Quand ACTA et INDECT se camouflent dans les tuyauteries européennes

Chez les rares citoyens européens un peu au courant de ce qui se passe au Parlement, c’est le soulagement : le grignotage compulsif de nos libertés, notamment d’expression et particulièrement au travers d’internet, semble avoir marqué une pause avec le rejet du traité ACTA bien relayé par la presse. Je dis “semble”, car en pratique, rien n’est vraiment arrêté.

Avant d’aller plus loin, un petit rappel sur ACTA s’impose certainement si vous n’êtes pas, justement, de ces rares citoyens au courant de ce qui se trame au Parlement.

J’ai déjà évoqué ou détaillé le sujet dans plusieurs billets (dont celui-ci) : en pratique, ACTA est un traité qui vise à établir une norme internationale pour la gestion des droits de propriété et droits d’auteurs correspondants, dont on comprend assez rapidement qu’il vise, notamment, tout ce qui se passe sur internet : il s’agit de réguler massivement tout ce qui a trait à la copie, le copyright, et la diffusion d’information en général. ACTA, c’est HADOPI, en version non bancale, au cube et poussé internationalement. Si la version française prête à rire et laisse croire aux bouffons de la trempe d’un Pascal Nègre qu’elle a un quelconque effet sur le piratage, la version internationale, elle, permet bel et bien d’offrir un boulevard à tous les petits Big Brother qui sommeillent dans chacune de nos élites dirigeantes.

Home taping is killing music, and it's fun.

(Pour votre édification personnelle et si vous avez du temps à perdre, un décryptage extensif du projet de traité ACTA est disponible ici.)

Et c’est donc avec joie qu’on apprend que le Parlement Européen a utilisé, pour la première fois depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, son droit de rejet dans la procédure d’approbation lancée pour ACTA. C’est l’un des trois types de processus législatifs possible entre les institutions européennes (la Commission, le Parlement et le Conseil). Ici, nous avons évité la procédure en codécision qui est normalement celle employée pour ce genre de traités internationaux. Et pour ceux qui, au fond, s’agitent avec le bras levé en me demandant à quoi ça ressemble en détail, voici un petit schéma qui résume le processus de codécision :

processus de codécision

Oui, je sais, ça pique les yeux mais je n’y peux rien, je vous présente ce qu’on me donne comme ça vient paf comme ça. Pour la procédure d’approbation, je n’ai pas de petits schémas, mais c’est plus simple : si le Parlement dit niet, le projet tombe à l’eau.

Bref : le traité a donc été repoussé par le Parlement Européen, en séance plénière, et avec une franche majorité de contre. Dans les 39 “pour”, on notera cependant la présence d’une grande majorité de députés européens français. Décidément, la France n’en finit pas d’éclairer le monde avec ses belles paroles hypocrites mises en pratique par la fine fleur du corporatisme et du politicien gravement lobbyisé. Et pour que personne n’oublie les noms de ces députés qui ont eu le courage de se laisser tenter par le pot de confiture, en voici la liste :

Jean-Pierre AUDY, Nora BERRA, Alain CADEC, Michel DANTIN, Rachida DATI, Marielle GALLO, Jean-Paul GAUZES, Francoise GROSSETETE, Brice HORTEFEUX, Philippe JUVIN, Alain LAMASSOURE, Agnes LE BRUN, Constance LE GRIP, Veronique MATHIEU, Elisabeth MORIN-CHARTIER, Maurice PONGA, Franck PROUST, Dominique RIQUET, Jean ROATTA, Marie-Therese SANCHEZ-SCHMID, Dominique VLASTO

Aux prochaines élections, vous saurez donc pour qui ne pas voter. Mention spéciale pour la frétillante Rachida, qui, probablement consciente que son nom, mêlé à cette belle bande de tocards, risquait de carboniser une réputation déjà catastrophique, s’est réfugiée bien vite sur l’excuse “j’ai appuyé sur le mauvais bouton” option “c’est mon boîtier de vote qui ne marchait pas”. Au passage, le manque de courage et le pathétique de toute cette micro-affaire en dit long sur la valeur des gens qui siègent au Parlement.

Mais voilà.

Tout n’est pas si simple dans le monde merveilleux de la bidouille légale pour enfumer les peuples ; ainsi, pendant que les parlementaires votaient, la Commission Européenne attend le jugement de la Cour Européenne sur la validité du traité.

