La descente dans les culs-de-basse-fosse des campagnes électorales est une tradition en France lorsqu’on s’approche du moment fatidique ; cette présente campagne, pour les présidentielles 2007, n’échappe bien évidemment pas à la règle et commence à se vautrer langoureusement dans la fange traditionnelle des petits règlements de comptes bourbeux entre ennemis. Pendant que les candidats se renvoient leurs petits arrangements et privilèges d’élus à la figure, quelques remarques méritent d’être formulées.
En effet, par presse interposée, les candidats sont tous en train de se reprocher les patrimoines terriens, fiscaux, fonciers ou financiers dont les uns et les autres disposent.
De façon pour le moment feutrée, les partisans de la gauche dénoncent un rabotage opportun du prix d’un appartement pour Nicolas. Les partisans de la droite fustigent le positionnement décidément boboïde d’une Ségolène amie des pauvres qui n’aime pas les riches mais paye l’ISF en toute bonne logique.
Et là, mon petit doigt – qui est souvent fourré dans mon oreille mais en sort parfois pour aller glaner des informations plus ou moins pertinentes – me dit que si tout le monde veut absolument évoquer ces sujets, c’est qu’ils doivent, de par leur vacuité, cacher quelque chose. Eh oui, je suis chafouin. On ne se refait pas.
Or, à la réflexion, mon petit doigt a raison (il pourra rester trotter dehors cette semaine, il l’a bien mérité) : car pour tout dire, le patrimoine d’un Sarko ou d’une Ségo, on s’en fiche en tant que tel. Qu’un homme ou une femme soit riche ou pas n’évoque pour moi aucun sentiment : je laisse la jalousie, l’envie et le ressentiment aux bienpensants, gloutons de répartition et d’égalitarisme facile.
Mais l’intérêt de la presse et des candidats les uns pour les autres sur leurs patrimoines et la provenance de leur fortune montre à quel point, en France, l’argent et la richesse sont devenus suspects. Or, force est de constater que ce parfum de scandale attaché à la richesse ou à la possession dans ce merveilleux pays ne s’est pas développé pour rien. Et force est de constater là encore que le monde politique est en grande partie responsable de l’odeur de soufre attachée à la richesse : combien d’affaires où l’argent public (le mien, le vôtre) fut détourné de son but principal pour terminer, à gros bouillon, dans une ou plusieurs poches de nantis de la République ?
De la même façon, combien de paire de godasses Berlutti, d’écrans plasma ou de colliers de diamants les contribuables français auront-ils acheté ? Combien de commissions grassouillettes auront-ils subventionnées sans s’en rendre compte ? Combien d’appartements personnels les moutons fiscaux de France et de Navarre auront-ils payés sans le moindre petit bêêêêlement ?
Partant de ces questions, il devient logique de se méfier de la fortune d’un politique. Mais de la méfiance au raisonnement ou au rejet, il y a encore de la distance que beaucoup d’entre nous n’avons pas encore franchie.
Ainsi, on est en droit de se poser la question suivante : est-il normal, souhaitable et logique que, par exemple, la Royal Air Chabichou, qui prétend être partie de rien, se retrouve dans les 2% des Français les plus riches, alors qu’elle n’a jamais travaillé que pour l’Etat Français ?
Deux conclusions s’imposent : ou bien l’Etat ne paye pas si bien, et dans ce cas, les 2% les plus riches sont en fait les 2% les moins pauvres. La Ségo serait donc simplement suffisamment moins pauvre pour échapper à l’opprobre qui frappe les 98% restants. Terrifiante constatation de l’écroulement du niveau de vie d’un pays qui fut si longtemps considéré comme développé… Mais plus probablement, l’Etat paye bien, et dans ce cas, on s’explique fort bien la bousculade pour les postes à responsabilité que la République offre à celui qui voudra se donner la peine de le saisir.
J’écris à responsabilité avec des pincettes italiques puisqu’en fait, et c’est là le coeur de l’explication de cette bousculade, de responsabilité il n’y en a point. Rare sont en effets les élus traînés au tribunal pour leur gestion calamiteuse d’une ville ou d’une région ; inexistants sont les cas où le président ou le premier ministre auront été tenus pour personnellement responsables, et collés au trou en conséquence, d’un budget gouvernemental calamiteux dont le déficit, non seulement planifié et assumé, aura de surcroît été augmenté par leurs gesticulations pénibles et incompétentes.
Bref. Il apparaît donc d’une part que les politiciens peuvent très bien s’enrichir sur notre dos ; les preuves existent, et s’en portent fort bien. Il apparaît d’autre part que la façon de s’enrichir est grandement dépourvue de risque ; là encore, les preuves abondent.
Mais dans ce cas, me direz-vous, lecteur sagace, qu’est-ce qui limite tant l’accession aux postes convoités ? Car en effet, ne devient pas Président ou Premier Ministre qui veut. Certes, on me rétorquera qu’avec les concours comme ceux de l’ENA, on filtre pas mal et on évite ainsi aux « béotiens » de se bousculer au portillon de l’Elysée. Mais je rétorquerai alors que des concours existent pour bien des domaines, et qu’il en existe un encore plus douloureux que tous les autres, celui du marché (au sens général), qui permet cependant à n’importe qui (béotien compris) de devenir riche… à la condition toutefois de prendre des risques et d’avoir les reins solides devant l’adversité.
