J’évoquais dans un billet précédent la pénible habitude qu’a contracté une partie de ces gens qui s’imaginent qu’en couinant suffisamment longtemps, suffisamment fort, ils obtiendront absolument tout, y compris les choses qui scieront à plus ou moins long terme la branche sur laquelle ils sont assis. Le tout est généralement vociféré en oubliant complètement, comme des autistes, que le reste du monde ne dispose pas de toutes leurs chances, qu’ils mettent un point d’honneur à gâcher en jérémiades continues…
Dans le registre des couineurs impénitents, on trouve ainsi certains artistes et certains stagiaires (j’insiste sur « certains »).
Les artistes tout d’abord, avec l’inénarrable remise des mini-Oscars, les Césars. C’est comme la cérémonie hollywoodienne, mais avec moins de paillettes, moins de stars, moins de glamour, moins d’argent, moins de prix et plus de Français ; la version pauvre franchouillarde, en somme.
Une remise de prix, en général, c’est d’un côté un magnifique parterre de femmes emperlousées et vêtues avec plus ou moins de bonheur, d’hommes en costumes plus ou moins chics, et, de l’autre, une scène ou un(e) hôte de soirée tente d’amuser la galerie en faisant durer le suspens par les ficelles traditionnelles d’enveloppes, de rappels des nominés, de petites vannes, d’hommages et l’utilisation accessoire d’un ou deux intervenants ad hoc.
Pour les Césars, c’est exactement ça, mais la galerie ne semble pas s’amuser, et les intervenants ponctuels ont ce petit je-ne-sais-quoi de ringard ou décalé qui fait se demander avec insistance ce qu’ils foutent bien là. A Hollywood, on récompense généralement les films qui ont eu de beaux succès, et les acteurs et actrices qui ont eu de beaux rôles ou de belles carrières. Le public prime. A Césarcity, on récompense les films qui ont été encensés par la critique, et les acteurs et actrices qui se sont engagés dans de grands combats, le cœur sur la main et la verve haute. L’artiste prime.
Pour les Oscars, c’est la fête, le glamour, les paillettes. Pour les Césars, ce sont les intermittents du spectacle. D’emblée, c’est moins vendeur devant les caméras. Bizarrement, le public préfère qu’on s’occupe de lui, pas qu’on lui parle des problèmes qu’on a pour le distraire. Car regardons les choses en face: le public, quand il va voir un spectacle, n’aime pas trop le voir interrompu par une bande hirsute venue lui jeter son mépris et ses malheurs à la figure. Que la cause soit juste ou pas, les intermittents du spectacle, entre tous, devraient savoir qu’il y a un temps pour tout, un moment pour faire passer un message. Intervenir au milieu d’une cérémonie déjà un peu pâteuse pour y déclamer de tristes jérémiades, c’est bousiller le peu d’ambiance fun qui pouvait s’y trouver…
Mais la cause, finalement, est-elle juste ? Ces intermittents, dont on a maltraité le statut, ont-ils raison de pleurnicher dans ces soirées mondaines, et, par là, de nous faire profiter de leurs états d’âmes aussi chiants qu’un plafond fraîchement repeint ?
Ma position sera claire : non.
Habitués dès le plus jeune âge à la subvention et à l’ « exception culturelle » grâce à laquelle on excuse n’importe quelle merde cinématographique ou théatrale dont le public (celui qui paye) se fout comme de sa première chaussette, l’intermittent du spectacle couinard (qui ne représente finalement qu’une portion de tous les intermittents) revendique haut et fort le droit à produire une culture incompréhensible destinée à une élite, une culture payée par la force de l’impôt, assénée à tous par la coercition. Le Caca En Plastique Moulé trouvera toujours en lui un fervent défenseur. Le couinard n’assume pas son échec, celui qui l’oblige à demander à l’état de venir à son aide systématiquement. Et le dialogue va toujours dans le même sens :
_ Comment survivre alors qu’on ne travaille pas toujours, que les gens ne me payent pas et que je n’ai pas le succès à la hauteur de mon génie ?
_ Mais, c’est très simple ! Travaillez comme tout le monde. Vendez du burger. Faites des ménages. Filez des cours. Faites du plâtre…
_ Vous n’y pensez pas ! Je suis artiste, moi, môssieu ! »
Dans les autres pays, les artistes qui veulent vivre exclusivement de leur art souffrent. Ou deviennent très bon. Ou trouvent un mécène. Les autres trouvent un job alternatif. Et aucun ne vient couiner dans les remises de prix.
