Quand nos élus travaillent, ils légifèrent. Généralement, sur des sujets d’actualité, avec force débats tumultueux à l’Assemblée. Ils sont payés pour, cela tombe bien. Quand ils s’ennuient, ne sachant pas quoi faire, ils légifèrent aussi. Sur des sujets qui leur passent par la tête. C’est plus gênant, car ils n’ont pas été élus sur ces propositions. Et ce qui est encore plus agaçant, c’est que légiférer pour le plaisir, c’est pondre des lois, donc des contraintes, donc diminuer d’une façon ou d’une autre nos libertés.
Cette fois-ci, c’est le sénateur Sueur, du Loiret, qui devait vraiment s’emmerder ferme pour, au sortir de sa léthargie, pondre un texte hallucinant. Sans doute notre élu effervescent a-t-il été choqué par les aventures des cendres dans The Big Lebowski, toujours est-il que son projet de loi porte sur la crémation. D’après notre besogneux représentant, il est nécessaire de légiférer. Quelques extraits sont nécessaires tant l’ubuesque de la situation est grand.
Il n’existe à ce jour aucune loi dans notre pays relative au statut des cendres des personnes dont le corps a donné lieu à une crémation. La France est, à cet égard, une exception en Europe, tous les autres pays européens ayant adopté des législations à ce sujet.
En somme, si d’autres états font des choses sans intérêt, pourquoi nous en passer ? S’ils ont les moyens de payer des sénateurs pour passer du temps sur des questions essentielles (au lieu de baguenauder dans les méandres des assemblées pour papoter de, je ne sais pas, mettons, le chômage, la sécurité sociale,…), après tout, faisons-en autant !
Pourquoi légiférer ? A celà, trois raisons, nous propose le sénateur :
Aujourd’hui, la chronique est abondante des avatars que connaissent – dans une minorité de cas, c’est vrai – les urnes contenant les cendres issues de la crémation. On en trouve dans des décharges municipales. On en découvre aux «objets trouvés». Certaines sont oubliées, lors des déménagements, dans les caves ou les greniers… Cette liste, qu’on pourrait allonger, témoigne à l’évidence de manque de respect. C’est pourquoi l’article premier de notre proposition stipule que les cendres issues de la crémation doivent être considérées avec «décence, dignité et respect». Ce seul article serait-il adopté qu’une part importante du vide législatif dans lequel nous sommes aurait été comblée.
Car, tout le monde le sait, une fois que la loi sera votée, ces négligences vont disparaître. Pouf-shazam. Ah, non ? Alors, pourquoi une loi ? Pour punir les coupables à la morale et à la bienséance, pardi ! En gros, c’est pour toucher les sous des amendes perçues, non ? Ca sous-entend la création d’une police spécialisée dans le traffic d’urnes funéraires, par exemple (nouveaux impôts, nouveaux fonctionnaires) et de nouvelles amendes, procédures et tarifications en fonction des contre-danses qu’il sera nécessaire de mettre en place. Savoureux.
Il est, en second lieu, nécessaire de légiférer pour préciser les modalités de conservation et de dispersion des cendres. Je propose qu’on s’inspire à ce sujet des lois laïques et républicaines qui, depuis plus d’un siècle, régissent les cimetières. L’urne doit pouvoir être conservée au sein d’un caveau ou d’un columbarium. Mais les columbariums sont aujourd’hui trop peu nombreux. D’où la nécessité que la loi prévoie leur construction dans l’ensemble des communes d’au moins trois mille habitants.
Et qu’on dépense donc encore une fois l’argent du contribuable dans quelque chose dont tout le monde se passe fort bien jusqu’à présent. Après tout, ce n’est pas l’argent de Mr. Sueur, c’est le nôtre, il s’en fiche, le comique. En plus, il est probablement plus près d’être dans l’urne que dans la position de celui qui paye, non ?
La dispersion est possible au sein des «jardins du souvenir». Mais ceux-ci doivent répondre à des normes. Comment accepter ces espaces exigus qu’on rencontre trop souvent ? La dignité et la décence exigent que les jardins du souvenir soient de vrais jardins, d’une surface suffisante, et d’une belle qualité paysagère. La dispersion doit aussi être possible, lorsque c’est le voeu du défunt, dans un espace naturel.
Car Mr Sueur sait ce qui est bon pour le défunt ; mieux que sa famille, même. Et les espaces exigus, dans les cénacles de la république, comme le précédent Gaymard nous le rappelle, on s’en protège tant qu’on peut.
Mais dans les deux cas, il est dommageable qu’on ne puisse garder la trace – la mémoire – de la personne dont les cendres ont été dispersées. D’où l’importance que son nom puisse être inscrit à proximité du jardin du souvenir ou que, lorsqu’il s’agit d’une dispersion dans un espace naturel, celle-ci soit déclarée à la mairie. Garder la trace, la mémoire : est-il une civilisation qui n’y fut pas attachée ?
Et ne faisons pas confiance aux gens pour ça, ni même au marché : l’état peut mieux faire, comme pour tout le reste ; les exemples abondent d’ailleurs de domaines où le marché n’a jamais fait aussi bien que l’état, qui, dans sa clairvoyance, est à même de produire des services plus finement adaptés aux demandes individuelles. Et puis, garder la trace, la mémoire, est-il une civilisation qui n’ait pas eut recours à l’état pour y parvenir ?
