Ces derniers jours, pour bien tester mon régulateur de vitesse sur ma 2CV Tuning Prototype Injection, j’ai eu l’occasion de faire pas mal de route, et, pour différentes raisons qu’il serait oiseux de détailler ici, j’ai dû me contenter de la radio de bord sur mon système superbass-booster 2×5000 Watt à fond. J’ai donc pu goûter avec délice les merveilleux programmes disponibles sur une bonne partie du territoire français, et notamment les chaînes France-* (Info, Inter, Musique, Culture, Autoroute) qui sont à peu près les seules qu’on capte bien sur l’autoroute…
Et là, quelle ne fut pas ma surprise, au milieu du flot de décibels, de découvrir que la France dans son ensemble était contre, toute contre, le CPE… Il n’y avait plus que ça : dans les flashes infos, dans les appels d’auditeurs, dans les émissions & talk shows avec invités. Et quand ce n’est pas la France entière qui exprime directement son avis contre le CPE, ce sont les journalistes, grâce à leurs mouvements de grèves, et à leurs petites remarques au passage (“pas d’émission hier à cause de la grève, pas d’émission mardi prochain car mouvement social, etc…”) ; et puis le mouvement déborde la France : même Sharon Stone, qui avait vraiment besoin de parler (elle n’a peut-être pas d’amis, que voulez-vous), s’est positionnée contre le CPE.
Bref, les média et toutes les molécules d’air violemment pulsées par mon 2×5000 Watts sont unanimes : la France est contre le CPE…
Oui mais voilà, je suis pris d’un doute. Moi, par exemple, je m’en fiche. Je pense que CPE ou pas, la situation de l’emploi en France ne va pas changer. L’éventuel bénéfice d’une mesurette comme le CPE sera, sur le plan macro-économique, de toute façon totalement gommé par les mouvement sociaux qui ont eu lieu avant, pendant et après ce “débat”. Serai-je le seul à m’en tamponner le coquillard ?
Autre doute : le CPE, sensé concerner les jeunes de moins de 26 ans n’ayant pas trouvé un emploi, semble surtout mobiliser les jeunes qui seront peut-être sans emplois, mais pour la plupart, avec plus de 26 ans une fois leurs (longues) études terminées. Les apprentis, les artisans, les professions libérales, de toute façon, ne sont pas concernées. Le chômage pour un futur plombier, un futur électricien, un futur serrurier, ou un futur dentiste, je n’y crois pas trop. Mais je suis un libéral à mocassin, aussi dois-je avoir une vision idiote du monde, peut-être. Mmmh ?
Encore un doute : les foules concernées, pardon mo-, mo-, motivées ! par le retrait semblent fort hétéroclites : on y retrouve beaucoup de syndicalistes pur sucre (dans la catégorie : job qui n’en est pas un, je pioche “politicien” ou “syndicaliste”), beaucoup de profs, beaucoup de fonctionnaires, beaucoup d’assimilés travaillant dans des entreprises publiques, semi-publiques, para-publiques ; on distingue un paquet de personnes dont l’âge est très supérieur à 26 ans. Ah oui, j’allais oublier, on trouve aussi des casseurs, des anti-casseurs, et des CRS…
En coupant ma stéréo bass-bosster 2×5000 Watts (qui donne un peu mal au crâne, soit dit en passant), je réfléchissais rapidement à la constatation suivante : le crédit apporté dans les média à toute cette masse bizarre et gloubiboulguesque est … étrangement élevé.
Faisons le compte : les gens qui sont pour le CPE ne vont pas manifester : ils sont pour… Les gens qui sont contre les blocages des facs, ou contre la grève, contre les manifestations ou contre un mouvement récupéré par les syndicalistes et / ou les politiques, indépendamment de leur position face au CPE, ne vont pas manifester non plus. Les gens qui ne sont pas concernés par le CPE ne vont pas non plus aux merguez-parties (sauf ceux qui aiment les merguez, et encore). Les commerçants, les artisans, qui voudraient bien bosser sans être enquiquinés par ces mouvements ne vont pas manifester. Ils vont bosser. Tous ces gens, qui ne vont pas manifester seraient-ils moins nombreux que les autres ?
A en croire le flot de témoignages des radios d’état (n’oublions pas que l’état y est principal sinon seul actionnaire, et que les journalistes qui y travaillent y sont donc, techniquement, fonctionnaires), il existerait bien un artisan, dans la Drôme, opposé à la grève, et un cadre dynamique, dans le Lubéron, qui est clairement pour le CPE. Aux dernières nouvelles, un étudiant de Dauphine, probablement ultralibéral aux dents longues, serait contre le blocage des facs et pour le CPE, le petit fat. Mais c’est tout. Avec moi, cela fait quatre. D’après les média étatiques, et, bizarrement aussi, une extraordinaire partie des autres média, la France compte quatre ou cinq personnes résolument opposées d’une façon ou d’une autre à l’immense bordel indescriptible qui secoue une fois encore les principaux boulevards des villes de France.
Et pourtant, le parlement était majoritairement pour. La démocratie, dont se gargarisent les socialo-caramels (dur autour, tout mou dedans), qui a placé ces parlementaires à leur place en déléguant le pouvoir de décision de chacun dans leurs mains ne semble pas fonctionner : ils semblent avoir voté n’importe quoi, quelque chose que la rue, et ses un deux cinq vingt-huit millions de manifestants rejettent avec force cris et anathèmes belliqueux.
Etonnant pays où le nombre importe peu, où seul le nombre de décibels compte, où les média, sourd d’une oreille et hypersensibles de l’autre, perdent toute objectivité à mesure que les individus orientés qui forment leurs rangs trouvent dans les événements des supports de leurs convictions personnelles, au mépris de toute neutralité…
En rangeant ma 2CV Sporster Twin-Injection Tuning au garage, et en nettoyant les petits glands de mes mocassins de libéral mangeur d’enfants, je me disais que, finalement, tout ceci ne va pas nous amener bien loin :
- Villepin reste, trouve une voie de sortie et retire ou dénature son projet : la situation de l’emploi en France ne va pas changer.
- Villepin démissionne : son remplaçant, galvanisé par le succès flamboyant de la réforme possible dans ce pays, se lance dans une remise à plat de tout le système… Non, je rigole. Son remplaçant, ayant perdu la demi-c*uille du gouvernement tout entier dans l’âpre bataille du CPE, se trouvera fort démuni quand la bise viendra, et se contentera de repeindre les lambris de Matignon en attendant mai 2007. Et la situation de l’emploi en France ne va pas changer.
- une petite quantité des couineurs de pacotille vont devoir passer des examens dont la valeur sera sans doute estampillée “grève”. Le millésime 2006 du bac risque fort d’être encore moins brillant que le 2005, pourtant bien aigre. Et pour les autres diplômes, ils feront une joli décoration dans les chambres d’ “étudiants”, mais ne serviront pas plus (que Villepin ou le CPE restent ou pas)… Leur situation, face à l’emploi, en France, ne va pas changer.
Quant à la majorité, silencieuse, qui ne dit pas grand chose mais n’en pense pas moins, elle fourbit ses armes. Certains partent de ce pays. D’autres ont déjà repéré ceux qui étaient dans les manifs, et ne seront jamais leurs prochains patrons. Les autres attendent, calmement, que l’édifice s’effondre…
Au moins, mon régulateur de vitesse fonctionne.
C’est déjà ça : quand je me casserai de ce pays, je le ferai, mo- mo- motivé, à vitesse ré- ré- régulée.