Un raccourci, parfois, cela peut être fatal. Le Petit Chaperon-Rouge, en ayant emprunté un, en aura fait l’amère expérience. Et celui que s’apprête à emprunter le gouvernement français sur la pente glissante de l’aide aux plus défavorisés promet là encore de nous coûter fort cher, dans tous les sens du terme.
C’est quasiment avec la larme à l’oeil et la voix tremblante d’émotion que nous apprîmes, en mars 2006, la disparition d’un vénérable dinosaure quasi-brejnévien – puisque créé dans les années 60 -, le Commissariat Général Du Plan, et son remplacement (ouf, nous aurions franchement pleuré sinon) par le Centre d’Analyse Stratégique, qui, comme son nom limpide l’indique, s’occupe de fournir des petits rapports plus ou moins farfelus sur toute question qu’on voudra lui soumettre, comme un petit Ask Yahoo interministériel réservé à nos dirigeants et pour des questions qui s’écrivent en plus de 160 caractères.
Et c’est grâce à ce CAS qu’on dispose maintenant d’une réflexion poussée et raffinée sur les besoins supposés des jeunes au début de leur indépendance. La conclusion est éclairante : les jeunes baignent dans l’inégalité sociale, et l’Etat se doit de leur proposer une dotation financière.
Deux options sont mêmes proposées : la première consiste à placer un petit pécule, à intervalle régulier, sur un compte destiné à être reversé au jeune adulte le jour de ses 18 ans. Le petit pécule dépendrait des revenus de la famille. Dans la seconde option, un peu d’argent serait versé directement à la majorité, avec l’obtention possible d’un prêt pour les études, indépendamment des ressources familiales.
La première option, est-il clairement spécifié, permet d’obtenir jusqu’à 23.000 euros sur le compte, pour les jeunes issus de « familles pauvres ». La seconde, plus modeste mais étendue à plus de citoyens, tourne entre 1000 et 4000 euros.
Voilà exposé la conclusion. Les prémisses, rappelons-le, sont que :
a/ les jeunes baignent dans les inégalités sociales
b/ l’Etat doit tout faire pour que ces inégalités disparaissent
c/ une somme d’argent (plus ou moins grosse) constituerait une bonne réponse.
La clause a/ demande à être vérifiée. Il va de soi que les inégalités existent : ce monde est dur, tous les jours, pour tout le monde. Mais il y a 40 ans, ce monde n’était pas moins dur. Oser prétendre que l’année 1967 – p.ex – proposait moins d’inégalité entre les jeunes de 18 ans de cette époque et ceux de maintenant serait se fourrer le doigt dans l’oeil jusqu’à l’omoplatte tant les écarts entre les revenus les plus haut et les revenus les plus bas, les niveaux de formation, les modes de vies étaient importants d’un jeune adulte à l’autre. Or, à l’époque, les jeunes en question s’en sont sortis. La preuve ? La plupart sont encore là pour en témoigner et forment même la génération Papy-Boom avec un pouvoir d’achat jamais égalé en France.
Quelle différence fondamentale dans la société de l’époque et de maintenant permet d’affirmer qu’il faut, maintenant, une telle aide ? Quelque chose aurait donc fondamentalement changé, mettons, après 1967, pour justifier que l’Etat intervienne encore plus ? Voyons voyons … Après 1967, vous dites ?
Mmmh. Bref.
La clause b/ impose que l’Etat doit intervenir, qu’il est le seul qui puisse intervenir et qu’il saura intervenir. Ce besoin d’intervention, en lui-même, n’est expliqué nulle part. Il n’est explicable qu’à partir du moment où l’on replace le rapport dans le contexte pré-électoral d’agitation de carottes : le jeune de 18 ans vote. Il a été à bonne Education, Nationale donc, et s’est enrichi des pensées profondes, alternatives et citoyennes, proposées par l’establishment. Le jeune votant aura compris à quel point la sucette étatique ne peut lui être retirée sans qu’il émette un petit cri suivi de pleurs jusqu’à ce que cette tétine lui soit prestement remise.
