L'inflation peut-elle s'installer durablement dans le paysage ?

"L'inflation de la zone euro peut devenir incontrôlable", estime l'économiste.

L'Express/Julien mattia/Thomas Lohnes et Pool Gettyimages/Afp

Jusqu'à encore récemment, le consensus des experts était relativement optimiste sur l'évolution de l'inflation. Certes, mois après mois, la hausse des prix dans la zone euro s'accélérait pour atteindre 8,1% en mai 2022, mais la plupart des économistes estimaient que cette dérive était provisoire. Logiquement, la hausse des prix allait diminuer progressivement et revenir aux alentours de 2% au début de 2024. Cette vision est encore partagée par une bonne partie des intervenants sur les marchés financiers et par la Banque de France elle-même. Une opinion qui permet de justifier que la Banque centrale européenne ne mène pas du tout une politique de lutte contre l'inflation. Les marchés financiers anticipent que le taux d'intervention de la BCE ne remontera qu'à 1,75% à la fin de 2023, ce qui n'est justifiable que par cette hypothèse de désinflation rapide.

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Malheureusement, la réalité risque d'être très différente. Et le danger est à nos portes. Si l'institution de Francfort persiste à ne pas réagir au coup de chaud actuel, alors l'inflation de la zone euro peut devenir incontrôlable et atteindre des niveaux très élevés. Avec des conséquences inquiétantes sur les finances de l'Etat, la stabilité des marchés immobiliers et la situation financière des ménages.

Pourquoi le pire est encore à venir

Il faut comprendre que la situation européenne est très différente de celle des Etats-Unis. Outre-Atlantique, les salaires se sont très rapidement ajustés à la situation nouvelle d'inflation (ils croissent aujourd'hui de 6% sur un an), et les entreprises ont augmenté leurs prix même plus vite que leurs coûts (les prix de vente des entreprises ont progressé de 7% sur un an). On peut donc penser que l'inflation a atteint son pic (un peu plus de 8%) aux Etats-Unis.

Mais en Europe, le pire est encore à venir et l'inflation est encore "dans le tuyau". Pour trois raisons. D'abord, les entreprises n'ont pas encore répercuté dans leurs prix de vente les hausses en amont de leurs coûts (les prix de vente des entreprises n'ont encore augmenté que de 3%). Ensuite, la grande distribution n'a pas encore répercuté dans les tarifs en magasin la hausse des prix de production de ses fournisseurs. Et enfin, les salaires ont très peu réagi à la valse des étiquettes. Si les revendications salariales s'intensifient, dans la réalité, les rémunérations restent sous contrôle... pour le moment.

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En 2022, la hausse des rémunérations devait être de l'ordre de 3%, avec une inflation aujourd'hui supérieure à 8%. Cette perte de pouvoir d'achat est insupportable : salariés et syndicats vont demander un rattrapage. On voit de plus en plus une accumulation du "turnover" des salariés, qui quittent leur emploi pour obtenir des conditions salariales bien meilleures que ce que leur propose leur ancien employeur. Tout cela se conjugue avec un niveau historiquement élevé des difficultés d'embauche des entreprises. Il n'y a pas, à la différence de ce qu'on voit aux Etats-Unis, de baisse de l'offre de travail, mais il y a dans la zone euro un rejet des emplois pénibles, à horaire atypique. Tout cela va donc conduire à des hausses de salaires nettement plus fortes en 2023 qu'en 2022 dans la zone euro.

Si les hausses de coûts ne sont pas encore passées dans les prix de détail et si l'accélération des salaires est encore à venir, l'inflation de la zone euro n'a donc pas encore atteint son pic.

On peut d'ailleurs faire un rapide calcul. Le prix des importations a augmenté sur un an de 25% dans la zone euro, de 12% aux Etats-Unis. Cela vient du fait que les Etats-Unis n'importent plus de pétrole et de gaz naturel et de ce que l'euro s'est fortement déprécié par rapport au dollar. Compte tenu du poids des importations dans le PIB en Europe, nous pourrions atteindre un pic d'inflation à 11% à la fin de 2022. Un niveau inédit depuis le milieu des années 1970. Or plus la dérive des prix sera forte et durable, plus le risque de perte de contrôle sera élevé.

Dans ce contexte, la BCE ne pourra pas continuer à ne pas réagir sérieusement à l'inflation. Il est totalement impossible que le taux d'intervention de la BCE ne remonte pas au-delà du seuil des 1,75% l'année prochaine si la valse des étiquettes, elle, passe à 2 chiffres. Il faut donc s'attendre à un durcissement progressif et franc de la politique monétaire européenne et en réaction à une augmentation sensible des taux d'intérêt à long terme. On en connaît les conséquences : retour de la contrainte budgétaire pour l'Etat, recul des prix de l'immobilier et des cours boursiers. La fin de l'argent magique en somme.

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