Impitoyablement, la grippe est venue, et elle s’est abattue. Le mois de Janvier est arrivé, et les morts par millions se sont comptés. Ah tiens … non, finalement. Ce qui se compte par millions, ce ne sont pas les morts. Ce sont les doses de vaccin inutilisées. Et qui ne seront pas vendues. Pas de doute : encore un désastre de l’ultranéolibéralisme !
Tout avait pourtant bien commencé.
Au Mexique, les victimes tombaient par douzaines. Le virus, semble-t-il issu d’une virulente souche porcine, attaquait les malades qui, pareils à des fusibles, grillaient sous une tempêtes de cytokines mal contrôlés.
La panique gagnait rapidement les foules (bien que certains continuaient quand même, les fous, à se rendre dans les régions putrides couvertes des miasmes mortels), foules qui, progressivement, se rendaient bien compte qu’à ce rythme, on atteindrait jamais 2012, date à laquelle la fin du Monde était prévue par les Mayas et tous pleins d’autres prophètes connus pour avoir su tirer les bons numéros au loto et voir leur propre disparition dans les limbes de l’Histoire.
Bref : en milieu d’année 2009, les mains étaient moites, les fonds de slips de moins en moins propres, et déjà, certains affûtaient leurs stocks de masques hygiéniques (si si, affûtaient, je vous expliquerai comment faire une autre fois).
Et alors que l’avenir semblait au plus sombre, et alors que, dans les yeux d’habitude étincelants d’intelligence de la Ministre de la Santé, on ne pouvait plus guère lire que la panique affolée qui est celle d’un animal certain qu’on le mène à l’abattoir, alors qu’il ne transparaissait plus le moindre espoir sur une humanité condamnée à mourir dans les spasmes atroces d’une maladie terminale, pif pouf badaboum, le gouvernement a commandé 96 millions de doses d’un vaccin génial qui serait prêt juste à temps pour endiguer la pandémie.
Pour faire bonne mesure, la Fraônce, éternelle et durable et citoyenne et festive et très à cheval sur son principe de poltronnerie précaution, a acheté un tiers du Tamiflu mondial. Au moins, on allait pouvoir baigner les malades dans un bain d’anti-viral revigorant.
Car pandémie il y aurait : puisque des millliards millions milliers centaines de personnes étaient déjà touchées sur deux cinq trois quatre tous plein de continents, c’était forcément bien plus qu’une simple épidémie.
Pandémie il y avait donc et la Grippe H1N1 se répandit donc comme … comme… heu … une grippe, mettons. Enfin, à peu près. Disons comme une pandémie de rhume. Mhhh.
Ça se dit, ça, pandémie de rhume ? Et de gastro ? « Pandémie de gastro » ? Ça sonne bizarre, on n’a pas l’impression que ça fasse pandémie, ça, la gastro ou le rhume.
La calvitie, comme dans « Pandémie de calvitie » ? Non. Trop bénin. La peste ? Non, trop mortel.
Bref.
Pandémie de Grippe H1N1, il y eut donc.
Et en ce début de mois de janvier, alors que la population est exténuée d’une lutte féroce et sans merci (mais avec manifestement beaucoup de s’il vous plaît et de pardon, je vous en prie et après vous) contre un virus catastrophique, on apprend par la presse avisée (toujours aussi avisée, la presse) qu’enfin, le bout du tunnel est visible et les zeures sombres de notre histoire sont terminées : la grippe A recule !
L’année 2010, finalement, commence donc sous de cléments auspices ! Les rescapés vont enfin pouvoir arrêter de porter des masques hygiéniques ou de se laver compulsivement les mains.
Encore que non : lavez vous les mains, c’est une bonne chose. Pas trop, mais de temps en temps, histoire de conserver les ongles propres. Et évitez de toucher votre visage ensuite. Tripotez plutôt celui des autres. Et ne mangez pas trop gras, trop salé, trop sucré. Et lavez vous les dents. Surtout celle-là, dans le fond. Vous savez, celle à laquelle le dentiste vous a dit de faire gaffe parce que bientôt, c’est la dévitalisation qui guette et on sera obligé de la mettre sur pivot et avec votre gencive de merde passez moi l’expression mais oui, vous avez une gencive de merde, le pivot ne tiendra pas alors bonjour le bridge et avec les remboursements nanoscopiques de la sécu ma brave dame ça va douiller sévère ah et ils nous détraquent le temps avec leur CO2 de merde mais je m’égare excusez moi.
