« EmbellirParis » ou l’art de faire prendre les vessies pour des lanternes

« Embellir Paris » à ne pas confondre avec #Embellirvotrequartier (ou la coordination resserrée des chantiers dans un calendrier contraint, faut suivre), est une démarche artistique lancée par la Mairie en 2018.


1. L’art urbain érigé en communication trompeuse

En 2018, Anne Hidalgo, son adjoint à l’urbanisme Jean-Louis Missika et l’adjoint à la culture Christophe Girard lancent l’opération « Embellir Paris ». Objectif ? Transformer et embellir un site dans chacun des 20 arrondissements.

Il ne s’agissait pas moins de “sublimer un peu le quotidien, d’inviter l’art dans ces pans de l’espace public qui sont des « délaissés urbains » ».

Les sites choisis sont en effet sans grand intérêt, voire franchement moches et auraient effectivement  mérité un « embellissement » durable. Mais est-ce bien l’objectif du projet ? PAS DU TOUT.

Il ne s’agit pas d’une amélioration du paysage urbain mais plutôt d’une sorte d’exposition temporaire prévue pour durer de un à cinq ans.

« Embellir Paris » consiste concrètement à proposer à des artistes d’exposer une œuvre aux frais de la ville, d’inviter l’art dans la rue. On est loin de la promesse d’embellissement d’une ville, au mieux une expo à ciel ouvert.

Comme pour n’importe quelle opération de la Mairie de Paris, les moyens seront surtout mis dans la communication et les superlatifs. Débauche de tweets, plan marketing avec logo, site internet dédié, présentation au Pavillon de l’Arsenal : on ne lésine pas avec les flonflons à la mairie, surtout lorsque cela permet de faire travailler les communicants. Nous apprécierons également le laïus répété ad nauseam : “transformer”, “embellir”, “réinventer”, tout cet insupportable jargon qui maquille une mariée souvent à court d’inspiration, dans une ville où la beauté n’avait pas besoin d’être transformée.

#EmbellirParis-le-Parisien

2. Des propositions insipides voire affligeantes

« Embellir Paris » oui, mais à quel prix ? 50 000 euros, c’est l’enveloppe maximale fixée pour chacun des projets. C’est à la fois peu pour vraiment réinventer un lieu sinistré, mais c’est également énorme quand on voit les projets déposés sur le site « Embellir Paris ».

Et ne soyons pas naïfs, lorsqu’on vous dit “enveloppe maximale de 50 000 euros, vous n’allez pas déposer un projet à 500 euros. Donc, comme prévu, quasiment tous ces magnifiques projets atteignent la somme limite fixée par la ville. Cela signifie qu’un million d’euros est investi dans ce programme (hors opérations de communication et fonctionnement administratif pour faire marcher le truc bien entendu). Une paille à l’échelle de Paris diront certains, une gabegie financière de plus, surtout quand on voit à quel point les finances de la ville ne vont pas bien.

#EmbellirParis-délibération-budget

Et quand on voit les propositions de toutes les équipes, c’est déconcertant… Des projets sans ambition, sans aucun lien avec la ville ni même le quartier dans lequel ils s’inscrivent.

C’est même pire que cela, beaucoup d’équipes déposent le même projet dans TOUS les arrondissements. Ce qui démontre bien l’absence totale d’effort à créer un projet unique, un projet qui cherche à embellir la ville durablement, adapté à son environnement direct et aux difficultés du quartier.

3. Une démocratie bafouée

A la mairie de Paris, on adore le participatif. Alors comme pour toute bonne initiative de nos édiles, « Embellir Paris » donnera la parole aux riverains, aux parisiens pour qu’ils puissent s’exprimer sur leurs “créations” préférées.

En mars 2019, la mairie permet donc aux parisiens de donner leur avis sur les projets sélectionnés par la mairie de Paris… Autant dire que les propositions sont affligeantes.

Mais pour une fois la mairie décide d’être transparente et de permettre aux parisiens de voter POUR ou CONTRE chacun des projets.

Et là, patatras, c’est un fiasco. Tous les projets sont rejetés par les parisiens, pour certains dans des proportions assez effarantes.

Alors changement de plan immédiat. Adieu les projets Pour ou Contre, on repasse à l’ancienne méthode : le plébiscite. Le projet qui recueille le plus de votes sera le grand gagnant.

Exemple ici avec le projet dans le 2e arrondissement, Place d’Alexandrie.

Y-a pas foule, à peine 1000 votes. Et pourtant tous les conseils, comités et associations proches de la Mairie sont fortement incités à participer. Mais comment choisir entre la peste et le choléra ? Ce vote ressemble petit à petit à choisir le moins moche pour éviter que son quartier soit enlaidi.

Quelques jours de votes à peine et on remballe le fiasco. Un grand jury par arrondissement prend le relais. Mais alors à quoi à sert ce vote des habitants ? Eh bien, tout simplement à RIEN ! Il n’est même pas pris en compte dans la décision. Comme pour la consultation du Projet Tour Eiffel, pour la consultation du parvis de NotreDame ou les propositions Embellir votre quartier, la mairie se moque totalement de l’avis des parisiens. Ce n’est pas de la démocratie participative mais un sondage décoratif, pour divertir les citoyens intéressés.

