J’avais relaté dans « Et pan! », il y a déjà quelques mois, l’inculpation de joyeux faucheurs d’OGM suite à la violation de propriété et à la destruction de plants de maïs. Cette jurisprudence pourtant claire aurait dû être la marque du positionnement de la justice en faveur du droit de propriété sur le fumeux « principe de précaution ». Mais que nenni : de récents rebondissements viennent redonner à ces affaires un éclairage nouveau.
L’avantage de la justice, c’est, nous dit-on, qu’elle est la même pour tous et partout en France. Liberté, Egalité, Fraternité : liberté tant que la loi ne dit pas le contraire, fraternité (solidarité dirions nous maintenant) à tout moment (donnez, cela vous sera rendu, un jour, peut-être, au centuple miluple), et surtout, égalité du droit : un citoyen jugé à Pau recevra la même sentence qu’un autre à Paris pour des faits similaires.
Cependant, la justice aura à coeur, bien sûr, de tenir compte des moyens, des contextes, des enjeux financiers, de l’actualité, de la qualité des justiciables, de la couleur du dossier, de la météo, des difficultés gastriques du Juge en charge de l’affaire et sans doute de l’âge du capitaine, qui manquait manifestement aux paramètres essentiels de toute justice en ce bas monde.
Bilan : quand la justice fait un pas en avant en condamnant le viol de propriété privé et la destruction de biens, quelques mois plus tard, dans une autre juridiction, la justice fait un pas en arrière en relaxant 49 faucheurs d’OGM. En tant que citoyen de base, je me demande au fond ce qui justifie la différence de position des deux tribunaux. Le petit tango torride que nous propose, une fois encore, la justice de France, laisse perplexe.
…
Mais finalement, cela rassure. En effet, j’avais pour projet, dans les prochains jours, d’aller déplanter des géraniums malingres et à moitié pourris sur pied sur le balcon tout proche de mon voisin ; il apparaît en effet que ces géraniums sont atteints de champignons (c’est très clair) et que la contamination possible à mes géraniums est absolument évidente si les plants restent en place. Et comme mes voisins ne sont pas toujours chez eux, j’ai planifié l’ ouverture sans clef de leur porte, le passage par leur balcon et le déplantage de leurs plants. Normal : ils vont atteindre à mon droit de disposer de géraniums en bonne santé chez moi, et, disons le, c’est scandaleux.
Comment ça, rentrer chez quelqu’un par effraction est interdit ? Comment ça, la destruction des géraniums de voisin n’est pas reconnue comme sport national ? Comment ça, il n’y a pas de risque avéré pour mes géraniums ? Et mon positionnement en tant que Maison Fleurie du Quartier, trophée jalousé par tous les voisin, que je remporte régulièrement depuis dix ans, n’est-il pas en péril ? Mais, c’est incroyable ?!
…
Le parallèle est évidemment un peu caricatural. Un peu seulement. Le noeud du problème est clairement dans le « principe de précaution », qui permet, après avoir réussi à se glisser dans la constitution française (au désarroi de tous les scientifiques un peu dignes de ce nom), de légitimer toute action arbitraire visant à l’enforcer, de façon autoritaire, avec ou sans mandat de la nation. Pour l’occasion, je vous cite Libé, délicieusement neutre :
Pour la première fois en France, un tribunal reconnaît l’«état de nécessité» comme élément permettant de justifier une infraction. «Le tribunal a reconnu un risque d’atteinte grave et imminente à la santé publique, précise Me Antoine Comte. Le mouvement social peut enfin se substituer aux carences de l’Etat . C’est une victoire historique.» Le tribunal a en effet reconnu que les essais en plein champs de la société Monsanto (la même qui a produit l’agent orange durant la guerre du Vietnam) «n’offraient pas les garanties suffisantes de protection de l’environnement».
On remarquera au passage la référence amalgame entre Monsanto et le Vietnam (diabolisation de la firme : le but des OGM est sans doute de tuer un maximum de vietcongs dans les campagnes françaises) – c’est tellement facile que les petits gourmands des médias orientés n’ont pas pu s’en abstenir – , et surtout la conclusion (en gras dans la citation) : un mouvement social, un groupement de personnes qui s’auto-proclame défenseur de tel ou tel droit-bidon, peut venir se substituer aux agents de l’état. Déjà, ces derniers ne sont pas, loin s’en faut, exempts d’erreurs de jugement, de laxisme, de bassesse ou d’incompétence. Mais qu’un groupe sans aucune légitimité légale puisse s’y substistuer, pouf !, au pied levé, voilà bien une extraordinaire nouvelle, pleine de promesse de justice, d’équité et de fraternité républicaine. En somme, youpi.
Par exemple, pour aller, disons, « modifier la structure interne de l’appartement de mes voisins », je n’ai plus, au final, qu’à trouver un nombre suffisant d’hurluberlus et un soutient (même léger) d’une presse bienpensante, faire un petit amalgame entre mes voisins et … je ne sais pas, tiens, disons un massacre, un crime contre l’humanité, ou l’utilisation irréfrénée de bombes aérosols trouant la couche d’ozone pour que, d’un coup de tribunal magique, je sois exempté de toute responsabilité devant la destruction modification substantielle de forme et de qualité de leurs propriétés…
Le principe de précaution, rappelons le, est une vaste fumisterie consistant à ne plus laisser prendre aucun risque qui pourrait, à terme, déboucher sur des nuisances graves à la population. Le fait de disposer d’OGM peut à terme, conduire à des nuisances graves à la population. Dans l’état actuel de la science, ne pas disposer d’OGM peut aussi conduire à des nuisances graves à la population (par exemple, mourrir de faim dans certain pays). Mais le principe de précaution veut alors qu’on tranche toujours en faveur de l’immobilisme, pour tout, tout le temps.
Et comme la France est vraiment pionnière en la matière, nous serons bientôt les champions de l’immobilisme la précaution.
Ton post est excellent. Ce principe de précaution ne semble agité que par ceux qui sont incapables de s’adapter au monde moderne et qui désirent conserver leur privilèges (allocations, subventions, pensions et autres ions). Peu importe que l’immobilisme cause effectivement des dommages. L’important c’est la posture… s’opposer, résister.
Que se passera-t-il le jour où un éolienne s’affondrera une voiture ? Les épouvantails brandiront-ils le principe de précaution ?