Reste une question difficile, celle de l’«appropriation privée» de l’urne. Certains tiennent beaucoup à garder à leur domicile l’urne recueillant les cendres d’un être cher, dès lors que celui-ci a prévu de son vivant qu’il en soit ainsi. D’autres font observer que les conflits sont fréquents à ce sujet, plusieurs proches du défunt revendiquant de garder l’urne, ou s’indignant de ne pouvoir se recueillir («faire le deuil») devant les «restes humains» d’un être cher, dès lors qu’ils doivent, pour ce faire, se rendre en un lieu privé alors que chacun peut, dans un cimetière, se recueillir devant les restes de chaque personne. Il pourrait être justifié de distinguer, à cet égard, entre les périodes. L’appropriation privée des urnes pose, en effet, le problème de leur statut à long terme, lorsque la personne qui en est dépositaire disparaît à son tour : on peut difficilement, à mon sens, considérer les cendres comme un «bien» comme un autre ou une «copropriété familiale», même si une juridiction en a décidé ainsi. Le législateur doit, en tout cas, se saisir de cette question.
Il fallait bien ça : une loi pour protéger non pas les morts, mais les morts dépositaires des morts. A quand une loi pour protéger les dépositaires des dépositaires des morts ? Enfin, l’état a remarqué que la famille et la société civile n’étaient manifestement (?) pas assez adulte pour trouver une solution à ses problèmes d’urnes. Il a donc décidé, dans sa grande clairvoyance (qu’on a déjà signalée) qu’il serait nécessaire de bien définir qui aurait quoi : qui aurait quelle partie de l’urne, combien de grammes seront répartis, en fonction des descendants, etc… Après la maîtrise comptable de la santé, le sénateur Sueur nous propose la maîtrise comptable de la cendre. On touche au pathétique.
En plus, un peu d’agitation médiatique sur cette question ridiculement accessoire ne peut que faire du bien quand on voit la tristesse de l’actualité quotidienne.
Enfin, une ordonnance publiée le 28 juillet dernier rend possible la création, par délégation d’une commune, de sites cinéraires privés (et donc de columbariums et de jardins du souvenir privés). Il y a là une rupture avec toute la tradition républicaine qui, si elle était confirmée, ouvrirait la porte aux cimetières privés. C’est la troisième et dernière raison pour laquelle le Parlement doit se saisir de cette question. Que ce nouvel avatar de la «financiarisation» de la mort puisse être ainsi inscrit au détour d’une ordonnance estivale ne saurait laisser indifférent : ces sujets austères induisent, en effet, des choix de société de première importance.
Car ce qui existe pour les cimetières, comprenez vous, n’a rien à voir avec la financiarisation de la mort. Et les pompes funèbres non plus. En plus, il est totalement scandaleux que des gens puissent faire commerce de la mort, comme cela se pratique depuis des millénaires. Après tout, il est clair que la société, depuis des millénaires, fournit sépulture à ses morts. Depuis des millénaires, la société met en place des rituels pour le deuil. Depuis des millénaires, des professionnels vivent de l’art particulièrement délicat de l’embaumement, l’incinération, la mise en bière, tout autant que de la cérémonie elle-même et de l’accompagnement des défunts autant que de leurs proches. Mais non, il faut que ceci cesse : cette orgie capitaliste sur le dos des morts n’a que trop duré. Par contre, il conviendra de changer son fusil d’épaule et de toute faire pour conserver les traditions quand on invoquera les millénaires écoulés au souvenir et à la mémoire…
Ou bien Mr Sueur est hypocrite, ou bien il est illogique. A tout le moins, ceci révèle une belle incohérence dans le discours.
Non seulement l’état s’insinue dans notre vie, au quotidien, dans le moindre geste que nous faisons, mais encore faut-il que des sénateurs goulus du tout état nous imposent ce dernier par delà notre mort.
Indécent.
D’ailleurs, à quand une taxe sur la mort?
Ah merde, ça existe deja, les droits de succestion…
Warf ! Un seul commentaire … Il y avait une épidémie de grippe ce jour là , où ils était tous aux abonnés absents.
Le 1er commentaire au-dessus de toi, c’était 27 jours après l’article !
Ah ! Oui ! Bien vu …
Et onze heures à ajouter aux 27 jours…
Ta légendaire précision aurait-elle souffert de la louche aristarkienne ???
:-S
Tu supputes que le maître des lieux envoyait déjà ses billets par porteur spécial à 9 zéro zéro.
Cet article aurait pu paraître le 2 novembre 2005 à 23h 59 mn donc moins de 27 jours. 😉
Bah,
– l’un y va avec sa grosse louche…
– l’autre y va avec sa grosse loupe…
🙂
C’était à ses tous débuts…
Mais déjà Monseigneur transparaissait sous l’enfant de choeur…
J’en ai profité pour aller voir sur le Net ce qu’il était advenu de ce sénateur socialiste (Sueur) : décidément ça s’arrange pas !
(lefigaro.fr 17/04/2014)
Un sénateur s’inquiète des «QR Codes» dans les cimetières
[….]
Mais Jean-Pierre Sueur s’interroge sur le contenu renvoyé par ces «QR codes», qui pourrait échapper au contrôle des autorités.
lefigaro.fr/politique/le-scan/insolites/2014/04/16/25007-20140416ARTFIG00351-un-senateur-s-inquiete-des-qr-codes-dans-les-cimetieres.php
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Il a mal vécu un truc ce gars là.
De la viande avec un code barre. C’est sûr, il le vit mal.
C’est pour pouvoir mieux taxer. Raison finale… ou fistale…