Quand, dans ces colonnes, on parle de corporatisme, on n’a pas longtemps à attendre pour voir Pascal Nègre ou un autre aficionado du lobbying décontracté pointer le bout de son nez. Cette fois-ci, cependant, c’est la Grande Farandole Joyeuse des Photo-Reporters qui va nous offrir toute la panoplie des arguments pro-corporatisme…
Tout commence par l’arrivée du numérique et la démocratisation de l’envoi et du partage de photos sur internet : jamais dans l’histoire de l’humanité faire une photo n’aura été aussi facile, et jamais le nombre de photographes potentiels n’aura été aussi élevé (c’est ainsi que Nokia est devenu … le premier fabricant d’appareils photos du monde).
D’autre part, une photo numérique étant, avec un texte en ligne, l’archétype même d’information recopiable et distribuable à l’infini, il n’est pas étonnant que la valeur intrinsèque d’un cliché ait dégringolé au plus bas.
En outre, bombarder de clics fébriles une scène ou l’autre en espérant, sur les 150 ou 200 clichés, en obtenir un de bon, ne coûte plus rien, ni en pellicule, ni en temps de développement. De cette façon, même un photographe médiocre, en n’ayant qu’une photo valable sur 1000, n’aura pas plus de frais qu’un bon photographe avec un cliché valable sur 10. Statistiquement, comme il y a beaucoup de photographes médiocres, … les cartes mémoires photographiques ont simplement augmenté de taille.
Avec cette évolution, il faut, bien sûr, ajouter les méchanpirates; il faut le savoir : le but ultime d’Internet était bien évidemment, et à l’instar du proverbial tapis de bombe américain, de préparer le terrain pour détruire des professions ciblées, comme journaliste, photographe, producteur ou distributeur de tubes musicaux ou cinématographiques planétaires. Les méchanpirates s’en donnent donc à cœur-joie et font absolument tout pour saboter un noble métier de plus : vraiment, quand on voit ça, on se dit que le monde est trop trop méchant.
Heureusement, quand il y a un problème en France et qu’une corporation est menacé, soit on fait intervenir le Capitaine Blâme, soit on utilise le gros bâton de l’État, et chpaf dans la gueule :
Que réclament les agences de photographies?
«Le problème c’est la perte de valeur des photographies. Or, la loi a priori interdit la vente « à vil prix », il est donc nécessaire de légiférer pour pouvoir donner une valeur à ce qu’on appelle aujourd’hui les « oeuvres orphelines », c’est-à-dire libres de droit», selon Frédéric Buxin.
Le procédé, étonnant de prédictabilité, est toujours le même : une profession voit son business-model mis à mal par une révolution culturelle ou technologique.
Si cette profession ne dispose pas d’une voix forte, elle disparaît et ses membres se recyclent ou s’adaptent en développant des marchés de niche ou des spécialisations auxquelles la technologie ne répond pas ou qui la complémentent judicieusement.
Si, en revanche, la corporation dispose d’un moyen de pression sur des députés ou sur l’État en général, zoupla, au lieu de remettre en cause les bonnes habitudes, on choisit la voie beaucoup plus douillette de la coercition : une bonne petite loi de derrière les fagots pour interdire ceci ou obliger cela, et l’affaire est dans le sac. Jusqu’au contournement de la loi, bien sûr, qui ne manque pas d’arriver quelques jours, mois ou années après.
Cependant, en attendant les actions pernicieuses décisives de l’État, Demeard Corp., la société tentaculaire dont les produits et les services sont disponibles partout, en tous temps et en tous lieux, a réussi, comme d’habitude, à fournir une de ces nouvelles prestations qui lui ont permis de conserver sa place de leader mondial.
À présent, pour enfin être sûr de ne pas rester sur le bas côté, pour avoir la certitude que quelqu’un, quelque part, pensera à vous et vous plaindra, Demaerd a créé une société spécialement dédiée, Demeard Bisounoursland Security, spin off de la Demeard Handkerchiefs & Extra-Soft Tissues, qui s’occupera de tous les petits et les gros bobos de la vie.
Une fois que vous aurez pris contact avec cette société, et moyennant un contrat de protection payable en petites mensualités fort raisonnables, vous bénéficierez d’une assistance H24 et 365 jours par an pour tous vos besoins en réconfort, câlins et petits poutous sur le bout du nez contre ce monde qu’il est trop moche sinon.
Lorsqu’un sinistre se déclarera, vous aurez ainsi la possibilité de faire jouer votre couverture Bobo Psychologique ou Blessure Sentimentale, et faire ainsi intervenir les experts Demaerd. Notons que vous pouvez coupler votre contrat d’assistance Blessure Sentimentale avec un contrat du Trust Demaerd Hard Facts qui vous fournira un coach individuel pour bien vous briefer sur la réalité, la façon dont le monde marche en vrai et vous sortir les phalanges des conduits sombres dans lesquels vous les avez fourrés. Mais – et c’est important de le souligner – ce couplage de contrats n’est qu’une option et la plupart de nos clients se contentent fort bien du Premium Petits Câlins et Gros Poutous.
A titre de remarque, vous pourrez spécifiez l’étendu des dommages que vous avez subi au moyen d’un formulaire dont une copie est fournie ici à titre indicatif.
Pas de doute : le monde actuel devient de moins en moins gentil, mais Demeard est décidé à ne pas vous laisser pleurer dans votre coin !
Vous aussi, photo-journaliste, vous pouvez enfin trouver une épaule sur laquelle pleurer !
Faites appel à Demaerd Bisounoursland Security !
😀 excellent le formulaire !
J’ai très envie de l’imprimer et de le donner à un collègue…
Sinon, rien de neuf sous le soleil… « Si je ne sers à rien c’est la faute des autres qui refusent d’acheter mon truc inutile. »
On dirait un reportage sur le dernier sabotier d’Auvergne dans le JT de JP Pernaut.
« J’ai très envie de l’imprimer et de le donner à un collègue » : allez-y, faites tourner !
désolé…
les arguments sur la fin du photo-journalisme sont betes a manger du foin.
Excellente l’idée d’imprimer ton constat, H16. J’en garderai toujours un sur moi, des fois que je heurterais un peu trop violemment à la sensibilité d’une pleureuse.
Moi aussi j’avais commis un article sur le photojournalisme jadis : http://mondodingo.blogspot.com/2006/08/internet-et-la-technologie-change-les.html
L’article est pas mal et mériterait d’être réactualisé (ou d’avoir une suite) tenant compte des développements récents…
Dans le même genre, le patron de TF1 Vision indique qu’il ne peut pas baisser les prix de ses séries en location à cause du piratage.
Alors que s’il n’y avait pas de piratage, bien sur, il les baisserait.
ils voulait parler des taxes bien sur 😀
« la tenue d’états généraux »
Comprendre : 4500 nouvelles putes sur le trottoir des subventions publiques.
Excellent ! Je garde aussi le formulaire bien au chaud ! 😀
Outre du photojournalisme , c’est tellement représentatif de la mentalité française popu installée comme une grosse poule pondeuse dans son nid depuis les années 70…et qui m’avait tant frappée dès que j’eus un peu de familiarité avec les blogs …
…et que , bien entendu , j’ai combattue, illico …à ma façon…
Mais j’apprécie beaucoup celle – ci ( façon ) , particulièrememt sarcastique …