Et parfois, dans un moment de sincérité ou d’égarement, un politicien laisse échapper une vérité, comme dernièrement Karel de Gucht. Il s’agit du Commissaire européen au commerce. C’est un Belge, qui fut anciennement ministre des affaires étrangères du Royaume, d’ailleurs connu pour avoir fraudé le fisc, et qui est directement intéressé au débat ACTA de par sa position actuelle ; il a déclaré, sans broncher, aux parlementaires européens :

Si vous votez négativement avant le jugement de la Cour Européenne, laissez-moi vous dire que la Commission poursuivra cependant la procédure courante auprès de la Cour, comme nous pouvons le faire. Et ce vote négatif n’arrêtera pas la procédure. Si la Cour remet en question la conformité du Traité, nous évaluerons comment nous pouvons répondre à ses remarques.

Et comme le Parlement a, malgré cet “avertissement”, rejeté le traité, le gentil Karel a embrayé :

Premièrement, je vais proposer quelques clarifications sur ACTA. Par exemple sur ce qu’on va mettre en place concernant l’environnement numérique… Nous pourrions par exemple chercher à clarifier le sens de “échelle commerciale”. Deuxièmement, une fois que nous aurons discuté ces clarifications éventuelles, je proposerais de faire une seconde procédure d’approbation auprès du Parlement Européen.

Vous la sentez bien, là, sa grosse démocratie en action ? Elle peut se résumer par le maintenant célèbre “Si le premier vote est défavorable, faites revoter” qui fut en vigueur pour les précédentes tentatives européennes d’intégration. Ici, normalement, le citoyen responsable et conscient de son vote s’empresse de demander la démission de Karel de Gucht, ou, alternativement, qu’on l’enduise de goudron et de plumes.

Et le pompon, c’est que pendant que l’ACTA est repoussée par les parlementaires sous la pression populaire (car ne nous leurrons pas : si les peuples avaient regardé ailleurs, ACTA serait passé), l’Europe est déjà en train de préparer l’étape suivante, habilement camouflée dans la tuyauterie imposante du monstre législative (cf. ci-dessus, le schéma qui pique les yeux). En effet, l’encre du “NON” à ACTA est à peine sèche qu’on apprend l’existence de INDECT.

Vous ne savez pas ce que c’est ? C’est normal : personne n’en a parlé. Il s’agit d’un projet de recherche européen de surveillance globale des citoyens et de détection des “actes anormaux” (menant à des crimes & délits) au moyen de l’analyse automatisée des flux de données en provenance des caméras de surveillance (CCTV). La description du projet est disponible en anglais sur la page wikipedia qui y est consacrée.

On comprend assez vite que, comme d’habitude, sous prétexte des meilleures intentions (fliquer tout le monde accroître la sécurité des moutons citoyens), on se retrouve rapidement avec l’outil rêvé de toutes les dictatures : un très grand pouvoir dans les mains d’un nombre très faible de personnes qu’il sera facile de contrôler. Au nom de cette sécurité qui semble tant préoccuper les politiciens lorsqu’il s’agit de mettre en place ce genre d’outils (moins lorsqu’il s’agit de résoudre des problèmes courants et factuels, hein), le consortium INDECT se propose de mettre en place un robot qui épluchera minutieusement tous les sites et forums internet ainsi que les flux vidéos chopés un peu partout.

Youpi.

cctv bucoliques

Du reste, dans la Foire Aux Questions disponible sur le site officiel, lorsqu’on lit ce que les autorités cachent sous le vocable d’“actes anormaux”, on comprend qu’il ne faudra pas d’efforts juridiques ou policiers trop violents pour modifier du tout au tout la teneur de l’outil utilisé.

e silence médiatique compassé qui accompagne le développement de ce projet est alors parfaitement logique, aussi logique que l’appel lancé récemment par Anonymous pour manifester contre ce projet. Finalement, aussi outrant soient les propos de Karel De Gucht, force est de constater qu’effectivement ACTA comme d’autres projets passeront.

Il suffira de faire revoter, et/ou d’être plus discret.
—-
Addendum : une pétition contre INDECT existe, et elle est ici

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Commentaires21

  1. nebukadnetsar

    Finalement, Orwell ne s’est trompé que sur deux aspects : la date de 1984 (trop avancée par rapport aux technologies) et l’identité de Big Brother (communiste).

    Si on frémit rétrospectivement de ce que le régime communiste russe aurait pu être en l’an de grâce 2012 avec toute la technologie que sa chute lui a empêché de connaître, on voit malheureusement que la tentation de coloniser les peuples demeure vivace dans d’autres idéologies qui se veulent libérales (au sens de la mise en avant de la liberté, au moins au niveau du bla bla officiel).

    1. Calvin

      Le communisme ne s’est effondré que parce que la social-démocratie a recyclé les communistes en son sein.

    1. Pandora

      Ce n’est pas parce que les enseignants sont partis en vacance pour deux mois qu’il faut les imiter.

