Woerth au volant, budget gourmand !

Pendant que la blogosphère bruisse des remugles puants de l’affaire Polanski, le gouvernement prépare presque sereinement la fin de l’année et le budget de la suivante avec un optimisme qui confine à la zénitude. Et pour conduire l’avancée majestueuse de l’Etat dans un gouffre de plus en plus profond, Eric Woerth déploie toute la panoplie positive d’esprit festif et jovial qu’il est payé pour produire.

L’optimisme béat, déconnecté de toute réalité et qui fait penser à une ingestion massive d’alcool ou de stupéfiants qui font rire, est parfois nécessaire. Le déni, psychologiquement, est une arme redoutable permettant de survivre sereinement en n’affrontant pas la réalité, avec cependant des effets adverses à long terme qui se terminent par la chambre capitonnée. Et à ce stade d’insouciance bienheureuse, on peut réellement parler de déni.

Pour l’optimisme, il suffit de voir ce que dit Woerth dans le domaine du budget, son occupation actuelle. Il aurait pu être maraîcher ou peintre en bâtiment, il est ministre du budget et c’est donc avec la gouaille goguenarde d’un fier commerçant qu’il nous fait l’article. Il évoque ainsi, un joli sourire aux lèvres, une amélioration de 110 à 115 milliards d’euros l’an prochain, car l’économie ira mieux. La croissance sera de retour, et de l’ordre de 0.75%. On lui collerait presque un assent méridional juste pour le plaisir de l’entendre raconter des blagues.

Puisqu’il le dit.

Le souci, c’est que si le gouvernement nous a surpris, ce n’est pas spécialement avec la solidité de ses prévisions, qui ont dernièrement pêché par … optimisme. Super-sérénité ou import direct d’afghane bien mûrie, on n’en saura rien, mais on se souvient qu’en mars de cette année, les prédictions de déficit et de croissance s’établissaient à 100 milliards et -1.5%, pour parvenir, mine sombre de Fillon en prime, à 140 milliards et -2.25% .

Une erreur de 40%, c’est, certes, plus précis que les patouillages approximatifs du GIEC par exemple. Mais se fourrer le doigt dans l’oeil à 40% près, c’est risque de se l’enfoncer profond dans … la narine. Original, mais ça reste une belle marge, d’autant qu’il s’agit de l’argent du contribuable et de ses enfants dont la dette à rembourser atteint maintenant des sommets stratosphériques. Les poupons qui éclosent actuellement seront heureux de savoir qu’ils vont bosser plus tard pour les petits-fours de Woerth, Fillon et Sarko.

Oh la belle rouge !

Si l’on regarde d’où l’on vient, et qu’on voit là où Fillon et Woerth estiment pouvoir nous emmener, on ne peut qu’être plongé dans un océan de perplexité ; c’est la négociation épileptique de chicanes poussée au rang d’art.

Car, je le rappelle, il n’est pas à l’ordre du jour pour le gouvernement de faire de réels efforts en matière de dépenses, et même plutôt du contraire. Et question morosité, la crise ne semble pas du tout, mais alors pas du tout finie : un des indicateurs principaux de la santé économique française, les mises en chantiers de logements neufs, n’indique pas de frémissement. En fait, c’est même plutôt un dépérissement :

Sur les trois derniers mois, la baisse est de 42% pour les logements individuels purs et de 14,3% pour les individuels groupés. Pour les logements collectifs, les mises en chantiers chutent de 24,3% sur le trimestre.

Comme « quand l’immobilier va, tout va », les perspectives semblent sombres. Et ce qui est vrai pour les mises en chantiers se confirme avec les ventes, tant dans le neuf que dans l’ancien : les prix plongent. Il est bizarrement loin le temps où l’on pouvait lire « l’immo, c’est du sûr, ça ne peut pas baisser« .

On pourrait ici parler – pour rire 🙁 – du chômage, je l’ai déjà fait dans de précédents articles, ou multiplier les coupures de presse relatant toutes un tableau sensiblement moins rose que celui qu’on voudrait nous faire gober, Strauss-Kahn en tête. Mais il faut tout de même se ranger à l’évidence : si la crise est finie, on a bien du mal à expliquer la vague d’emmerdes qui se précise à l’horizon.


Or donc, pas de diminution du train de vie trépidant de l’état : on se contente de ne pas renouveler 33.000 postes dans la fonction publique (qui en compte des millions). A ce rythme, et pour la diminuer de moitié, il faudra plusieurs dizaines d’années. Mais Woerth pérore que nous n’aurons qu’un mini-gouffre déficitaire l’année prochaine (en lieu et place du macro-trou que nous avons maintenant).

