Pour qu’une entreprise, un serveur de jeux-online, un forum internet, etc… fonctionne correctement, une seule solution : que les participants acceptent les règles fixées par le propriétaire des lieux. Pas poli, mauvais joueur, hors sujet, trop mou, trop con, inefficace : dehors. On est finalement très loin, dans ces lieux, de la démocratie. Mais on assiste, en France notamment, à un changement très symptomatique de cette règle pourtant simple.
Il existe un type de forum très particulier, celui constitué par un blog. Il s’agit essentiellement d’une suite de commentaires, avec pour les blogs les plus sophistiqués, la possibilité de véritables fils de discussions imbriqués.
Et dans ce cadre, il n’est pas rare qu’un billet bien tranché provoque une salve de réactions parfois ulcérées, voire des demandes de compte de la part de certains lecteurs (dans la veine « Mais qui vous permet d’écrire de telles choses ? »). J’ai eu l’occasion d’assister, sur certains blogs « généralistes », à des appels au retrait d’un billet qui contrevenait clairement à la bonne conscience de certains lecteurs habitués. Qu’on vire les malpolis et les appels au crime antirouge rasciste passe encore, mais quand la volonté dans ces cas là est de faire taire un discours articulé, il est évident qu’un glissement de sens s’est opéré quelque part…
Il est véritablement fascinant de voir à ce propos que le discours moralisateur abhorré a glissé de la population catholique intégriste d’autrefois à la population gauchiste ; pas d’erreur, ce sont les mêmes, en cela qu’elles occupent des places très similaires dans leurs cultures respectives…
Dans le cadre des commentaires ajoutables à la suite d’un article de presse (par exemple sur le site de Libération), la « modération » agit. Je le sais, j’ai déjà [1] envoyé des messages articulés qui n’ont pas été publiés. Pas vraiment étonné. Et ça me gènerait pas si on ne voyait pas un niveau si bas (voir étronnesque) affiché avec complaisance dans les messages qui survivent jusqu’à la publication…
Là encore, on assiste à un glissement sémantique du terme « discussion » ou « commentaires » sur un sujet d’actualité. De nos jours en effet, l’essentiel de l’action consiste en ce qu’on appelle du flammage : sur internet, une manie redoutée et prestement modérée voire sanctionnée partout sauf… sauf en France !
En substance, on assiste à l’application d’une règle tacite du style « Donne ton avis, lecteur : si ce n’est pas assez bienpesant, tu te feras insulter, mépriser et dénigrer, et ce sera très drôle pour nous, modos ». Ainsi, une réponse comme: « Non mais c’est quoi ça ? C’est n’importe quoi ! T’as rien compris. » n’est pas une réponse digne d’un forum, qui, rappelons-le, est un médium permettant la relecture, l’argumentation point par point, bref, permet le luxe du temps de réponse et de penser… Non, ce genre de réponse, c’est du flammage. S’il vous prend un jour l’envie de parler en direct à – mettons – un canadien comme ça, il existe une forte probabilité qu’il vous mette sa Molson Dry au travers de la tronche, flegme ou pas. C’est juste incroyablement malpoli, irrespectueux et inapte à la conversation… Et extrêmement courant en France.
C’est tellement courant que c’en est même quasiment devenu le mode d’expression standard : « Le premier qui me contredit est un facho ». Bien souvent à l’étranger, on évite de parler politique avec les amis qu’on ne connaît pas encore bien. On préfère être ami avec une personne d’idées différentes plutôt que rejeter quelqu’un de pas assez à gauche ou à droite. Dit comme ça, cela paraît bête à dire, mais il est un fait que seulement en France, j’ai vu mes prétendus amis snober d’autres de mes amis uniquement parce qu’il n’avaient pas « l’air assez à gauche » ; et j’ai vu ceci arriver souvent, pas du tout oh nooon pas du tout rare…
Autre média, même problème : c’est la télé qui fait l’actualité en France et non l’inverse, ça tout le monde le sait. Le Francais, qui se moque du Ricain et de ses 250 chaînes, réagit pourtant comme un petit chien bien dressé à tout ce que lui dit son maître, le Grand Vu-Ala-Téle. Tout le monde le sait ?