Dans le 2e arrondissement, le totem de la biodiversité, largement en tête (de loin le projet le moins laid) n’est donc pas choisi par le jury qui lui préfère le projet “Les 2 nuages” (des petits morceaux de miroir incrustés dans le sol).

En prime,  certains projets choisis par le jury ne seront finalement jamais réalisés. C’est le cas de celui du marché Barbès, qui a été mystérieusement remplacé par un autre.

On résume : projets bas de gamme, gabegie financière, politique du jetable et fausse démocratie… un beau #saccageParis.

4. Trois ans après, un bilan ridicule

Regardons maintenant le bilan de ces œuvres. Entre projets abandonnés, projets détériorés et projets ratés, le bilan fait peine à voir.

Le bassin (35 505 €)

Projet qui consistait soi-disant à “mettre en interaction l’architecture, la végétation existante, les riverains et le regard des promeneurs.” En résumé, une couche de peinture… foutue. « Embellir Paris ».

Les trois nuages (50 000 €)

Un autre projet tout à fait insipide qui consiste à mettre quelques lames de verre dans des interstices pour refléter la lumière du jour. Le projet a été réalisé à moitié seulement… Les interstices ont été creusés mais les lames n’ont jamais été posées (défense de rire).

Upside Downtown (50 000 € plus sponsors )

Il s’agissait de transformer un préau triste en une œuvre emblématique des lieux gays dans le monde.
Concilier le fond et la forme pleine de bonnes intentions, Télérama se pâmait déjà.

Après quelques années de piétinement confirmé, le sol est foutu. La misère n’est pas moins pénible lorsqu’elle est colorée.

Le socle (50 000€)

Comme son nom l’indique, un socle à œuvres temporaires. Facilement décrochable, sa plus belle qualité.

Le-socle

Drône mobile (50 000 €)

Voilà… la rue a été embellie… ça méritait bien une inauguration pour ce petit dépôt sauvage.

Tangram sur Raspail (50 000 €)

Enlaidissement urbain consistant à poser des panneaux de verre sur le Boulevard Raspail. Condamnés à subir cela pendant 5 ans… La peine est lourde.

Précieuse brillance (49 880 €)

Hommage à Simone Veil (!).

Il ne s’agissait pas moins que de parer d’un “collier de 31 mètres de circonférence composé de catadioptres bleus et jaunes incrustés de multiples perles de verre”, annonce doctement Telerama.

50.000 balles pour poser de ridicules gommettes réfléchissantes… Pauvre Simone Veil. Dans ce raté confondant on saluera qu’au moins le truc réfléchissant en question, censé se faire mouvement perceptible des déambulations dans l’infini (défense de rire) est presque invisible à l’œil nu.

Comme souvent, à la manière d’expositions temporaires contemporaines absconses, ce qui est encore plus inutile et ridicule que l’œuvre elle-même est le laïus qui l’accompagne.

Scratching the surface (50 000 €)

Probablement l’œuvre la plus réussie. Et également la plus sobre.

La ligne blanche (50 000€)

Peinture sur le mur d’une école élémentaire. Simple comme un chèque de 50.000 euros.

Motif dans le tapis (projet à 50 000€ retenu mais abandonné)

Fresque au sol invitant le promeneur à fouler un damier immense. Projet mort dans l’œuf.

A la place, la Mairie, jamais à court de bonnes idées, a choisi d’aller saccager les sols de la place Jean Ferrat. “Allomenil” bobo…

Active Bercy, Basco Vazko – Otra Ciudad  (50 000€)

Autre projet qui a eu la chance d’être inauguré par madame Saccage en personne. De la peinture au sol donc.

Afterschool (projet à 50 000€ retenu mais abandonné)

L’architecte chargé de la rénovation du bâtiment s’est opposé au projet. Quel dommage.

Génie du lieu (50 000 €)

Ici, “Génie du lieu, ode à l’amour et à la création”, vous propose donc un embellissement remarquable de génie.

Le toit (49 665 €)

A cet endroit déjà désespérant de laideur, la mairie a eu le bon goût de permettre cette peinture pomme granny.

Il s’agissait textuellement de “la création d’une immense anamorphose monochrome perceptible depuis l’espace piéton, invitant les usagers à pénétrer l’intériorité révélée sous le pont et jouant avec ses piliers colorés”. Sorte de trompe l’œil vert fluo sous le périphérique, alors même que la charpente à force de ruissellement paraissait déjà très abîmée. Peindre sur du moisi, riche idée.

Dans la même veine, on trouve cette note de candidature. Plutôt que de travailler à l’éclairage défaillant de ce site, qui fait penser à un véritable coupe-gorge, il était proposé d’y installer des présences humaines picturales, juxtaposées aux fresques des sous-bois. Ou comment éviter de traiter les vrais problèmes.

Plongeon (50 000 €)

Mystère et boule de gomme (50 000 €)

Les fables du calao (50 000 €)

Les Fables du Calao “célèbrent la diversité des cultures de Barbès-Château Rouge”.