Comme vous pouvez le constater à ce point du billet, on sent palpiter la tension et la peur, même après avoir soupiré devant le recul de la maladie.
Il faut bien le dire : la grippe A aura fait de très nombreuses victimes.
Car aux quelques morts dus à la maladie, il faudra ajouter tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, vont voir leur pouvoir d’achat diminuer. Et qui dit diminution du pouvoir d’achat dit diminution des dépenses, et dit aussi, en bout de chaîne, des emplois en moins.
Pour être parfaitement clair :
La grippe A, par la gestion étatique calamiteuse de bout en bout, va probablement ajouter quelques milliers de chômeurs à la dureté de la crise économique.
96 millions de doses, 6.5 euros de moyenne, dont environ 40 millions qui nous restent sur les bras, cela fait au moins 300 millions d’euros. Soit un SMIC par mois pendant 22.000 ans, ou, dit autrement, un millier de smicards employés pendant 22 ans.
Ici, j’ai eu la pudeur de ne pas compter les stocks de Tamiflu (qui n’est pas gratuit), ni les coûts de l’opération Centralisons Les Picouzes (sous-titre : Toujours Sans Mon Généraliste), ni les coûts de conservation des stocks pléthorique d’un vaccin surproduit. Je suppose que le coût total, 2 milliards, évoqué par certain, est certainement exagéré, mais je doute que la facture finale s’établisse très en dessous de 500 millions…
Certes certes, on m’objectera qu’il valait mieux prendre quelques précautions plutôt que laisser l’hécatombe s’installer. Seulement voilà : dès l’été, des voix s’élevaient pour dénoncer la façon dont l’ensemble de l’opération était organisée. Et même si d’autres pays se retrouvent, eux aussi, avec des stocks importants sur les bras, on conserve cette impression qu’en France, on s’est légèrement fait entuber en payant, finalement, plus cher que prévu.
Quant à revendre le trop plein, avec la concurrence des autres sociales-démocraties elles aussi fort précautionneuses, il n’est pas certain qu’on rentre dans nos frais.
Le principe de précaution, la planification étatique, c’est ça : 1000 chômeurs de plus, pendant une génération, sur un coup de panique.
Mais non mais non, voyons, grâce au super pouvoir de négociation, ou d’hypnose, de la ministre, on annule purement et simplement la commande ! Je ne savais pas qu’on pouvait ainsi faire fabriquer des trucs et ensuite ne pas les payer, mais les règles sont peut-être différentes quand on parle en millions. En plus, comme on est très gentils, on revend pas cher des vaccins à ceux qui n’en avaient pas, et qui seraient donc tous morts si la grippe A avait fait des ravages. Youpi ! Tout est bien qui finit bien.
En fait, Bachelot reste avec 46 millions de doses sur les bras, dont moins de 10 utilisées. Ça fait plus de 30 millions de doses à revendre, ça… Le cours risque de s’effondrer, moi, je dis.
Au delà de l’aspect calamiteux de toute cette histoire, ce qu’il y a d’encore plus consternant est la manière dont les décideurs essaient toujours de retomber sur leurs pates en se justifiant.
Ce faisant ils s’enfoncent encore plus et instillent dans l’esprit de la population des erreurs économiques qu’un enfant de 12 ans à qui on expliquerait la situation pendant quelques minutes ne pourrait pas avaler.
Intéressant à lire sur le détail des négociations avec les labos pharma à propos des indémnités suite à l’annulation des commandes :
http://www.lesechos.fr/depeches/medecine-sante/afp_00219063-grippe-h1n1–une-commande-de-9-millions-de-doses-de-vaccin-resiliee-chez-sanofi.htm
La vache folle, le bug de l’an 2000, le SRAS, la grippe aviaire, le réchauffement climatique, etc. Tant que le public gobe ce qu’il lit dans la presse (étatique, subventionnée ou appartenant à des industriels qui vivent de commandes publiques) sur ces grandes peurs, il se fera avoir par l’industrie politique, la bureaucratie et leurs amis.
Ah et dire que la Bachelot a bossé pendant douze ans à la solde des entreprises pharma…
Tiens un style qui me plait bien, surtout sur ce sujet que j’ai bien balayé, avec la même ironie que toi.
Le pire, c’est que les pro-vaccins espèrent presque d’autres vagues, histoire de pas avoir l’air trop cons.
