J’ai eu l’occasion de lire ce livre dont on commence à parler dans le petit monde de l’éducation et dans les milieux des parents concernés. Ma conclusion : un état des lieux qui fait froid dans le dos…En prenant le temps de lire ce livre, on prend surtout le temps de tenter l’analyse d’une faillite. Pour ma part, je partage sans problème le point de vue de l’auteur, le constat d’échec de l’Edulcoration Nationale à enseigner quoi que ce soit aux enfants qui lui sont confiés.
En effet, après mai 68, la société a changé brutalement en rejetant, à tort ou à raison, les méthodes qui fondaient l’apprentissage de l’époque. Petit à petit, la Didactique, la Pédagogie et tout un bric à brac de termes novlangue ont envahi le champ de l’enseignement pour releguer les méthodes de papa au rang de bizarreries inusitées de nos jours.
On a ainsi remplacé la méthode syllabique d’apprentissage de la lecture par la méthode globale. Au B-A BA, on a substitué la devinette sur le mot. A l’apprentissage des règles de grammaire et d’orthographe, on a substitué les phrases toutes faites. On laisse librement les joyeux bambins s’exprimer, donner leur avis sur tout et n’importe quoi, relayant la cacophonie ambiante d’internet, de la télé, de la radio, au lieu de leur expliquer clairement ce qui est connu de ce qui ne l’est pas, ce qui constitue les bases d’un raisonnement, etc… La philosophie s’est transformée en discussion de comptoir, les références littéraires (Lagarde et Michard, …) se sont retrouvées réduites à leur portion congrues, l’économie se borne au commentaire rapide de quelques éléments, les mathématiques et les sciences physiques deviennent de vastes champs culinaires où on remplace au petit bonheur les inconnues par des patates ou des bonbons et les méthodes par des recettes. Hitler n’est plus qu’un nom, Napoléon est avant ou après Louis XIV, on ne sait plus, les grands mouvements de pensée sont résumés par l’utilisation dilettante de films partisans.
L’histoire réécrite, repensée, oubliée et remaniée, 1984 en avait cauchemardé, l’EN l’a fait.
Par contre, l’auteur se complaît dans un raisonnement un peu limité par son prisme gôchiste quant aux causes supposées de l’école : elle aurait été pervertie par le néo-libéralisme… Que d’autres pays encore plus libéraux que la France (France et libéral, deux termes qui, accolés, font sourire) – disons, moins anti-libéraux – avec un système scolaire plus libre réussissent mieux que chez nous ne semble pas remettre en cause la thèse de l’auteur. Que les syndicats, les enseignants, les politiques menées soient toutes clairement teintées à gauche, et que l’échec n’en soit pas moins pattent, l’auteur ne s’en soucie pas. Que des pays plus libéraux aient les ouvriers mieux qualifiés, les cadres mieux formés et le taux d’emploi plus élevé ne choque pas ses convictions.
Dommage.
Le constat est le bon, la conclusion (l’agonie puis la mort du système) probable et partagée, les causes, par contre, ne le sont pas.
Jean-Paul Brighelli, trotskiste notoire, pense en effet que le pédagogisme est une arme du « néo-libéralisme » pour abrutir les Français et ainsi empêcher la Révolution, d’une part, et d’autre part pour en faire des consommateurs obéissants…
Il pose effectivement les bons diagnostics et les plaque sur une grille d’analyse calamiteuse ce qui provoque ce genre de conclusion consternante. Alors que tout pointe vers une dérive gauchiste et que des milliers (si ce n’est des centaines de milliers) de parents ressentent bien le problème comme étant un problème de gauchisation, lui, résolument, pointe vers une dérive libérale là où il n’y a plus aucune trace de libéralisme. C’en est presque comique.
Philippe Nemo, dans Pourquoi ont-il tué Jules Ferry ? et Le Chaos pédagogique, attaque les critiques de gauche de l’Éducation nationale, qu’il appelle les « idéalistes » (Alain Finkielkraut par exemple). Ceux-là ne veulent pas voir que la crise de l’Éducation nationale n’est une crise des idées que parce qu’elle est, d’abord, une crise de structures, soviétiformes dans le cas de l’Éducation nationale. Le monopole étatique et la massification scolaire ont conduit au nivellement par le bas, en raison du fait que seuls les syndicats communistes sont capables de faire fonctionner le ministère de l’Éducation nationale. En effet, le ministère est incapable de gérer un système aussi énorme. Philippe Nemo voit donc dans le pluralisme scolaire, via la mise en place d’un système de chèque éducation, la première des solutions. Une solution que Jean-Paul Brighelli, évidemment, n’acceptera jamais…