Ceux des habitants de la Goutte d’Or qui ont remarqué ces machins en résine haut-perchés dans d’improbables endroits se sont demandé à quoi cela pouvait servir. Il s’agissait d’une sorte de ballade sonore immersive, les “calaos” jouant le rôle de QR codes. Ça n’a jamais intéressé qui que ce soit, d’ailleurs la mairie a fait abattre le reste d’arbre qui soutenait celui-ci. Les autres sont restés, avec leurs couleurs douteuses et supports bricolés.

Les quais changeants (50 000 €)

Les images de la musique (50 000 €)

Les intruses (100 000 € ? Dont 50 000 de subvention #EmbellirParis)

Un des plus gros projets, particulièrement laid, à la dimension idéologique pour le moins ambiguë. Il s’agissait de réaliser, sous la protection de vigiles, des photos de femmes dans un secteur où elles ne sont pas les bienvenues. Ces jeunes filles étaient grimées en “racailles”, sur fond de tags, crasse et affiches déchirées.

Une fois ces photos exposées, cela actait, en réalité, que la seule place conférée aux femmes à cet endroit était celle d’une mise en scène virtuelle, où elles imitent les postures des hommes, dans des scènes clichées sur Barbès.

En plus des 50 000 € de subvention, de la participation de l’Institut des Cultures d’Islam (établissement culturel de la Ville de Paris), le projet a été co-financé par Emerige. Ce promoteur travaille régulièrement pour la Ville de Paris (c’est à lui que l’on doit, entre autres, le monstrueux bâtiment construit place Félix Eboué dans le 12e).

Lors de la spectaculaire inauguration, les associations et riverains invités ont été empêchés d’approcher par les gorilles de Mme Hidalgo, pour ne pas “faire tache” sur la vidéo promotionnelle. Tout ce bazar a depuis été retiré. Il n’en reste plus que des taches de colle sur la façade d’un HLM tout neuf (visibles à droite sur la photo ci-dessous).

Conclusion

On conclura cette farce artistique moins chère que gratuite en soulignant, que comme il se doit au royaume de #saccageparis, « Embellir Paris » est financé par des crédits d’investissements. Ou quand l’éphémère devient de l’investissement… Dans le même registre, la guerre c’est la paix et renoncer c’est vaincre.

Après le scandale de #RéinventerParis (sic), le fiasco d’#EmbellirParis (sic bis), une nouvelle étape est donc lancée, #EmbelirVotreQuartier (sic ter). Plus discrète, elle est encore plus ambitieuse, tout aussi peu “participative” dans la réalité. C’est un joyeux fourre-tout de fermetures de rues, pistes cyclables décousues, “végétalisations” de pieds d’arbres et peinturlures de chaussées. Bref, il s’agit de réitérer en aggloméré tout ce qui n’a pas marché jusqu’à présent et dans chaque quartier.

Rien que pour le petit quartier de la Goutte d’Or, le budget annoncé est de 7 millions d’euros, dont 578 000 pour la création de 12 jardinières dans une rue crasseuse et mal entretenue. Projet qui a recueilli… 0 vote d’habitants. Rappel salutaire à nos élus : les priorités des gens qui vivent là ne sont pas celles qu’ils croient (ou s’obstinent à croire).


6 réflexions sur “« EmbellirParis » ou l’art de faire prendre les vessies pour des lanternes”

  1. Révoltée, l’argent des contribuables doit servir la communauté. Que peut on faire devant cette dictature, puisque nos maires d’arrondissements n’ont aucuns pouvoirs? Et que la maire de Paris n’est pas élus au suffrage direct. Cette manne financière bien gérée devrait être allouée à la propreté. Le maire de paris élu au suffrage direct, et les maires d’arrondissements pourvus de véritables pouvoirs, ils sont payés pour ça!

  2. Quel exploit quand même, d’être aussi constant dans la médiocrité esthétique et artistique. Ça serait drôle si ça ne coûtait pas si cher…

  3. Les horreurs de madame Hidalgo et de son équipe municipale (ou plutôt ce qui lui sert d’équipe municipale) laissent pantois.
    Dire que Paris étaient la plus jolie ville du monde avant notre chère Âne était peut-être un peu exagéré, mais il est certains qu’elle comptait parmi les plus belles.
    Aujourd’hui comment réagir, et surtout réagir efficacement, face à cette apprentie dictatrice débile et à ses sbires, espèces de nouveaux apparatchiks attachés à leurs petits privilèges stupides ? Et qui se soucient autant de leurs administrés que de leurs premières chaussettes ?

  4. le Rond Point des Champs Elysées était di beau avec ses 4 parterres de fleurs en plans différents et ses lampadaires anciens.
    Il a été complètement saccagé avec une horrible tuyauterie appelée improprement « fontaine », il n’y a plus de fleurs, une surface plane engazonnée; les tuyaux déversent de l’eau par intermittence. Ces 4 espaces sont devenus hideux……

  5. « Scratching… » est effectivement une oeuvre convenable, visible rue Didot dans le 14me (angle Didot/Alésia)
    Vu l’état du mur avant cette oeuvre, c’est un progrès à deux niveaux.

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