  2. Higgins

    « Tout pouvoir est une conspiration permanente. » Honoré de Balzac. Nous sommes servis avec INDECT. Quant à l’ancienne garde des sceaux, comme je la comprends. Moi aussi, je serai perdu avec tous ces boutons. Chapeau bas!

    Sinon, le dernier billet de Charles Gave est plutôt bien: http://institutdeslibertes.org/2012/07/08/quand-la-france-fait-la-fortune-des-pays-voisins/
    Pas plus tard qu’hier, j’ai eu une discussion assez intéressante avec un membre de la génération 68: très mal à l’aise quand il s’agit d’admettre la réalité des faits en regard de ce que l’idéologie commande. Le bonhomme ne va pas très bien dans sa tête(ce n’est pas le seul dans ce cas. J’ai d’autres exemples autour de moi dans la même génération). A noter que ce sont toutes des personnes qui ont subi de plein fouet le discours “social” de l’église des années 60-70. Il s’ensuit dans tous les cas d’un rejet quasi-maladif de cette religion (une sorte d’amour-haine assez curieuse) et l’adoption de toute l’idéologie née de 68 comme dogme absolu, reproduisant inconsciemment les pires travers de la religion qui les a vus grandir. Notre Psy préféré (http://psychotherapeute.blogspot.fr/) pourrait presque parler de dissonance cognitive ou de personnalité schizophrénique. C’est cette génération qui dirige le pays et le texte de Charles Gave prend alors une résonance assez proPhétique.

  3. H.

    Quand on en est à se poser des questions sur la légalité d’une baffe légitimement administrée à un petit merdeux par unde ses parents ou de la position dans laquelle lesdits parents “s’amusent”, tout le reste tombe sous le sens.
    Alors, les soixantehuitards qui rêvaient d’nterdire les interdictions ?
    Trop vieux ou trop pris le pouvoir ?
    Elle est bonne, la soupe, hein !

  4. Nord

    “car ne nous leurrons pas : si les peuples avaient regardé ailleurs, ACTA serait passé”

    Oui, et quelques lobbyistes aussi! On ne le dit que rarement, mais il est aussi des lobbies qui représentent des causes non-industrielles à Bruxelles; ceux-ci furent actifs contre ACTA. J’ai bossé pour les deux: les lobbies des citoyens ainsi que ceux de l’industrie: tous deux sont puissants.

  5. simple citoyen

    Cher H, tu ne croyais pas si bien dire concernant les actes anormaux. En fait de définition, il m’a fallut plus d’une heure pour trouver. Tout d’abord, chapeau bas à celui ou celle qui a rédigé la réponse en mentionnant qu’il s’agit d’une définition trouvant son origine dans les travaux du FP7. Rien que là on a perdu 99% de ceux qui se posent la question. Ensuite, ça se corse. C’est une réécriture moderne de l’enfer bureaucratique.
    Bref, je ne vous fait pas plus attendre:

    Topic SEC-2007-2.3-03 Detection of abnormal behaviour
    Technical content / scope: The task is to create novel tools and innovative approaches for the reliable and effective automatic and real-time detection of potentially threatening abnormal behaviour of individuals in a crowd or of a group of individuals in a crowd in an open space,
    e.g. those in relation to large scale events. This will include the definition of the ’abnormal behaviour‘ to be detected; deployment of various sensors types; development of solutions applicable for short and mid-range distance. Privacy and civil liberties of individuals must be respected.
    Call: Security Research Call 1
    Funding scheme(s): Collaborative project.

    Je ne sais pas introduire le gras sur les commentaires, mais vous noterez que parmi les réalisations de ceux qui répondent à cette partie de l’appel d’offre de la Commission, figure cette phrase sur la fin: “This will include the definition of the ’abnormal behaviour‘ to be detected”… En d’autres termes: ceci inclura la définition des “actes anormaux” devant être détectés…
    Pas beau le serpent qui se mord la queue? Ces gens sont des malfaisants dangereux.

    1. Calvin

      Finalement, la définition du Harcèlement Sexuel, telle que’elle a été refusée par le Conseil Constitutionnel en France, n’est qu’un des avatars de ce que la bureaucratie européenne est capable de nous fournir.
      Après une frénésie de ponte de lois touchant des domaines à chaque fois ciblé, nos technocrates se sont dit que ce serait plus “judicieux”, d’écrire moins de lois, mais à spectre large et à définition malléable…

      Le problème, c’est que même si beaucoup de députés européens sont (aujourd’hui) des démocrates convaincus, ils offrent sur un plateau des institutions, des pratiques et des lois taillées sur mesure pour une mise en coupe réglée de la population…

  6. GM

    Tout ceci est effrayant, ça semble réellement inexorable. Malgré le travail de lobbying des contre-pouvoirs, une forte majorité de votants non-conscients reste persuadée par défaut que leurs représentants agissent au mieux dans leur propre intérêt, et le restera tant que les médias et leur vie quotidienne leur offriront une apparence de normalité, appuyées par la pression grandissante de leur charge de travail.

