« On a très peur, ça nous a rappelé Samuel Paty ! » : l’appel à l’aide d’un collège des Yvelines

Les enseignants du collège Cartier, à Issou (Yvelines), ont exercé leur droit de retrait, ce 8 décembre 2023. Une prof a été diffamée après avoir montré une œuvre de femmes nues.

La statue de Christophe Colomb plantée à la sortie du collège Jacques-Quartier, à Issou (Yvelines), a été
La statue de Christophe Colomb, plantée à la sortie du collège Jacques-Cartier, à Issou (Yvelines), a été « habillée » pour exprimer la détresse qui habite l’équipe pédagogique et le personnel de l’établissement scolaire. ©David Goudey
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« On a très peur pour notre collègue, ça nous a rappelé Samuel Paty ! » Le collège Jacques-Cartier, à Issou (Yvelines), est plongé dans « l’angoisse » depuis le jeudi 7 décembre 2023. À un point tel que les enseignants ont exercé leur droit de retrait et informé, dès le soir même, les collégiens et leurs familles qu’ils n’assureraient pas une heure de cours le lendemain. Que s’est-il passé ?

Jeudi 7 décembre 2023, dans le cadre d’un cours portant sur l’art, une professeure de français a présenté à une classe de 6e une œuvre de Giuseppe Cesari, alias Le Cavalier d’Arpin. Diane et Actéon, peint au début du XVIIe siècle, figure cinq femmes entièrement nues.

Des élèves ont détourné le regard, offusqués par un tel spectacle, contraire à leurs convictions. À la sortie du cours, des rumeurs ont commencé à circuler. L’enseignante aurait tenu pendant son exposé des propos racistes et interrogé des élèves de confession musulmane pour les mettre mal à l’aise.

Diane et Actéon
1600 / 1625 (1e quart du XVIIe siècle)
Cavalier d'Arpin (Giuseppe Cesari, dit Il Cavalier d'Arpino, ou Le)
Italie, École de
« Diane et Actéon » est l’œuvre qui a été présentée à une classe de 6e du collège Jacques-Cartier, à Issou (Yvelines). ©Musée du Louvre

Le débat s’est poursuivi l’heure suivante en vie de classe, avec leur professeure principale. « Il y a eu des réactions extrêmement fortes. » Les discussions, pourtant, ont vite établi que le discours prêté à l’enseignante de français relevait de « la diffamation ».

« Elle n’a jamais dit ça, mais le mal est fait. Nous avons affaire à quelques parents vindicatifs, qui préfèrent croire la parole de leurs enfants plutôt que la nôtre. Notre collègue a besoin d’être protégé. Il faut la protéger ! »

Une enseignante du collège Jacques-Cartier

Les alertes du chef d’établissement sans réponse

L’épisode, « extrêmement grave », n’est que le premier d’une longue liste depuis la rentrée dans l’établissement yvelinois, fréquenté par 656 élèves. Depuis le mois d’octobre, au moins quatorze faits dits « d’établissement » (atteintes à la laïcité, aux personnes, à la sécurité ou aux biens, racisme…) ont déjà été recensés, contre trois seulement sur toute l’année scolaire 2022/2023. 

Dans un courrier adressé le 1er décembre 2023 au directeur académique adjoint des services de l’Éducation nationale, et que nous avons pu consulter, il est notamment fait mention « de multiples dénonciations calomnieuses et faits de diffamation de la part d’élèves et de parents d’élèves envers des personnels (…) accusés de propos injurieux, d’insultes et de menaces envers des élèves », et même « d’agression sexuelle ou encore de non-assistance à personne en danger ».

Les revendications et les inquéitudes du personnel du collège Jacques-Cartier, à Issou (Yvelines), sont nombreuses.
Les revendications et les inquiétudes du personnel du collège Jacques-Cartier, à Issou (Yvelines), sont nombreuses. ©David Goudey

Harcèlement scolaire

Cette lettre « d’alerte » pointe également « des remises en cause quotidiennes des pratiques pédagogiques avec contestation de plus en plus systématique des réponses apportées et de la notation », mais aussi « des situations de mal-être d’élèves qui explosent en raison d’insultes, de menaces, de violences physiques, de traitements dégradants ou humiliants ».

« La parole s’est libérée avec le sondage sur le harcèlement scolaire décidé par le ministre. Mais on n’a pas les moyens de gérer seuls ces situations, alors qu’il y a des urgences qui ont besoin de réponses immédiates. »

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Plus précise, la correspondance du principal à sa hiérarchie évoque enfin « un courrier de menaces de mort et de viol circulant entre élèves, des bagarres… » À ce jour, « cet appel à l’aide » n’a toujours eu aucune réponse.

Un collège en pleine « détresse » et manquant de moyens

Un mouchoir dans une main, un téléphone adressant un SOS dans l’autre, et une larme à l’œil. Le visage inhabituel et saisissant de la statue de métal de Christophe Colomb plantée à la sortie du collège, en ce matin du 8 décembre 2023, résumait, à lui seul, le sentiment qui traverse l’ensemble de l’équipe pédagogique, « soudée, heureusement ! », et au-delà la totalité du personnel. Il y a là « une énorme détresse », et l’impression « d’être abandonné par le rectorat ».

Comment en est-on arrivé là ? « On manque de tout, d’AESH (accompagnant des élèves en situation de handicap), d’AED (assistants d’éducation), d’au moins une conseillère principale d’éducation à plein temps (à 80 % actuellement) », souligne une enseignante, au bord des larmes.

« Il n’y a pas un jour sans que je retrouve une collègue en pleurs en salle des profs, pas un jour sans un acte d’incivilité. On est à bout, épuisé. »

Une professeure du collège Jacques-Cartier
Enseignants et personnels du collège Jacques-Cartier, à Issou (Yvelines) veulent des réponses à leurs appels à l'aide.
Enseignants et personnels du collège Jacques-Cartier, à Issou (Yvelines) veulent des réponses à leurs appels à l’aide. ©David Goudey

« Une dégradation à la vitesse grand V »

Cette autre prof, présente depuis plus de deux décennies dans l’établissement, décrit « une bascule progressive, année après année », « une dégradation à la vitesse grand V », et des « des élèves sans filtre », confortés par « le prof bashing » et le discours de leurs parents (« L’enfant roi », résume-t-elle). « La dernière promotion de 6e » semblerait incarner ce glissement. « On ne veut pas prendre nos élèves en otage, on les aime, mais on a vraiment besoin d’aide et de moyens supplémentaires pour faire face à cette situation. »

Depuis ce matin, plusieurs posts ont été publiés sur X (ex-Twitter) et Instagram pour donner de la visibilité à la mobilisation et, surtout, interpeller l’institution. Le ministre Gabriel Attal, tagué presque à chaque fois, y répondra-t-il ?

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