Ce monde est complexe ; s’il existe des milliers de domaines où la subtilité est de vigueur, pour d’autres, le binaire s’impose. Eh non : tout ne se présente pas comme les packs de yaourts, sécables ou miscibles à volonté. Il y a parfois du dur, du solide, du seulement vrai ou faux, sans rien au milieu. Par exemple, on ne peut pas être à moitié vierge, à moitié immaculé, ou à moitié con keynésien. Or, cette complexité est bien mal appréhendée par les collectivistes et leur outil de prédilection, la sociale-démocratie, parangon du consensus et des compromis mous. Et si introduire du relativisme et de la distorsion de concept est pénible pour, mettons, la propriété, l’exercice rituel devient carrément dangereux lorsqu’il s’agit de la liberté d’expression.
La liberté d’expression est effectivement insécable : on ne peut pas prétendre la donner à moitié sans immédiatement s’entortiller dans le n’importe quoi législatif.
Et pour s’entortiller et faire dans le n’importe quoi législatif, la France est passée maître. A côté du niveau d’entortillement dont sont capables ses politiciens, Houdini passerait pour un bureaucrate coincé atteint de polyarthrite rhumatoïde. Ce pays est en effet le premier à réclamer, haut et fort, cette liberté essentielle, à brailler son importance dans les doctes assemblées internationales, et à mettre chez lui très rapidement en place des douzaines de limites : on se souviendra, par exemple et pour se contenter de l’actualité récente, des lois dites mémorielles qui définissent explicitement ce qu’il faut ou pas penser et dire concernant telle ou telle partie de l’Histoire…
Il semble en effet que le législateur, petit animal papigène très craintif tous les cinq ans, ait oublié que la liberté d’expression s’accompagne, comme toute liberté, d’une responsabilité proportionnelle : à une grande liberté correspond une grande responsabilité. La petite taille cervicale de notre rongeur explique sans doute cet oubli crucial qui veut dire, en somme, qu’on est directement responsable de toutes les bêtises qu’on dit librement et de toutes les conséquences qu’elles peuvent avoir.
Dès lors, amenuisant la liberté d’expression, les petits rongeurs ont aussi diminué d’autant la responsabilité afférente pour aboutir à la situation courante où chacun se doit, République à la boutonnière et Politiquement Correct en écharpe, de dégoiser les platitudes éco-conscientes les plus insupportables, les analyses mainstream les plus triviales, les arguments socialauds les plus blets ou les constatations mondaines les plus agressivement banales. Il suffit de lire la plupart des journaux pour se donner une idée de l’ampleur de la catastrophe, et déciller quand on se rend compte qu’elle s’est étendue jusqu’à internet où, sur tous les forums, chacun fait bien attention de penser bien droit bien à gauche dans ses chaussures, de peur de déclencher une vague de protestations bien pensantes.
Au final, on dispose d’une liberté d’expression tronquée, c’est-à-dire, dans les faits, de pas de liberté d’expression. De la censure effective aux auto-censures courantes dans les médias où l’on ne s’autorise plus le moindre écart de peur de choquer l’establishment, de nos jours, la liberté d’expression s’entend essentiellement comme le droit de dire ce qu’on pense pourvu que personne n’entende.
A partir de là, on assiste à une série de valses-hésitations où l’on aura bien du mal à distinguer quand, exactement, se dresse la limite entre l’injure pure et simple et la vocalisation plus ou moins forte d’une opinion, ou la simple expression d’une bêtise moyenne. Dans un cas, on peut identifier un dommage clair sur une ou plusieurs personnes qui peuvent se porter partie civile. Dans l’autre, on joue l’amalgame sur un groupe, une ethnie ; on exprime un sentiment, idiotement spontané ou au contraire mûrement réfléchi, et pouf, on déclenche une bronca terrible des bien-pensants caramélisateurs.
On peut alors se demander où est la cohérence quand, d’un côté, on réagit très mollement lorsqu’un avorton comme Mélenchon déclare sa xénophobie envers les Lituaniens et de l’autre, tout le monde s’offusque des déclarations confuses de Longuet sur l’homosexualité et la pédophilie…
On peut s’interroger sur la nécessité de s’exciter sur certaines banderolles, ou sur le temps libre de certain maire qui passe beaucoup de temps sur Facebook.
Et alors que ce sont toujours les mêmes qui braillent bien fort contre les discriminations, HALDE au poing, ou contre le machisme supposé de certain prêtre, on ne les entendra pas fustiger certain leader syndical qui a pourtant bien fait preuve de beaucoup de légèreté, pour le dire diplomatiquement, dans ses propos…
Eh oui. Tout ceci est un foutoir d’actions et d’inactions, de silences gênés ou totalement assumés, parfaitement symétriques aux hurlements outragés. Et tous seront d’accord qu’il faut absolument préserver la liberté d’expression. La sienne, bien sûr, pas celle de l’adversaire qui s’exprime bien trop librement ! Il faut laisser parler les Chiennes de Garde, il faut laisser parler Act’Up. Mais il faut faire taire Vanneste ou Longuet. On peut laisser Domota glisser dans la xénophobie, on ne doit pas laisser Vingt-Trois parler de jupons. C’est pourtant clair : quand on dit un truc banal, festif, citoyen, ou qui promeut la différence dans l’intégration républicaine de minorités opprimées qui peuvent réclamer des thunes, ça passe. Tout le reste, évidemment, doit être tu.
…
Malheureusement, la liberté d’expression n’est pas sécable. Soit on choisit la clarté, et on donne à tous la possibilité d’exprimer ses opinions, aussi stupides et nauséabondes soient-elles, soit on choisit les ténèbres du silence imposé et on ne la donne à personne. Mais choisir l’espace gris au milieu, entre chien et loup, c’est risquer de sombrer bien plus souvent du côté du loup que du chien.
Au vu de l’actualité, ne nous leurrons pas : chaque jour qui passe nous rapproche un peu plus du loup.
Billet très opportun en cette période où un lepéniste guadeloupéen ne suscite aucune levée de boucliers des associations prétendument « antiracistes », sous prétexte qu’il est un descendant d’esclaves. La femme et les enfants de Barack Obama le sont aussi, et pourtant leur président de mari et père a fait sa campagne sur le dépassement de la question raciale. La preuve qu’en matière de liberté d’expression, de post-racialisme et de révolution numérique, nous avons un retard criant sur les États-Unis qui, je le crains, va aller croissant…
Oui. La dissymétrie de traitement des xénophobes selon leur appartenance plutôt à gauche ou à droite du spectre politique montre à quel point la France a clairement perdu un lobe.