Une agence Pôle emploi de Montpellier, le 3 janvier 2019

Selon Bruno Le Maire, 800 000 emplois pourraient être supprimés dans les mois à venir. (illustration)

afp.com/PASCAL GUYOT

"Notre pays va connaître des faillites et des plans sociaux multiples en raison de l'arrêt de l'économie mondiale". Le 14 juin dernier, lors d'une allocution télévisée, Emmanuel Macron se voulait totalement transparent envers les Français, promettant de "tout faire pour éviter au maximum les licenciements". Mais le chef de l'État l'a confirmé, dans une interview à la presse régionale, le 2 juillet : "La rentrée sera très dure, et il faut s'y préparer".

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Le coronavirus pourrait entraîner "un choc considérable" sur le front de l'emploi lors de la rentrée prochaine, abondait Bruno Le Maire, début juin, assurant que "800 000 emplois" pourraient être supprimés dans les mois à venir, soit "2,8% de l'emploi total". Contraction du PIB de plus de 11%, déficit supérieur à 250 milliards d'euros en fin d'année, taux de chômage estimé à plus de 10% fin 2020... Après l'euphorie liée au déconfinement et le flou de la période estivale, la rentrée de septembre s'annonce plus que complexe, et cristallise les inquiétudes.

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Les économistes interrogés par L'Express sont unanimes : "Il y aura de la casse, des entreprises qui ferment, des contraintes sur celles qui peuvent encore fonctionner, et des conséquences en termes d'emploi et de salaire", indique à L'Express Eric Chaney, conseiller économique à l'Institut Montaigne. "Si le pire de la crise économique est derrière nous, la crise sociale, elle, ne fait que commencer... Et tout ceci va se confirmer à la fin de l'été", prévient-il.

"Effet gueule de bois"

Les petites et moyennes entreprises, premières victimes de l'arrêt de l'économie, risquent de vivre une fin d'année "compliquée", confirme Mathieu Plane, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Depuis la mi-mars, l'organisme estime la perte d'activité des entreprises à plus de 165 milliards d'euros. "C'est colossal", souligne le spécialiste, rappelant que, malgré les aides de l'État, "50 milliards d'euros restent à éponger" pour les sociétés.

"En septembre, beaucoup d'entreprises vont se retrouver avec une sorte d'effet gueule de bois", image l'économiste. "Elles auront survécu, mais il y aura une accumulation des pertes d'exploitation, des niveaux d'activité qui risquent de ne pas revenir au niveau d'avant-crise, et des coûts d'exploitation supplémentaires dus à la réorganisation du travail", prévient-il. "Beaucoup se retrouveront coincés, avec une montagne de dettes fiscales et bancaires, et la facture qui arrive. Il y aura des faillites, c'est inévitable".

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Selon Eric Chaney, les secteurs les plus touchés sont d'ores et déjà identifiables : le tourisme, les hôtels, les restaurants, les petits commerces, les transports, mais aussi les artisans et les indépendants, le milieu du spectacle et toutes les activités "liées au loisir" seront en première ligne. "Les aides de l'État finiront bien par se tarir, puisqu'on ne peut pas éternellement financer le chômage partiel", déplore l'économiste. "Ajoutez à tout cela le risque d'un rebond de l'épidémie, qui refroidit les entreprises à embaucher ou investir, et vous aurez un scénario plutôt sombre", craint Mathieu Plane, peu optimiste. "Les conséquences en termes d'emploi seront catastrophiques, et en particulier pour les jeunes".

L'emploi des jeunes, "réel point noir" de la crise

Alors que les 25-35 ans ont été les personnes les moins exposées au risque de Covid-19, elles sont paradoxalement les premières victimes économiques de la crise. "L'immense majorité des salariés recrutés en CDD, intérim ou contrats précaires sont des jeunes. Et ce sont les premiers postes sacrifiés par les entreprises en cas de crise", rappelle Mathieu Plane. Les chiffres de l'OFCE donnent le vertige : en trois mois de confinement, 900 000 chômeurs de plus ont été inscrits en catégorie A. "En comparaison, lors de la crise financière de 2008, ils étaient 200 000. Et c'était déjà très inquiétant", souligne l'économiste.

Alors qu'entre 700 000 et 900 000 jeunes diplômés arriveront sur le marché du travail en septembre prochain, leur situation "reste le réel point noir de cette crise", explique Eric Chaney. "Il est très probable que l'entrée sur le marché, pour ces jeunes, soit décalée de six mois à un an". Puisque les emplois saisonniers ne seront pas reconduits, et que les entreprises "opteront très certainement pour un gel des embauches", Mathieu Plane craint un phénomène de "générations sacrifiées". "Il sera très compliqué d'obtenir des emplois de longue durée, y compris pour les secteurs les plus qualifiés. On ne parle pas ici que des 'décrocheurs' ou des jeunes peu diplômés", rappelle-t-il.

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Au-delà des jeunes, et contrairement à d'autres crises, "toutes les fonctions" sont aujourd'hui touchées par le risque de chômage, ajoute Mathieu Plane. "Nous devrons faire face à de vastes plans de suppressions d'emploi, dans tous les secteurs", avertit-il. Et les professions les plus menacées ne sont pas forcément les moins qualifiées. "Nous nous sommes rendu compte durant la crise que le paramédical ou la grande distribution, par exemple, sont indispensables", explique l'économiste. "À l'inverse, les emplois intermédiaires dans les grands groupes, d'habitude plutôt épargnés par la crise, sont menacés, puisqu'ils pourraient permettre de faire des économies". Pour Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, il est ainsi "urgent d'agir". "On entre seulement dans la seconde phase de cette crise, celle de l'action. Il faut réagir tout de suite, et sécuriser de manière urgente les jeunes et les entreprises", martèle-t-il.

"Il faut désormais que les bonnes décisions soient prises"

Pour stimuler l'emploi des jeunes, l'économiste préconise une "politique très rigoureuse", basée sur une aide de l'État aux entreprises permettant l'embauche d'apprentis ou de contrats courts, et privilégiant la formation. "Si on délaisse la jeunesse, nous aurons une préoccupation sociale majeure, qui sera extrêmement problématique à long terme", tient-il à signaler.

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Les ménages, eux aussi, "ont un rôle majeur à jouer", précise Eric Chaney. Alors que les Français ont épargné 75 milliards d'euros durant le confinement, l'économiste préconise de "dégonfler cette épargne de précaution", en calquant par exemple le modèle allemand de baisse de la TVA. "Ce pourrait être une mesure temporaire et transitoire, qui permettrait d'aider à la fois les secteurs visés et le consommateur", approuve Mathieu Plane.

En attendant, "il y a du positif", tente de rassurer Eric Chaney. "L'économie peut repartir sur de bonnes bases, nous sommes en train de sortir du trou. Il faut désormais que les bonnes décisions soient prises", estime-t-il. La dernière partie du quinquennat d'Emmanuel Macron "se poursuivra sur l'accompagnement de notre jeunesse, qui a le plus souffert de la crise", indiquait le chef de l'État dans son interview à la presse régionale. "Il y aura des incitations financières à l'embauche et un ensemble de mesures pour ne laisser aucun jeune sans solution", a-t-il promis. Le Premier ministre, de son côté, entend "présenter très rapidement" un plus vaste plan de relance, "en cours de préparation" et qui reposera sur des choix "permettant de reconstruire, de gagner en souveraineté économique, et d'avoir une France plus économe du point de vue du respect de l'environnement".

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