L’état est un animal toujours affamé. Quand il libère un marché, sur lequel il chassait auparavant, ce n’est jamais pour laisser un nouvel écosystème se développer de façon totalement libre, mais bien pour en profiter indirectement. Avec la téléphonie mobile, l’état a démontré une parfaite maîtrise de l’opération et un cynisme calculé, dans une orgie d’argent volé, détourné, gaspillé. Avec ce genre de « libéralisation », l’état peut afficher fièrement « Gabegie A Tous Les Etages » aux frontispices des monuments de la république…
Quand on est un état débutant, un petit état sans prétention, voire un état suicidaire à terme, pour libéraliser un marché, il faut s’en retirer, et le laisser libre de décider par lui-même de tout ce qui va s’y passer. Pas de lois compliquées, de barrières à l’entrée, de taxes importantes. On libère, tout simplement.
Dans l’hypothèse d’un état qui vit depuis des centaines d’années, composé d’une myriade d’agents tous plus zélés les uns que les autres, petits rouages totalement irresponsables dans une vaste machinerie vouée à sa seule survie, et qui a vécu bien des troubles, bien des déboires et bien des victoires plus ou moins discrètes, on procède différemment.
Toujours dans notre hypothèse – un peu farfelue, j’en conviens – d’un état très puissant (et très malin), prenons la téléphonie mobile.
- On décide dans un premier temps que ce marché, fort juteux, utilisant des bandes de fréquences particulières, sera lourdement soumis à réglementations. Le respect de ces réglementations impose une infrastructure coûteuse, qui sera obligatoirement homologuée et taxée en conséquence.
- Le nombre de bandes de fréquences possibles étant restreint par la législation, on met en place un système d’enchères pour que seuls les plus offrants puissent accéder aux fréquences. Evidemment, le paiement des licences sera une autre forme de ponction, plus insidieuse encore qu’un simple impôt, car exclusivement versée par des entreprises privées. Ceux qui, indirectement, paieront ces surcoûts seront :
– les consommateurs (l’entreprise refacturera au moins ses coûts lors de la vente des abonnements)
– les actionnaires (qui toucheront, au moment où les entreprises auront fini de rembourser les dettes contractées en achetant la licence, moins de dividendes, sa marge étant plus faible)
– les salariés de ces entreprises (leurs salaires augmentant moins vite pour absorber le coût immédiat de la dette créée)
- On imposera aussi que les entreprises autorisées à postuler aient un cahier des charges contraignant par exemple ces entreprises à couvrir une part importante de la population, pour, par exemple, des raisons de Service Public, ou n’importe quelle autre baliverne qui fera passer la pilule auprès des consommateurs finaux. Le nombre d’entreprises pouvant se permettre l’acquisition sera donc faible. Mettons, un triplet.
A ce moment là, tout est en place pour que cet état réalise un très joli coup de cartes. On met rapidement en place une petite commission qui sera en charge d’observer le pâturage le marché et le nouvel écosystème qu’il aura mis en place.
Cette autorité va, dans un premier temps, vaquer à des occupations légères et sans réelle importance. L’écosystème se met en place. Rapidement, comme les coûts sont importants, nos trois larrons s’entendent pour rentrer dans leurs frais le plus vite possible. Pour cela, ils décident, en bonne entente, de fixer les prix planchers qu’ils proposeront aux consommateurs (ou en créant des unités de temps insécables, etc).
Mais, et c’est là que se situe tout le cynisme de l’état, nos trois lascars savent bien qu’un jour, si cette entente est découverte, ils se feront taper sur les doigts. La commission adhoc est là exactement pour ça, même si, pour le moment, elle fait de la broderie en gardant les moutons. De son côté, l’état sait pertinemment que nos trois lascars vont s’entendre. L’état le sait bien, car… dans nos trois rigolos, il y a un gros patapouf (nous l’appelerons , mettons, Lècheboule Télécom) qui, précisemment, lui est tout dévoué. En outre, pour assurer que le transfert d’informations se passe bien, celui qui collectera les amendes au Fisc sera … l’ancien patron de Lècheboule, histoire que tout ceci reste entre amis.
La situation, à ce point, est très intéressante : d’un côté, l’état, qui sait qu’il y a magouille. De l’autre, les magouilleurs, qui savent que l’état sait. Et, cerise sur le gateau, l’état sait que les magouilleurs savent qu’il sait.
Vous me suivez ? Evidemment, nous sommes en plein délire hypothétique…
Au bout d’un moment, l’état, pour diverses raisons (mettons un problème de trésorerie, cela lui arrive parfois), décide de jouer pour voir : il fait rentrer la commission en jeu. Finie la broderie, on tape sur les doigts : on inflige une lourde amende aux trois comiques. Qui l’ont provisionné depuis un moment, les petits malins. En ponctionnant les consommateurs.
A ce petit jeu, les trois compères et l’état sont gagnants.
L’état car il montre qu’il joue un rôle en cassant une entente qu’il a tout fait pour créer et laisser développer. De surcroît, il va toucher des ronds, et cela fait plaisir au contribuable un peu béat devant les sommes à plus de 5 chiffres.
Les trois compères car, une fois l’entente révélée, et le scandale de polichinelle passé, ils pourront rejouer – un peu – avec leurs tarifs et faire entrer de nouveaux gogos clients dans leurs abonnés.
Mais…
Qui, finalement, paye ces amendes ?
C’est le consommateur, les actionnaires, et les contribuables (les gogos payeurs du début, à nouveau). Le plus drôle, c’est que certains sont des consommateurs, actionnaires et contribuables tout à la fois. Et ils paieront donc 3 fois.
Comme en plus, pour une grosse partie de l’amende infligée, ce sera à Lècheboule Télécom de payer et que ce dernier appartient à l’état, celui-ci va donc se payer une amende ! On peut ici compter sur l’efficacité légendaire de la tuyauterie administrative pour qu’aucune petite goutte ne soit perdue dans l’histoire.
Formidable, non ?
Décidemment, l’état, quand il libéralise, il ne fait pas les choses à moitié.
Moi, je dis bravo.
La Tribune – Amende record pour entente
Cartel Mobile
Note : on estime les dommages provoqués par cette entente à 1.3 Mds EUR, dont les consommateurs ne disposeront pas pour acheter autre chose. Evidemment, ce coût ne prend pas en compte les pertes financières provoquées par les va-et-vient entre l’état actionnaire et l’état policier…
Bien vu ! Mais comme vous le dites, hautement hypothétique….
Et le plus savoureux ce sont bien sûr les idiots utiles qui comme vous le dites paieront 3 fois : consommateur + contribuable + actionnaire.
A ce sujet, comment 5 millions (?) de gens ont-ils pu acheter des actions EDF ? Le concept même d’acheter une action dans une entreprise que l’Etat possède défrise complètement mon entendement économique… Vous voudriez acheter ce que vous possédez déjà ? 😉
(…) "Vous voudriez acheter ce que vous possédez déjà ?"
(par Chris)
merci pour cette remarque très pertinente.
Oh! j’ai écrit un peu le même post hier (le 6), sans t’avoir lu auparavant: les grands esprits se rencontrent!