Or, ces deux conditions ne sont pas reproduites dans le public, dans le monde merveilleux des Grands Comiques Commis de la République. Evoqué plus haut, je ne reviendrai pas sur le sujet du risque, il n’existe pas : de nos jours, le politicien peut perdre son mandat, mais il ne risque pas sa fortune ou sa liberté en ruinant une cité. Pour les « reins solides », la nature même du travail exécuté produit une profonde différence entre deux individus, l’un se lançant dans le commerce, à son compte, et l’autre se lançant dans la politique.
Le premier devra lutter contre la paperasse du Léviathan, les banques, un code du travail farfelu et obèse, s’appuyer sur sa famille et son huile de coude, pour convaincre un consommateur, un client toujours plus exigeant. La concurrence ne l’épargnera pas : elle pourra utiliser plus de publicité, de meilleurs arguments ou de meilleurs procédés de fabrication, de mise sur le marché, ou simplement un meilleur accueil de sa clientèle.
Le second, lui, devra lutter contre tous les autres candidats qui veulent lui piquer le mandat ou l’empêcher d’y accéder. Il devra donc déployer non pas du courage, mais d’abord et avant tout, la rouerie spécifique à ce monde. Ainsi, il n’est plus aujourd’hui aucun homme ou aucune femme politique qui puisse prétendre être arrivé à un poste important sans avoir usé d’une mauvaise foi en airain, des coups les plus tordus, du piétinement de plate-bandes ou d’égos, de l’écrasement d’individus ou de la rhétorique la plus vicieuse pour parvenir à ses fins.
Or, si la rouerie et la mauvaise foi sont aussi des armes utilisées par les chefs d’entreprise de par le monde, ces valeurs ne sont pas (et ne peuvent être) érigées en principes. Dans le monde des affaires, on ne peut réussir si l’on est naïf ou trop gentil, mais on ne peut pas en faire étalage : aucune entreprise – à l’exception de Demaerd Industries peut-être – ne peut décemment mettre en avant le fait qu’elle est plus roublarde que les autres. Diamétralement opposé sera le sort du politique dont justement la rouerie sera récompensée : il n’est qu’à voir les scores d’audimat obtenus par des Le Pen, Laguiller ou Besancenot pour comprendre qu’on peut très bien balancer des arguments nauséabonds ou manipuler des idéologies mortifères, utiliser toutes les ficelles les plus basses de la rhétorique, et ramasser une bonne popularité…
Au final, la richesse du politique, ce n’est pas, contrairement au chef d’entreprise, la marque d’une certaine finesse de ses vues, d’une bonne adaptation au marché ou d’une justesse de ses décisions, mais bien la marque qu’il a su être plus impitoyable, plus revanchard, plus requin, plus vicieux que les autres, et qu’il a su avant tout faire passer sa personne avant toutes les autres.
Il est dès lors ahurissant qu’on donne encore tant de crédit à ces méchants pitres : non seulement ils rendent tous les jours la politique plus retors, détournant le sens des mots pour les plier à leurs volontés égoïstes, mais encore en plus font-ils rejaillir leurs perversions sur le monde réel ô combien plus policé par nécessité, où finalement, le consommateur tranchant toujours en dernier recours, ce genre de pratique ne peut s’éterniser dans le temps sans, justement, l’aide appuyée et répétée des hommes politiques.
C’est tellement évident que je n’y avais pas pensé. Bravo et continue comme ça, je les tes chroniques avec toujours autant de plaisir.
Comme le disait déjà David Friedman: « Dans l’état socialiste idéal, le pouvoir n’attirera pas les fanatiques du pouvoir. Les gens qui prennent les décisions n’auront pas la moindre tendance à favoriser leurs intérêts personnels. Il n’y aura pas moyen, pour un homme habile, de détourner les institutions pour les mettre au service de ses propres fins. Et on verra les crocodiles voler. »
Faut dire que s’ils ne passaient leur temps à se taper dessus, nos candidats seraient obligés d’évoquer leurs programmes, de livrer leurs analyses, leurs conclusions et de parler de leurs projets…
J’entend quelques ricannements dans la salle, et je voudrais tout de suite couper court : en dissimulant pudiquement leurs programme nos amis candidats nous sauvent la vie, que dis-je, l’essence même de notre petite existance mesquine. En effet, chacun est d’accord sur le vide inter-sidérant de leurs annonces et s’accorde sur le fait que nos animaux politiques sont de braves trous du cul. Or, la physique ayant tendance à se la gérer bizarrement dès qu’il s’agit d’un moins-que-vide, on est au bord d’un incident spatio-politico-temporel qui pourrait ouvrir une faille dans le continuinuum, directement sur la dimension prout… Autant dire que le jour où l’un d’entre eux desserre les fesse, on est dans la m…
"il pourra rester trotter dehors cette semaine, il l’a bien merite" heu commen ca ? 🙂
h16 : Eh bien je n’aurai pas à le rentrer proprement dans une cavité (auditive ou nasale) quelconque, pardi 😉 !