Pour les bébés, on choisira la tototte en caoutchouc naturel, à la fois souple et ferme, et on s’en constituera un stock car elle est parfois un nécessaire à la survie du parent ensommeillé. Pour l’Etat, le bouchon à cri, composé d’un petit package Nozakissocios et Inoufodémoyens, sera distribué généreusement aux braillards de tous âges. Et plus on en distribue, plus le bouchon devient nécessaire…
La clause c/ est un présupposé courant, surtout dans des Organes Officiels Shadoks à Pomper Les Phynances. Le petit trou ici aspire l’argent, le gros trou là dépose des petites crottes financières un peu partout, et le milieu, entre le petit trou qui aspire et le gros trou qui dépose, engraisse mollement en prélevant une partie de ce qui est aspiré. Traditionnel. Dans cette optique, on voit mal ce type de Tube Digestif à Phynances proposer de diminuer l’aspiration et passer en salle de muscu ou au sauna. La clause c/ est donc logique dans ce contexte.
Bien. Mais tout ceci, c’est, on s’en rend compte, bien connu : on nage ici dans l’habituelle distribution de sucreries, de ronds de jambes et de petits cadeaux avant l’évaluation de fin de période.
Ce qui est problématique, avec ce projet, ce sont les passages aux bornes. Dans tout programme, il faut (m’a-t-on appris dans mon jeune temps) se préoccuper des bornes. Et là, le problème est sérieux.
Si l’on met ce système en place, que va-t-il se passer ? Arbitrairement, une génération de joyeux farfadets du monde citoyen et festif va pouvoir disposer d’un pécule plus ou moins gros, alors que la génération précédente ne recevra rien du tout. Ou, dans le meilleur des cas, l’introduction sera progressive. Nous aurons donc, au fil du temps et avant la montée en puissance du système (qui prendrait alors 18 ans dans cette hypothèse) des personnes qui recevront un peu plus que ce qu’on reçut les précédents bénéficiaires de la mesure. Alternativement, si l’on met le système en place d’un seul coup d’un seul, pouf, mettons en 2008, tous les joyeux nouveaux citoyens de 18 ans en 2008 verrons un joli chèque, alors que ceux arrivés à 18 ans le 31 décembre 2007 et avant … peau de zob.
Tortillez le système comme vous voulez, mais si vous le mettez en place, forcément, vous aurez une situation où vous créerez une inégalité flagrante là où justement, vous voulez la combattre.
Je n’aborderai pas le cas (douloureux mais réel) des jeunes qui décèdent avant leur 18 ans : que faire des fonds normalement débloqués ? Comment cette situation sera-t-elle gérée ? Sur quelle usine à gaz monstrueuse et quels cerfas glauques va-t-on aboutir ?
Je m’en voudrai d’évoquer aussi le fait que, si l’on crée un compte abondé tous les ans pour ces jeunes, il serait judicieux de faire fructifier ce compte … sur les marchés financiers. Ce qui ne peut, finalement, qu’effaroucher un peu nos gentils collectivistes égalitaristes. Et si l’on ne met pas cet argent au travail, il est probable que l’argent soit fort mal géré.
Comment ? Mal géré ? Impossible ! Les retraites, la sécu, l’assurance chômage sont des preuves en béton armé que des sommes importantes peuvent être gérées par des organismes étatiques en toute transparence et avec des rendements très corrects, hein !
…
Plus on s’attarde sur ce genre de mesures, plus on découvre un lit de misères, de problèmes, de gabegies, de détournements, de dettes futures, de nouveaux impôts, de nouvelles inégalités qui seront introduites à grand renforts de publicité, et sous les applaudissements des électeurs aux yeux encore voilés des paillettes qu’on leur aura lancé pour les étourdir.
Ce joli rapport du CAS ne prend pas du tout en compte le fait que la majorité des jeunes issus de familles de classes moyennes ou aisées débutent dans la vie tout seuls comme des grands, sans aide financière de leurs parents !
excellent !
Le truc rigolo à faire serait de réclamer des sous si la loi passe.
En effet, moi je n’y ai pas eu le droit, or je suis égal (sisi, avec un peu de mauvaise foi ^_^). Donc, je réclame des sous, même si je suis trop vieu. En plus c’est rétroactif, y a des intérêts (de mauvaise foi, je vous dis).
Si tout le monde fais ça, badaboum… Totalement absurde, mais bon… au point où on en est…
G.
@ Gaël : Ce ne serait pas absurde. Ce serait juste pousser le principe d’égalité jusqu’au bout. Le même principe qui fait qu’ils proposent une telle mesure.
C’est en poussant le principes jusqu’au bout qu’on se rend compte s’ils sont justes où pas.
Celui là ne l’est pas.
@ laurett: très juste. Et j’ajouterai que c’est en poussant les principes jusqu’au bout qu’on les mènes à leur faillite….serait-ce une piste?