    Pire, cette majorité semble aujourd’hui agrandie par ceux qu’on va appeler les conscients résignés, ceux qui permettent à Présiflan et son fidèle Premier Ministre de caracoler à 60+% d’approbation même si on se doute qu’ils ne vont pas résoudre grand-chose, que la récession est devant nous et le chômage promis à de nouvelles envolées. Au moins ils sont plus sympa que Sarko.

    Plus qu’à attendre que le curseur “On ne pouvait pas faire autrement” de l’opinion descende jusqu’au régime ouvertement autoritaire. Rien ne sera jamais trop cher pour amadouer la horde.

    1. eheime

      Je pense qu’on apprendra à vivre avec ça en developpant une contre information de façon naturelle.
      On sera aussi probablement moins choqués et moins chocables d’apprendre les petits travers des gens et moins appeurés de révéler les notres.

      Vu qu’une caméra peut tenir dans une tete d’épingle, connaître ce que vous tapez sur un clavier à distance, écouter ce que vous dites de très loin, faut pas espérer maîtriser sa vie privée facilement dans les années à venir

      1. eheime

        un exemple :
        si vous faites expres de passer pour un :
        – terrosriste
        – psychopate
        – pedophyle

        on se dira que les infos que vous laissez filtrer sont peut etre biaisées à un moment donné …

        1. eheime

          c’est comme ça que je vois l’avenir

          on apprendra à noyer la vraie info dans un flot d’intox

        2. simple citoyen

          Le problème dans ce que vous dites, c’est que les états utilisent déjà depuis longtemps ce procédé. C’est un classique de la désinformation.
          Le dernier avatar en date de cette technique est la réponse du gouvernement fédéral US aux fuites qui ont lieu en son sein. Couplé à une traque sans merci des “wistle blowers” pourtant théoriquement protégés par des lois spécifiques, l’administration admet officiellement mettre en place une réponse organisée par diffusion d’un “brouillard de désinformation” destiné à piéger en amont les éventuels dénonciateurs des abus de pouvoirs ou autres problèmes internes:
          http://www.wired.com/dangerroom/2012/07/fog-computing/

  7. gem

    Je crois qu’on sous estime grandement le poids de la technique : en pratique, seule la technique peut arrêter la technique, mais sinon tout ce qui est techniquement envisageable sera fait un jour ou l’autre.
    La seule chose qui peut arrêter big brother, c’est little sister.
    L’information est une arme, il devient plus important de savoir et de pouvoir se servir d’internet etc. que d’un flingue.

  8. NEV

    Karel De Gucht, LE gars qui m’a déjà pourri la vie en 2008 en faisant sa petite déclaration déplacée sur la RDC, ce type est un parasite.
    Merci pour le petit shéma, il fut un temps ou ça m’aurait été très utile!

  9. eheime

    “Cette sécurité qui semble tant préoccuper les politiciens lorsqu’il s’agit de mettre en place ce genre d’outils, moins lorsqu’il s’agit de résoudre des problèmes courants et factuels, hein”

    Si je devais résumer la politique, en France tout au moins, je crois que cette phrase le ferait au mieux. Bien sûr on pourrait remplacer “sécurité” par plein d’autres trucs.

    1. gem

      Ah … Henry Queuille …
      “La politique ne consiste pas à résoudre les problèmes, mais à faire taire ceux qui les posent. »

  10. simple citoyen

    Pour abonder dans ton sens avec ces derniers développements:
    1. le nouveau traité CETA
    http://www.rt.com/news/acta-free-trade-copyright-eu-794/
    http://www.pcinpact.com/news/72368-acta-ceta-s-il-y-a-memes-mots-c-est-qu-il-y-a-memes-plumes.htm
    http://www.pcinpact.com/news/72312-ceta-comment-ue-tente-court-circuiter-rejet-dacta.htm
    2. la manière dont même en Allemagne, les politiques ne refusent pas l’utilisation de procédés douteux quand il s’agit de faire passer des lois (avec un texte modifié en dernière minute) sans débat:
    http://www.spiegel.de/international/germany/massive-criticism-over-changes-to-registration-law-a-843372.html

    Merci comme toujours de ton travail et de ton temps.

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