Quand un événement médiatique secoue le monde, on peut adopter deux attitudes. On peut tenter de comprendre ce qui est relaté, voir sous ses yeux l’Histoire s’écrire ou se faire réécrire. On peut aussi se demander pourquoi un événement devient médiatique. La première question, c’est celle qui fait vendre le papier du journal qu’on lit, les plages de pub qui entrelardent le 20H qu’on regarde. La seconde, c’est celle que tous les média veulent nous faire oublier.
Pour un illusionniste, il n’y a de pire déroute qu’un tour dont tout le monde connaît le truc, ou qui foire lamentablement en dévoilant les tenants et les aboutissants.
Quand on paye un magicien, on ne paye pas pour voir quelque chose de merveilleux, d’impossible ou de magique se passer devant nous : au-delà d’un certain âge, on sait pertinemment qu’il y a un truc, que c’est bidon. Mais si on paye, c’est, tout en sachant le truc, pour se laisser berner.
Avec la presse, a-t-on toujours conscience qu’on est dans le même cas de figure ? A-t-on toujours à l’esprit que les média sont des illusionnistes et nous présentent une version de la réalité qui nous permet, encore, de nous émerveiller, de nous faire peur, de nous faire pencher dans un sens ou l’autre ? Parfois, on est perplexe devant la réaction du système médiatique dans son ensemble et de ses créanciers (nous tous) : il semble évident qu’il ne faut jamais prendre une information délivrée par autrui sans se demander pourquoi elle a été délivrée à ce moment, pourquoi celle-ci, pourquoi à nous, pourquoi de cette façon. Cette légitime prudence est pourtant souvent oubliée.
Et on peut illustrer ceci avec deux cas récents : le montage en épingle des petites phrases sarkosiennes sur la justice, et le montage en épingle des petites phrases papales sur la violence et l’Islam.
Pour le premier cas, le décor est planté lorsqu’on rappelle que Sarko, dont la verve est connue, a récemment dénoncé le laxisme dont ont fait preuve certains magistrats. Il va de soi que la gauche, tel le drogué sur son petit fix journalier, a bondi sur l’occasion : une pareille dénonciation de la part du Ministre de l’Intérieur équivaut, disent-ils, à un constat d’échec de sa politique. C’est de bonne guerre, on voit mal les rigolos des Partis Socialistes Français Eparpilles Sans Programme admettre que Sarko aurait un tantinet raison. Que certains des magistrats s’offusquent, on peut le comprendre aussi : après tout, ce n’est jamais agréable de se faire traiter de branleur ou d’incompétent.
Maintenant, pourquoi diable un tel barouf autour de la séparation des pouvoirs ? Sarko, d’après les magistrats et la presse qui a relayé cet aspect dès qu’il est apparu (assez vite d’ailleurs), aurait empiété sur le pouvoir judiciaire. Pour ma part, à tort ou à raison, il a simplement exprimé une opinion, avec sa « diplomatie » habituelle et calculée.
Et en parlant de diplomatie calculée, on comprend mieux : ce que veut le petit Nicolas, ici, ce n’est pas tant disposer d’une justice efficace que disposer d’une tribune gratuite de ses idées.
Ceci étant posé, ou bien les journalistes qui reportent ses propos sont conscients de ce calcul, et l’on ne peut arriver qu’à la conclusion qu’ils veulent aller dans le sens du ministre, ou créer un événement de toute pièce. Ou bien, ils n’en sont pas conscients, et on peut se demander pourquoi ils continuent ce métier. Ne pouvant parier sur leur hypothétique stupidité, et ne me résolvant pas à croire à la collusion complète de tous avec le ministre, on ne peut que conclure qu’ils veulent créer un événement de toute pièce…
Si l’on regarde à présent les propos du Pape, on retrouve le même mécanisme. Un discours assez théorique, prononcé dans un cadre formel, relativement long, aura marqué par une seule phrase issue d’un dialogue assez vieux (XIVe siècle) tenu dans un contexte très différent et en dehors de toute volonté du politiquement correct, concept inexistant à l’époque. Dans le reste du discours, le Pape convient ainsi sans problème de la façon abrupte dont sont posés les termes du débat entre les deux personnages (Manuel II Paléologue et un Persan cultivé). Ces propos lui servent d’illustration à l’importance de la raison dans la religion (on pourra d’ailleurs lire avec intérêt ce site sur les commentaires du Pape après le début de la polémique).
