milieu du porno, elle dénonce leur instrumentalisation : "Il y a eu des plaintes, depuis plusieurs années, qui ne sont pas prises au sérieux par la police et la justice. Je soutiens à fond les personnes qui dénoncent les violences, mais la récupération politique et parfois médiatique de ces violences, je la trouve problématique. Dire que tout est nécessairement de la violence dans le porno, ça me pose problème. Ça participe d'un processus réactionnaire plus global contre le planning familial, contre le droit à l'avortement, contre les droits LGBT... Quand des féministes veulent nier la capacité à consentir de certaines femmes en raison de leur sexualité, c'est une logique qui ne va pas dans le sens de l'égalité."

"L'interdiction conduira à produire dans des conditions dégradées"

Pour la maîtresse de conférence en droit privé Mélanie Jaoul (également  présidente de l'Association des alliés et alliées de TDS), le rapport contient surtout "beaucoup d’approximations" juridiques, notamment sur la légalité des contrats de travail. "Les acteurs et actrices sont des… acteurs quand bien même ils réalisent des 'actes sexuels non simulés'", explique-t-elle. "À ce titre, ils doivent signer un contrat de travail. Le parallèle peut être fait avec les jurisprudences relatives aux émissions de téléréalité, notamment. Non, le contrat n’est pas nul dans la majorité des cas et la liberté sexuelle des acteurs et actrices, de même que leurs droits sociaux, devraient être au cœur des réflexions du HCE. Assurer le respect du contrat de travail et de ses conséquences permettra de lutter efficacement contre les abus qui existent !"

Pour la spécialiste, les propositions du HCE risquent d'être contre-productives face à des dérives bien réelles. "Il est essentiel de lutter contre les violences que subissent les actrices et les acteurs porno. Ces derniers se battent depuis des années en ce sens, notamment en tentant d’obtenir des sanctions sur le plan pénal et l’application du droit du travail. Mais là où le HCE prône l’illusoire interdiction – laquelle conduira à produire hors du territoire (ou dans des conditions dégradées en France) et diffuser depuis l’étranger (les processus d’empêchement prévus pouvant être facilement contournés) – nous pensons qu’il faut au contraire encadrer, notamment avec des coordonnateurs d’intimités professionnels et indépendants, le pouvoir de contrôle de la médecine du travail, l’organisation syndicale de la profession et pourquoi pas la signature d’une convention collective spécifique à la profession."

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