The usual suspects

Quand un crime a été commis et que la police n’a aucune idée réelle des coupables, ou lorsqu’un suspect doit être présenté au milieu d’autres personnes neutres, elle rassemble ce qu’on appelle des « suspects habituels » (usual suspects). C’est une extension d’un mécanisme psychologique traditionnel qui consiste à chercher parmis ceux qu’on connaît bien les coupables des crimes et délits autour de nous. Actuellement, deux suspects reviennent systématiquement dans les conversations : la mondialisation, et les Américains.

Et comme ces deux suspects sont facilement identifiables, qu’ils sont larges, influents et particulièrement commodes, on ne se prive pas de les aligner à chaque fois que cela est nécessaire, c’est-à-dire essentiellement quand l’analyse, probablement trop compliquée à faire, a laissé place au message politique ou à la conviction intime partisane…

Ainsi, la mondialisation pourra être appelée en renfort dès qu’il s’agit d’expliquer une fermeture d’usine, une délocalisation, l’utilisation d’une main d’oeuvre pas chère, l’arrivée massive de produits bon marchés et l’attente à un marché local qu’on voudrait plus protégé. La mondialisation est devenue un terme sexy qui recouvre les flux financiers, les déplacements d’hommes, de marchandises, de technologies et tout ce qui est suffisamment vaste pour ne pas tenir dans une phrase explicative en Sujet-Verbe-Complément. Il est vrai que la faculté de suivre une subordonnée ou deux est maintenant de plus en plus rare…

La mondialisation est pratique car elle permet d’ « expliquer » pourquoi Mr Schmoll ferme son usine pour aller l’implanter en Paydasie, contrée scandaleuse où l’on ose payer les gens du crus 5$ par jour alors que chacun sait qu’en dessous de 1000, point de salut. Cette mondialisation est commode aussi, car elle explique pourquoi les flux financiers des Kapitalistes peuvent transiter là et ici, partout et ailleurs en même temps, en grossissant automatiquement de façon totalement artificielle (cela va de soi) et sur le dos des travailleurs exploités en Paydasie, ou au Tapasambal, autre pays terrible où tout le monde meurt à petit feu de la spéculation mondiale.

… En réalité bien sûr, la « mondialisation » est un phénomène vieux comme le monde, qui existe depuis que les hommes font du commerce et se déplacent pour vendre ailleurs ce qu’on produit ici, et inversement. Mr Schmoll ferme son usine pour s’implanter là bas car effectivement, la main d’oeuvre est moins chère, mais surtout, le pays de Mr Schmoll a subit un profond changement sur les 30 dernières années et est passé de l’industrie au service, voire au service de services, et que l’industriel y est devenu bien trop cher ; que les politiques se sont accrochés à l’industriel car il n’ont pas compris ce glissement, et une fois compris, ne l’ont pas accompagné mais ont tout fait pour le freiner. Et Mr Schmoll aurait bien voulu rester, mais les charges sociales et les freins à l’organisation interne de son entreprise sont tellement grands que les efforts déployés pour compenser avec une qualité supérieure ne sont plus suffisants. Et s’entêter à faire produire ici cher ce qu’on produit pareillement ailleurs, c’est se passer une corde au cou… Quant aux flux financiers, évidemment, ils n’existent que parce qu’ils sont sous-tendus par un commerce parfaitement réel, lui…

De son côté, l’ Américain constitue une autre cible de choix. La mondialisation avait ce défaut de n’être pas personnifiable.

L’Américain, lui, l’est totalement : tout le monde le sait, tout comme le Français se balade en bérêt avec une baguette sous le bras, l’Américain est gros, avec une chemise hawaienne, un appareil photo et un bob coca-cola vissé au citron. Au delà de l’image d’épinal, que presque tout le monde s’accorde à trouver, un peu, caricaturale, tout le monde sait bien que l’Américain est l’habitant d’un pays despote et impérialiste, qu’il se fout du tiers-monde, des pauvres et des gens sans couverture maladie comme de sa première chaussette, qu’il aime l’argent et nous emmerde, et qu’il adore tirer sur tout ce qui bouge avec ses gros flingue de cow-boys qu’il est, au fond, toujours resté depuis le XIXeme siècle. Sacré Johnny, va.

En plus, il nous envahit en nous forçant à boire son breuvage à bulle qui pique, on doit supporter ses mauvais films, sa mauvaise musique, et il a en plus eu l’impudence de venir nous aider par deux fois au siècle dernier et de nous le rappeler aussi souvent qu’il en a envie.

…En réalité, l’Américain de base est aussi proche de nous que nous de lui ; sa culture, nous la gobons à pleine gorgées parce que ce sont des gens intelligents (nous en sommes d’autres) qui ont compris le marketing, la publicité, et le merchandising bien avant nous. Et nous devrions avoir la décence de reconnaître que si nous allons tant voir les films américains, c’est peut-être parce qu’ils sont généralement meilleurs que les affolants nanars sursubventionnés franco-bobophiles vus par 150 pigeons avant un direct-to-DVD discret… Pour le reste, la psychologie de base humaine permet d’expliquer pourquoi les gens qui sont en haut de l’ordre de préséance n’ont généralement pas à attendre beaucoup d’aménité de la part de ceux qui sont en dessous.

Ne nous trompons pas : je ne suis pas du tout un américanophile béat. Il y a, aux USA comme ailleurs, bien des problèmes. Et ce pays est loin, très loin d’un idéal libéral (il en reste cependant plus proche que la soviétie française, qui n’a, elle, plus guère de conseils à recevoir, si ce n’est de La Havane, Pyongyang ou Pékin).

Mais force est de constater que lorsqu’un problème un peu général déboule dans notre pays, la mondialisation ou l’Américain ressort rapidement comme échappatoire rapide.

Il serait peut être temps de se demander pourquoi aller chercher ailleurs des coupables là où, généralement, une bonne analyse locale suffit amplement à trouver la source des maux.

La politique française est comparable à la démarche moyenne de l’utilisateur néophyte d’ordinateur : quand la machine déclare un problème, l’utilisateur décrête immédiatement que la machine se trompe, dit n’importe quoi et est la cause du problème. Les politiques français, lorsqu’un problème fait jour, décrêtent que c’est la mondialisation ou l’Américain (i.e. une organisation/ société/… américaine) où le système[1], en général, qui bogue. Mais eux, non.

Et pourtant… 99% des problèmes informatiques interviennent entre la chaise et le clavier.

Alors ?

Notes

[1] A ce sujet, l’Europe et Bruxelle, en tant que système, deviennent eux aussi des Usuals Suspects de plus en plus fréquents. On se demande pourquoi…

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