Là encore, quel jeu jouent donc les artistes de l’illusion informative ? En effet, pourquoi citer seulement cette phrase et pas l’analyse ou la synthèse du discours attenante ? Pourquoi prendre cet extrait acide et le jetter en pâture aux populaces du monde, qui, le journaliste le sait pertinemment, n’aura pas le reste du discours pour en juger toute la portée, en connaissance de cause ?
Là encore, il s’agit de créer l’événement. Le journaliste se retrouve non plus dans la position de celui qui recueille l’information et la transmet, mais bien dans la position de celui qui la crée.
C’est regrettable. Le chroniqueur et le journaliste peuvent créer de l’information sous la forme d’une synthèse, d’une analyse ou d’un commentaire de l’actualité ; en tant que tels, ces exercices sont nécessaires à la réflexion. En revanche, participer à la création d’un événement de toutes pièces pour ensuite fabriquer du bruit autour, puis tenter des analyses alors qu’on est soi-même responsable et acteur de ce phénomène fait partie d’une démarche intellectuelle étrange, quasi schizophrénique. Bien qu’il apparaît clair qu’un journaliste totalement neutre est une chose impossible et probablement pas souhaitable, verser dans l’excès inverse du journaliste non seulement impliqué mais directement responsable du buzz n’aboutit finalement qu’à délivrer une information dont les tenants et les aboutissants deviennent de plus en plus suspects.
Dans le cas de Sarko, on est en droit de se demander si le journaliste ne se fait pas l’écho volontaire et actif d’un certain populisme, soufflant discrêtement sur les braises existant entre la magistrature et la police. Dans le cas de Benoît XVI, on peut là encore s’interroger sur la vision caricaturale que ceux-ci présentent de la religion islamique vue par le Pape ; vision d’autant plus étonnante qu’ils s’étaient fait, à l’époque, le relai enflammé de la liberté de penser et d’expression lors des caricatures du prophète. Quel est leur but au-delà de faire du papier ? Montrer un clivage profond entre les religions monothéistes, ou, plus séditieusement, créer ce clivage, l’approfondir, pour ensuite récolter les fruits d’une tempête artificielle ?
Tout ceci tend à faire penser que la presse officielle grand public, en cherchant le sensationnel et le tirage à tout prix, ou peut-être mue par des intérêts ou des agendas politiques douteux, est lentement en train de saborder son navire. A la faveur des média en ligne, de la disponibilité tous les jours plus grande de l’information originale en direct pour le consommateur, la valeur ajoutée de la presse traditionnelle réside dans la qualité de la collecte et de l’analyse de l’information.
Force est de constater qu’avec de telles méthodes, le doute sur la qualité s’installe durablement. Quand un producteur vend un produit à la qualité de plus en plus douteuse, il peut s’attendre, un beau matin, à perdre des clients…
Concrètement, pour ces affaires très révélatrice est très justement décrite ici, l’individu a qu’une alternative :
– soit il se laisse porter par le courant générale de la (dé)information. Lecture rapide de journaux gratuits et visionnage de télévision. C’est agréable et simple comme la propagande…. et reste dans l’ignorance.
– soit il fait un effort et peut trouver des informations plus proche de la réalité car elles sont toujours quelque part. Sans même bourse délier, tant Internet peut beaucoup révéler si on sait bien l’utiliser. La presse payante est parfois intéressante, mais ça demande du temps de bien la connaître et de bien la lire.
En fait, l’effort est toujours récompensé. Mais qui fait encore des efforts de nos jours ?
Et surtout, n’est-ce pas là, dans ces efforts personnels, qu’on va creuser la tombe des média traditionnels ?
Le rôle de la presse présenté de cette manière me rappelle un récent James Bond où le méchant est un magnat des médias qui cherche à créer une guerre pour mieux la couvrir ^_^
Tout est question de point de vue (disait Obiwan) : on peut rester embourbé dans le marasme gluant de la presse traditionnelle ou faire preuve d’un peu de curiosité et s’intéresser au même sujet avec un autre éclairage.
C’est mal, la curiosité est un vilain défaut. Bouh, h16, pas bien !
^_^