Régulièrement, à la suite d’une saillie particulièrement intelligente ou d’un raisonnement dont la tenue globale n’a d’égale que la conclusion, forcément extraordinaire, la réalité nous rappelle la triste condition d’humain faillible qui nous frappe tous, et notamment les hommes de l’appareil d’état.
Dernièrement, c’est le gars Georges Frêche qui nous a démontré à quel point on pouvait, bien qu’apparemment humain, se comporter comme un cloporte. Ne lui jettons pas la pierre – enfin, pas tout de suite – sans s’être rappelé que chacun, un jour, avons eu probablement un mouvement, un geste, une parole déplacée qui nous aura probablement bien rabaissé, au moins sur le moment.
Ce qui distingue l‘homme de bien des autres, en l’espèce, est sa capacité à reconnaître et apprendre de ses erreurs. Ce qui distingue l‘homme de bien de l‘homme d’état, c’est que ce dernier, faute commise, sera doublement débiteur en excuse et en apprentissage : l’homme de bien ne doit répondre que de lui-même. L’homme d’état doit aussi répondre pour les intérêts, la collectivité qu’il représente.
Or, il est symptomatique de constater qu’en réalité la responsabilité d’un individu, dans l’appareil d’état, est par nature inversement proportionnelle à son statut, son rang dans cet appareil. Plus il est haut placé, plus il semble éloigné des responsabilités qu’un homme commun aura à remplir. Les exemples abondent de politiques, très haut placés, échappant à toute poursuite, se dégageant de toute responsabilité effective, alors que l’homme de la rue, dans un cas semblable, est clairement renvoyé à ses fautes, responsabilités, et condamnations s’il doit y en avoir. L’état a cette caractéristique d’être, tout comme l’eau pour la plupart des gaz et des solides, un excellent solvant pour la responsabilité.
Pourquoi une institution, un organisme entièrement basé sur une architecture collectiviste tend-il à tant dissoudre cette responsabilité ? Je n’aurai pas de réponse définitive sur la question, mais deux pistes semblent se dégager : la première est celle de l’individu, la seconde, celle de la collectivité.
L’individu par nature, tend à vouloir échapper sa responsabilité : être responsable, c’est assumer pleinement ses choix, c’est à dire goûter au plaisir du succès quand ces choix sont fructueux, et subir le goût amer de la défaite quand ils ne le sont pas. Pire, c’est savoir que cet échec est possible, et agir en conséquence et malgré ce risque. L’enfant, dès son plus jeune âge, utilisera tous les moyens pour s’affranchir de sa responsabilité (aussi minime soit-elle) en laissant le choix à ses parents, quitte à les blâmer ensuite si le choix n’a pas été le bon (tristes parents). L’homme libre est l’homme qui, petit à petit, en grandissant, a su faire des choix et les assumer, qui a su se débarrasser de ses réflexes enfantins.
Le libéralisme, en proposant de replacer l’individu dans le cadre de ses responsabilités, fait pousser l’adulte en chacun de nous, cet adulte qui nous rappelle que nous aurons à rendre compte de ce que nous faisons et nous disons.
La collectivité , le regroupement d’individus ayant un intérêt commun, par nature, offre là aussi d’échapper à sa responsabilité ; elle offre un cadre agréable où sa responsabilité personnelle est diluée précisemment parce que les choix qui sont pris au nom de la collectivité le sont soit par un consensus, soit par un leader : autrement dit, rarement par soi (à moins d’être un leader, bien sûr – et il y a beaucoup moins de leaders que d’individus). Au travers de la collectivité, du groupe, il devient facile de parler d’un intérêt commun qui sera un concept bien pratique, là encore, pour diluer les intérêts particuliers,
éventuellement antagonistes, et les choix qui vont avec, en une force de rassemblement autour de valeur qu’on ne partage pas forcément en tant qu’individu. La collectivité, et l’état, comme agglomérat géant de toutes les collectivités, est finalement l’échappatoire ultime pour les individus en mal de déresponsabilisation ; fatigués d’avoir à devenir adultes, à faire des choix et à en être responsables, ils se réfugient dans le giron douillet d’un état maternisant, et, petit à petit, redeviennent des enfants capables de proférer n’importe quelle bêtise.
Le libéralisme, en annulant ce concept d’ « intérêt commun », renvoie les individus directement devant leurs choix, aussi irrationnels ou imprécis soient-ils. Le cas de Frêche est ici intéressant : finalement, il a simplement utilisé un droit fondamental, celui de s’exprimer. Pour proférer d’énormes conneries, certes. Mais on ne peut pas lui reprocher l’utilisation de ce droit, si fondamental qu’il déchaîne actuellement des passions dans d’autres pays en plus de la France…
Or, la première réaction viscérale des détracteurs du représentant local du PS du Languedoc-Roussillon est d’invoquer une loi, une interdiction, pour tenter de faire ravaler ses propos à l’impétrant. En l’espèce, si la protestation est indispensable, le communiqué de presse des harkis insultés clairement nécessaire, la loi est de trop et le dépôt de plainte n’est même pas utile. Frêche a choisi de s’exprimer. Il a clairement choisi un camp douteux aux idées nauséabondes.
Qu’il soit mis devant ses choix : ses paroles pourront être utilisées contre lui assez facilement pour le discréditer aux yeux des électeurs qui ne se retrouvent pas dans ses choix.
La liberté, et l’individu, au final, en ressortiront grandis.
Tout porte a croire, malheureusement, que la notion d’individu est de moins en moins respectée et que quel que soit l’endroit ou nous nous trouvons, l’individu tend à se faire salement écraser au profit d’une quelconque collectivité.
Excellent post didactique par ailleurs, la lecture devrait en être obligatoire pour tout le monde 😉