On se demande d’ailleurs comment, alors que le système américain est aussi décrié (libéralisme bouh bouh !), sa culture peut autant dominer les autres. Comment, dans un environnement aussi rude, les ricains ont-ils réussi à pondre autant de films chef-d’oeuvres, d’acteurs mythiques et d’industries phares ? Et pourquoi leur culture rayonne-t-elle d’autant plus que la nôtre s’affaiblit au fur et à mesure que les subventions pleuvent ?
Non, décidemment, je n’arrive pas à comprendre ces couinements d’artistes dont la vie est si horrible. L’étranger, féru de la culture française, les attend. Que n’y vont-ils, si la situation, ici, est aussi intenable ?
…
De leur côté, les stagiaires sont ces petits êtres fragiles, honteusement congédiés de leur école ou de leur université avec un diplôme, ou en passe de l’être moyennant un passage initiatique dans une entreprise qui acceptera de les prendre pendant un temps plus ou moins long sous leur tutelle protectrice.
A en croire l’association Genération Précaire, le stagiaire est un être exploité, profondemment malheureux et toujours en butte avec le patronat, avide de sucer son sang et son labeur jusqu’à ce que mort (ou fin de stage) survienne.
Et, toujours selon cette association, il est plus que temps que les entreprises s’engagent (entendez : qu’on force les entreprises) à respecter un statut du stagiaire, avec un paiement au bout d’une certaine durée de stage, etc, … et surtout que le stagiaire soit encadré par le code du travail. Là encore, il s’agit de transformer une facilité offerte par les entreprises aux étudiants en usine à gaz juridique.
Ce billet prenant lentement de la longueur, je n’exposerai pas ici l’ensemble des points qui m’interpellent sur la démarche ahurissante des associations de stagiaires, mais je noterai une chose : une fois que le lobbying aura porté ses fruits, les entreprises seront alors soumises à des règles strictes pour les stagiaires. Il y a alors fort à parier que les stages disponibles vont devenir une denrée rare (plus encore qu’actuellement). L’étape suivante consistera alors, toujours par lobbying je suppose, à obliger carrément les entreprises à prendre des stagiaires. Enfin, comme le stage sera devenu obligatoire et une pure formalité, la valeur des stages frôlera le zéro absolu. Moyennant quoi, les entreprises auront encore plus de mal à recruter des personnels formés et les jeunes auront encore plus de mal à trouver des emplois correspondant à leurs qualifications (celles-ci s’effondrant en qualité).
Un grand bon collectiviste et juridique en avant, quoi.
Ma conclusion sera simple : la France se partage depuis bien longtemps et de plus en plus clairement entre les couinards d’un côté, qui ponctionnent et légifèrent à tour de bras, et de l’autre, les agissants. Un beau matin, les agissants, qui payent pour, finalement, supporter les gémissements aigüs et répétés des couinards, en auront assez. Ce jour là, les couinards, comme tous les enfants qui couinent une fois de trop, vont se prendre une petite fessée des chaumières.
A mon avis, ce jour approche.
"L’étape suivante consistera alors, toujours par lobbying je suppose, à obliger carrément les entreprises à prendre des stagiaires"
C’est une revendication de "Génération précaire", le mouvement de faux-stagiaires-mais-vrais-militants-collectivistes.
D’un côté, le mouvement dénonce les "emplois déguisés en stage" qui ne sont pas ou peu rémunérés et de l’autre il exige des quotas. De deux choses l’une:
-soit il s’agit de véritables emplois auquel cas les entreprises paieront (ou coulerons) et les quotas ne s’imposent pas,
-soit il s’agit de véritables stages, c’est à dire des formations assurées par l’entreprise auquel cas la rémunération n’a pas lieu d’être puisque la somme correspondante finance cette formation. Par conséquent, si le stage devait être rémunéré à auteur d’un emploi, quel est l’intérêt d’embaucher des gens non formés?
Ces "quotas" ne sont donc que le financement détourné d’une formation qui devrait être assurée par l’étudiant lui-même.
Je crois que le fond du probleme a été parfaitement résumé dans un article que j’ai lu sur lewrockwell.com récemment. Une fois diplômés, les étudiants croient que la société leur doit un bon job. C’est en fait tout le contraire. Comme la société a financé leurs études "gratuites" pour la plupart d’entre eux, c’est eux qui ont une dette envers la société. C’est une illusion de plus causée par le principe même de l’éducation publique.
toujours interessant tes billets 🙂 qui ne represente finalement qu’une portion de tous les intermittents : ca m’a quelque peu fait sourire 🙂 bonne continuation !