Ce qui va être intéressant, c’est de voir la liste des pays qui vont acheter le surplus de l’Etat français : quels Etats, obligés de l’Etat français, vont se faire tordre le bras pour les racheter? Et contre quoi?
Cela me fait penser aux achats de Rafale et de chars Leclerc par les Emirats Arabes Unis ou le Qatar : ceux-ci sont absolument surdimensionnés, assez largement. En échange d’achats amicaux, des militaires français sont installés dans ces pays pour faire face au turbulent voisin iranien j’imagine.
Dans le cas des vaccins, quel sera le deal?
je ne savais pas que Mme Bachelot avait travaillé si longtemps dans l’industrie pharmaceutique… d’ou un certain nombre de contacts je comprends 🙂
Oui oui. Elle était lobbyiste il me semble…
Sélection naturelle…pas de quoi en faire tout un plat! vaccin ou pas!
Y’a un commercial de Sanofi qui doit être en train de se pendre, en s’asseyant sur sa commission…
Excellent, comme d’habitude !
J’avais l’air un peu taré entre Iéna et Franklin-Roosevelt tout à l’heure, en vous lisant sur mon iPhone tout en tentant de réprimer de grands sourires à la con !
(Or cela est assez lassant, M. H16… Faudrait peut-être penser à varier votre registre un tantinet, non ? Un lai ou un virelai qui nous laissoit tout en pleurs, par exemple, c’est dans vos cordes ?).
🙂
Mais la chronique est d’autant plus drôle que la critique est juste : selon l’une de mes sources (de franche rigolade) habituelles, le Devoir, le Canada chercherait à fourguer quelque 10 millions de doses à 9 $ chacune (6 euros). Mais l’Allemagne, la France et les Pays-Bas dealent déjà leurs surplus chez ceux qui accusent un retard permanent sur le progrès (!) social, tel le Qatar, l’Egypte et le Mexique…
Jolie tentative de rattrapage de gros n’importe quoi – ce qui ferait éventuellement rire si ce n’était malheureusement érigé en système !
Mon impression générale: l’argent public – celui que nous gagnons en nous levant tôt tous les matins – n’a qu’une valeur électorale pour ceux qui l’administrent.
En gros, ils balancent nos millions comme un arbre balance ses feuilles à l’automne. Ce qui peut sembler rigolo pour nos alter-machin, mais cet argent qu’on balance, ce n’est jamais que des efforts que nous faisons pour rien.
Bref, que ce soit par insouciance ou, au contraire, pour montrer qu’ils se soucient vachement de leurs électeurs, ils n’ont pas hésité dans le cas de cette grippe à 1) faire peur — pour justifier le point suivant, au cas où : 2) dépenser — pour montrer qu’ils sont là et qu’ils s’occupent-de-nous-donc-pensez-voter-pour-moi.
Excellente chronique, comme toujours, merci !
Quant à revendre le trop plein, avec la concurrence des autres sociales-démocraties elles aussi fort précautionneuses, il n’est pas certain qu’on rentre dans nos frais »
Peut être sur Ebay…:-)
Qui a dit que le cinéma français ne rivalisait pas avec le cinéma américain ?
Avec la grippe H1N1, l’état a mis à la poubelle l’équivalent d’un Avatar (voire même Avatar + Titanic).
La voix du bon sens : http://www.dailymotion.pl/video/xb5o8d_ministre-de-la-sante-polonaise-sur_news
Beaucoup de pays sont tombes dans le panneau a cause de l’OMS et de son niveau d’alerte maxi(6), il faut quand-meme le rappeller. Dans le doute, un politique preferera se retrouver avec un tas de vaccins invendus, plutot qu’avec un tas de cadavres.
Gros gros probleme chez l’OMS. Le canard a vainement tente de se procurer la liste des experts de l’OMS (delegues par chaque pays). Et bien elle est tenue secrete, comme par hasard. Le gvt Francais, quand on lui demande qui est l’expert mandate par la France, renvoie bien evidemment a l’OMS. Circulez y’a rien a voir.
Moi , je ne dis plus rien car quand j’ai écrit un article sur le sujet, un commentateur m’a dit que j’étais mauvaise langue !
Après le sang contaminé, la vache folle, la grippe aviaire, et l’été meurtrier de 2003, j’aurais été Ministre de la Santé, j’aurais ouvert le parapluie en titane, au cas où.
On a les ministres qu’on mérite quand on a l’opinion publique qu’on a.