Il faudra donc … augmenter les rentrées.  Et ça tombe bien : troquer un problème gigantesque (la dette) pour des milliers de petites emmerdes épuisantes (les taxes), c’est devenu une habitude.

Puisque la croissance sera au rendez-vous (et 0.75%, quelle aubaine, ça c’est de la vigueur !) et que le pays dispose d’une confortable marge en matière de taxation et de fiscalité (comment ça, vous ne le saviez pas ?), il sera facile d’éponger les soucis avec de judicieux petits prélèvements quasi-indolores :

  • disparition de la prime à la casse.
  • taxe carbone légère et court-vêtue (et temporaire, hein, qu’on vous dit).
  • taxation des plus-value mobilières et immobilière ; dans un marché qui sombre, c’est finement joué.

Bref, que du bon sens : on cogne sur tout ce qui bouge et on aplatit ce qui dépasse. Le pouvoir d’achat va encore visiblement augmenter : entre la fabuleuse croissance et la diminution des taxes, les Français vont subitement se sentir plus riches. C’est évident.

Depuis des douzaines d’années, la promesse d’un budget à l’équilibre a été repoussé, de façon constante (et prévisible, elle), à « dans trois ou quatre ans ». Et la situation n’était pas celle d’une économie mondiale en crise. Évidemment, il est maintenant plus facile de mettre sur le dos des difficultés rencontrées l’impossibilité d’aboutir à ce fichu équilibre budgétaire de dans trois ans qu’on y est mais qu’on n’y est pas du tout.

En attendant, le résultat est le même : pour le budget en équilibre, vous pourrez vous brosser, on a perdu l’habitude.

Enfin, le plus beau : toutes les petites charges qui s’accumulent sur votre salaire permettront de se faire encore moins bien rembourser par la Sécu. Quel bonheur !

C’est dans ce genre de performances, relatées ici dans Le Monde, que notre Woerth se dépasse.

On note tout d’abord un petit rappel essentiel, terriblement paillettes & petits fours :

« Nous avons l’un des meilleurs systèmes d’assurance-maladie au monde… Mais nous avons aussi celui qui assure la couverture maladie la plus large et la plus équitable. »

Voyez ? Pas de quoi pleurnicher.

Bon, certes, après ce petit orgasme patriotique, il doit admettre que « notre système est menacé par les déficits. » Mais le bougre nous rassure tout de suite :  « Grâce un effort sans précédent de maîtrise des dépenses, le déficit de l’assurance-maladie a été divisé par deux entre 2005 et 2008 ».

« Effort sans précédent de maîtrise des dépenses » qui aboutit à … un déficit. Mais saperlotte, un effort sans précédent aurait été que le déficit soit résorbé, pas amoindri alors que la croissance affichait encore des choses avant la virgule ! Tout se passe maintenant comme si le fait de faire moins de dettes, moins de gabegie, moins de trous constituait un exploit !

Et aussitôt passé la stupéfaction de le voir tout frétillant de bonheur à l’idée d’avoir moins cochonné son budget que les autres, il enquille direct sur, patatras, « le déficit sera supérieur à 10 milliards en 2009 » et pareil en 2010. Zut et rezut.

La médiocrité érigée en but à atteindre.

Moyennant quoi, on va diminuer les remboursements, et on va axer l’agitation cosmétique sur « l’efficacité de l’hôpital » dont les effets, nous dit dame Roselyne, se feront sentir « dès l’année prochaine » . Notez que les effets de toute politique ne se font jamais sentir tout de suite. Comme pour les budgets équilibrés, c’est toujours pour plus tard.

La conclusion est savoureuse : « Il faut maintenant affronter la réalité« .

Oui. La réalité, c’est qu’au vu de l’averse de taxes, l’Etat n’a plus un rond et la Sécu non plus.

Heureusement, on a Polanski.

Ça fait mousser les peoples.

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Commentaires19

  1. Monoi

    Une fois de plus, que ce soit Woerth ou un autre, cela demontre bien que prendre les gens pour des imbeciles n’est pas redhibitoire.

    Ceci dit, j’ai ce gros connard de Brown en train de passer a la tele a l’instant, c’est pas mieux ailleurs!

  2. Gaël

    Mais se fourrer le doigt dans l’oeil à 40% près, c’est risque de se l’enfoncer profond dans … la narine.

    Elle m’a bien fait sourire celle-là ^^
    En France on n’a pas d’sous, mais on a de l’humour… et il en faut… Merci pour ces chroniques.