Apparemment, les média, eux, ne sont pas au courant. Ou alors, de façon épisodique, en utilisant les émissions comme Arrêt Sur Image comme caution d’un travail d’auto-évaluation nécessaire mais très rare, et à la façon d’un schyzophrène qui oublierait tout ce qu’il a bien pu faire lorsqu’il change de personnalité…
Alors, oui, bien sûr, depuis les 80s et ‘We Are The World’ (ou que sais-je), on se dit avec bienpensance que le rôle de la presse, c’est justement de mettre à jour les affaires, de faire plier les grands zet les puissants, d’élever le niveau de connaissance de la plèbe (bizarrement, les gens qui faisaient ça auparavant avaient promptement la tête tranchée, allez savoir pourquoi). Mais seulement, si jamais on ose prétendre que le concours de brûlage de voitures, la fête du CPE et l’Affaire Flots Clairs sont des exploitations directes de la façon dont les journaleux et les prêtres télévisuels de l’info font leur beurre travaillent, on se fait décapsuler. Je pourrais dégoiser pendant des heures sur ce silence tacite obligatoire, mais j’ai un petit exemple rapide, vu sur un forum de Libération (eh oui) :
Premier post :
Dans la série, VIVE LES JEUX DE MOTS, l’exemplaire journal « LIBERATION » décroche une nouvelle fois la palme d’or : « le corbeau présumé quitte sa branche – jeudi 11 mai 2006». Je suis admiratif. Quelle ingéniosité ! Tant d’effort, d’imagination pour attirer notre attention.
Mais au fond quoi de neuf ? Une seule chose : l’affaire se complique ! Et oui elle se complique car comme vous le savez la VERITE EST AILLEURS ! Ailleurs certes, mais bel et bien présent dans la presse.
Malheureusement ! Et quelle presse ? La presse d’investigation ou bien la presse purée ? Une presse « cherchons partialement et patiemment la vérité » ou bien la presse « destruction massive, haro sur le bodet, je t’explose et je t’éparpille – après je vérifie » ? La presse « je ne peux pas me permettre d’avancer et d’accuser sans preuve » ou bien la presse « je veux prendre tout le monde de vitesse » ?
Quoi qu’il en soit, jetons aux orties les mots vulgaires tels que éthique, déontologie… et soyons fiers de notre presse « prostitution » prête à racoler à toutes occasions car quoi ; il faut bien vendre ! Et puis n’oublions pas cette sacro-sainte liberté de la presse !
La vérité du moment est pourtant simple à dire : « Nous sommes incapables pour le moment de démêler le vrai du faux. Nous ne connaissons pas l’ensemble du dossier. Les informations à notre disposition ne sont que parcellaires voire erronées et nous imposent de ne tirer aucune conclusion définitive. Par mesure de précaution et afin de ne pas répéter les erreurs passées, dans des affaires similaires nous avons décidées en comité de rédaction de ne plus aborder cette affaire dans nos éditions et ce pour une période indéterminée afin que la justice de notre pays puisse avancer sereinement sur ce dossier. »..
Réponse 1 :
L’UMP villpineste est en train d’envoyer des sous-marins internautes.
La manipulation continue, après être passée par la volonté de compromettre Sarko, le PDG d’EADS, l’affaire des frégates enquêtée par le juge qui vient, lui aussi, d’être compromis pour qu’il arrête d’enquêter et ne pas trouver les 300 000 millions de F de qui vous savez.
Arrêtez, vous allez me faire vomir
Réponse 2 :
Prolongeons par une question qu’on peut toujours se poser vu que nous causons dans un média tout nouveau, tout beau: les forums. Dans quelle mesure les partis politiques, de droite comme de gauche, n’envoient-ils pas, en service commandé, des militants faire de la retape sur les forums politiques ? Sorte d’échauffement de pré-campagne en quelque sorte.
Franchement, la question du premier post m’intéressait…
Mais les réponses ne sont ni une analyse de la question et de ses implications, ni même une contradiction. Juste hors-sujet.
C’est deja assez gênant en général de répondre à côté de la plaque, ça ne démontre pas une grande capacité à l’écoute.
C’est, pour continuer, particulièrement retardé de répondre: « Cette question provient d’un sous-marin de la droite tentant de noyer le poisson ». Il fallait oser.
Mais ce qui me paraît le plus affreusement bête dans ce cas, c’est que le « modérateur » de Libé a osé publier ses posts plutôt que d’autres. Ca l’amusait, le comique ! Il a du se dire : « Tiens, ça c’est jeune, c’est vif, c’est tranchant comme réponse, publions le ! »
Exemple isole? Bien sûr bien sûr, juste un cas à part, dans le pays où un bon journaliste, c’est Faugiel ou Ardisson…
Notes
[1] il y a longtemps, maintenant je me contente de lire, goguenard
"Apparemment, les média, eux, ne sont pas au courant. Ou alors, de façon épisodique, en utilisant les émissions comme Arrêt Sur Image comme caution d’un travail d’auto-évaluation nécessaire mais très rare, et à la façon d’un schyzophrène qui oublierait tout ce qu’il a bien pu faire lorsqu’il change de personnalité…"
Bien vu. C’est exactement l’impression que me donne cette émission : un faire-valoir déontologique.
J’ai vécu très exactement cela il y a quelques années, sur le forum du Figaro.
J’ai depuis abandonné l’affaire, jugeant inutile de se battre contre de tout-puissants modos.
Même mon au-revoir aux forumeurs fut censuré!