    1. Je tombe là-dessus : http://jlhuss.blog.lemonde.fr/2009/09/29/au-bonneteau-a-un-moment-il-faut-lever-le-cornet
      et sur ce document de la Cour des Comptes qui … confirme que tout ça sent un peu le sapin : http://jlhuss.blog.lemonde.fr/files/2009/09/1-situation-finances-publiques.1254162078.pdf :

      Il faudra des mesures de plus grande ampleur, tant pour les retraites que pour l’organisation et le fonctionnement du système de santé. Ces mesures seront douloureuses pour beaucoup et seront, à n’en pas douter, impopulaires. Mais elles sont nécessaires si l’on veut sauvegarder au profit des générations futures le bénéfice de ce que nous ont légué ceux qui nous ont précédés.

      Ouch.

  3. maurice b.

    Comme l’a si bien résumé l’économiste Elie Cohen,Sarkozy et son gouvernement prennent effectivement quelques mesures pour faire diminuer la dette (exemple: 150 000 suppressions de postes de fonctionnaires depuis 2007).
    Mais pourquoi voulez-vous que le Gouvernement s’engage encore davantage dans des mesures de rigueur drastiques qui seraient complètement impopulaires et pourraient créer des conflits sociaux irrémédiables, alors que les prêteurs se bousculent toujours pour financer les demandes d’argent de l’Etat ?
    Quand on gouverne il faut savoir choisir la meilleure solution.

  4. Hoho

    > alors que les prêteurs se bousculent toujours pour financer les demandes d’argent de l’Etat ?

    Quand bien même ce serait le cas, ce n’est pas parce que l’Etat a la possibilité de s’endetter plus que c’est nécessairement une bonne idée.

    Il faut bien comprendre que les « mesures de rigueur drastiques qui seraient complètement impopulaires et pourraient créer des conflits sociaux irrémédiables » dont vous parlez, elles sont inévitables ; le gouvernement Sarkozy a choisi, comme tous les précédents gouvernements, de temporiser de façon à ce que ça explose à la tronche de son successeur. Sauf que ce petit manège ne peut pas durer éternellement ; manque de bol pour Sarkozy, ça risque bien de se passer pendant son premier mandat…

    Je vous signale enfin que ce problème de finances publiques commence à inquiéter au sein de la majorité.

    Je pense qu’on peut s’attendre à des surprises ; et si l’opposant à Sarkozy en 2012 était issu de la majorité ?

  5. Silent bob

    Moi je me pose une question assez sympa à calculer. On connait plus ou moins le capital de l’Etat, c’est à dire quelle est la valeur de ses biens. Les bien immobiliers ont une valeur de 80 milliards d’euros, la valeur de la France est difficile a calculer. Ce qui reste intéressant c’est le PIB : 2865 milliards d’euros (wikipedia). Bon maintenant cet article:
    http://www.lemonde.fr/economie/article/2009/07/30/la-dette-des-pays-developpes-pourrait-atteindre-120-de-leur-pib-en-2014_1224447_3234.html
    Il ne fera pas bon être en France à ce moment là, la note de la France va forcément chuter, les taux monter et l’Etat de taxer à mort pour faire face. Je sens que ça va être drôle.
    Il est tellement facile de prévoir la dette annuelle de la France 50<x<150 milliards d'euros. On rajoute les retraites et tout le patin couffin et hop! c'est t'y pas fun la France?

  6. Petit Tonnerre

    « Mais pourquoi voulez-vous que le Gouvernement s’engage encore davantage dans des mesures de rigueur drastiques qui seraient complètement impopulaires et pourraient créer des conflits sociaux irrémédiables, alors que les prêteurs se bousculent toujours pour financer les demandes d’argent de l’Etat ? »

    Jusqu’à l’éclatement de la bulle et la guerre civile de 2020?

  7. maurice b.

    > Jusqu’à l’éclatement de la bulle et la guerre civile de >2020?

    Vous critiquez certains écologistes qui cherchent à faire peur en prédisant des catastrophes imminentes mais vous adoptez la même posture à propos de la dette.

  8. Nick De Cusa

    « … le bénéfice de ce que nous ont légué ceux qui nous ont précédés. »

    Le bénéfice!

    Mououaaaaaahahhahhahaaaaaaaaaah.

    Le bénéfice!

    On va à la misère générale, mais on y va en riant.

  9. Hoho

    > Vous critiquez certains écologistes qui cherchent à faire peur en prédisant des catastrophes imminentes mais vous adoptez la même posture à propos de la dette.

    Ce n’est pas vous qui venez juste de parler de « conflits sociaux irrémédiables » ? Le terme « guerre civile » est sans certes un peu fort, surtout si l’on compare à ce qui se passe par exemple en Afrique. Mais ça risque néanmoins de chauffer.

  10. AncillaDomini

    « Le terme « guerre civile » est sans certes un peu fort, surtout si l’on compare à ce qui se passe par exemple en Afrique. »

    Ou pas ! 😀
    J’étais tombée, il y a déjà quelques années, sur une classification de l’ONU assez rigolote. La France était classée avec une trentaine d’autres pays parmi les « Pays en état de guerre latente ». A égalité avec l’Espagne (région : Pays Basque) et l’Irlande du Nord.
    Comme quoi, quand on veut savoir comment c’est chez soi, il faut parfois demander à ses voisins… 😉
    Et puis, je voudrais pas avoir l’air de chipoter, mais les armes de guerre qui se baladent en liberté dans certains coins, hein…

  11. Petit Tonnerre

    >Vous critiquez certains écologistes qui cherchent à faire peur en prédisant des catastrophes imminentes mais vous adoptez la même posture à propos de la dette.

    Il faut être idiot pour ne pas comprendre que le jour où l’état ne pourra plus payer ses militaires, policiers ou gardiens de prison à crédit, sa sécurité sera moindre…

  12. CPM

    « Vous critiquez certains écologistes qui cherchent à faire peur en prédisant des catastrophes imminentes mais vous adoptez la même posture à propos de la dette. »

    La différence, c’est qu’on a des chiffres…
    Mais bon, on s’en fout des chiffres, Maurice, hein ?

  13. Flo

    A ce sujet une petite brève en passant:

    « Chatel : Sarkozy évalue à 65 milliards d’euros l’impact de la crise sur le budget » (dernière minute lci.fr)

    Voyons, voyons 140 – 65 = 75 milliards s’il n’y avait pas eu la crise? Mais n’avaient-ils pas fait tout un tapage vers juillet 2008 comme quoi grâce à la loi (encore une) machin chose on réduirait le déficit 2009 de 49 à 47 milliards (environ) au prix d’un contrôle drastique de ceci-cela qui devait nous ramener à l’équilibre en 2XXX (initialement promis à nos partenaires européens pour 2010 puis 2012 puis 2XXX donc)?
    Ni vu ni connu on vient de nous rajouter 28 milliards de trou-trou qui vient d’on ne sais où.
    Le plan de relance peut-être (ça ferait presque un joli compte rond si on considèrait que la loi machin chose n’a servi à rien, ce qui ne serait pas étonnant) mais j’avais osé comprendre qu’il était compris dans « l’impact de la crise » sur le budget…

  14. Kassad

    @Flo : Tu as raison de présenter la date de l’équilibre sous la forme 2XXX, car on ne voit pas bien comment une amélioration serait possible avant 2111 ou 2222.

    Sinon pour la forme je reconnais justement la forme de la célèbre courbe dite « hockey stick » sur le graphique des défauts sur les prêts garantis par de l’immobilier. La différence avec la courbe de température qui fait chauffer nos écolo-politiques est double : d’une part il s’agit ici de choses mesurables (les documents comptables) contre des choses plus délicates (la température moyenne pose des problèmes importants rien que pour une définition acceptable de la notion sans parler de sa mesure), d’autre part si la courbe en Hockey Stick fait se dresser les cheveux sur la tête des écolos alors celle sur les défauts qui est similaire devrait avoir un effet similaire. Ce n’est pas le cas… pourquoi donc ? Tiens je vais me gratter la tête pendant que j’y songe.

  15. adnstep

    « Comme « quand l’immobilier va, tout va », les perspectives semblent sombres. Et ce qui est vrai pour les mises en chantiers se confirme avec les ventes, tant dans le neuf que dans l’ancien : les prix plongent. Il est bizarrement loin le temps où l’on pouvait lire « l’immo, c’est du sûr, ça ne peut pas baisser« . ». Pour ça, lire les blogs immo, il y a longtemps que les billevesées de la FNAIM et consort y font rire tout le monde.

    Que les prix immo baissent, c’est au contraire un très bonne chose : actuellement, l’effort financier pour le logement est deux fois plus élevé pour un ménage que dans les années 70.

    « Jusqu’à l’éclatement de la bulle et la guerre civile de >2020?
    Vous critiquez certains écologistes qui cherchent à faire peur en prédisant des catastrophes imminentes mais vous adoptez la même posture à propos de la dette. »

    Non, on ne cherche pas à faire peur. On se prépare. Qui dit guerre dit vainqueur et vaincu. Je préfère être dans le camp des vainqueurs.

  16. poker

    Etant donné que le taux de chômage est correlé à l’inflation, on comprend bien que le gouvernement ne souhaite pas atteindre le plein emploi car cela déplairaît aux organismes financiers 🙁

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