Régulièrement, les voyants extralucides, les économistes, les philosophes, les altermondialeux, les couturiers has-been et les politiques nous annoncent une catastrophe cataclysmique atlantidesque avec des morts de petit cheval partout, des veuves, des orphelins, des infirmes et plus de café. Ainsi, Marx nous annonçait l’écroulement du capitalisme sur lui-même. Nostradamus, Saint Malachi et une ribambelles de copains, au travers de leurs différentes interprétations, nous annoncent un sort funeste au moins à court terme. Quand ce n’est pas les décroissants avec leur pétrole qui va disparaître (reléguant Mad Max au rang de contine pour enfants désoeuvrés), ce sont les écolos avec leur réchauffement climatique… Je passerai pudiquement sur les invasions extraterrestres, les changement d’axe de rotation de la planète, les astéroïdes joufflus qui nous percutent , et les guerres atomiques.
Finalement, si on synthétise toutes ces prédictions, comme chacune nous prédit une date différente de fin horrible, il y en aura bien une qui finira par avoir raison, non ?
Toutes ces prédictions ont en commun une caractéristique : leur médiatisabilité. Si vous me pardonnez ce néologisme assez moche, vous conviendrez je suppose que plus une prédiction de catastrophe est réaliste, frappe les esprits et se conclut par un nombre de morts élevé (en dessous de la centaine de millions, point de pub : il ne s’agit que d’un banal accident), plus la prédiction en question sera reprise dans les médias.
Ainsi, le trou dans la couche d’ozone avait donné lieu à des prédictions alarmistes se résumant, à terme, à la mort par cancer de la peau pour les terrestres. Seuls devaient échapper les habitués des stations spatiales, des abris anti-atomiques, et les hommes des cavernes ou des hémicycles.
Le réchauffement climatique dispose lui aussi d’une charge émotionnelle suffisante pour mobiliser la presse et derrière elle, les gouvernements : nous allons tous mourir étouffés, ou noyés, ou balayés comme fétus de paille, ou tout ça à la fois. Sans compter que nous n’aurons plus d’oxygène et, pire, les cornets de glace en été vont fondre beaucoup plus vite.
Quand on suit un peu l’actualité, on arrive à la conclusion que nous allons tous rôtir dans l’enfer surchauffé d’une planète à atmosphère vénusienne, peuplée par des islamistes fanatiques venus nous étriper, n’ayant plus d’autres moyens de locomotion suite au peak-oil, sur des chameaux transgéniques aux dents acérées et luisantes de radioactivité.
Eh bien non !
Si nous devons tous mourir, ce sera par la faute du Canard Masqué !
Car, si on suit vraiment l’actualité, on se rend compte que, en Europe et en France tout particulièrement, l’ensemble des forces scientifiques, armées, de police, de gendarmerie sont mobilisées contre des volatiles pestiférés. Et, rendez-vous compte, l’un d’entre eux, tout gluant de germes, est venu claboter sur nos terres. Pas de doute, nous sommes fichus.
Passé les frissons de stupeur et l’angoisse qui m’étreint à la lecture des articles édifiants de la presse française et étrangère sur le H5N1, je me demande exactement à quoi rime tout ce foin. En effet, quelque soit le nombre de volailles venues claquer chez nous, en quoi, exactement, l’état pourra faire quelque chose pour nous sauver ?
Aaaaah, oui, je sais : l’état a mis, met et mettra en place les mesures nécessaires pour empêcher Coin-Coin de nous attaquer, Cot-Cot de tomber malade, et Cui-Cui de contaminer les petits nenfants du square à côté de chez moi. Non ?
Vous n’y croyez pas, mauvais citoyen ? Il est clair qu’on peut douter de la qualité de réponse des institutions, devant la débâcle lors d’une canicule, ou pendant une épidémie de grippe standard. Mais vous n’y êtes pas ! Ici, c’est du sérieux :
- on a un antiviral, c’est du FraAançais, ça mossieu, c’est fabriqué chez nous et ça va partir comme les cacahuètes à l’apéritif, c’est moi qui vous le dit ! Encore mieux que la Logan !
- on est entraînés : pensez donc, avec les récents exercices anti-terroristes à la pointe du réalisme, nous saurons trouver en chaque Français la force d’organisation nécessaire pour bouter les caquetants hors de France !
- on dispose de la meilleure information du monde : notre Radio Nationale distribue, gratuitement[1] et toutes les heures, sur France Info, un bulletin pour nous informer du nombre de puces portées par le volatile retrouvé dans l’Ain, la taille de ses pattes et la couleur de ses plumes arrières.
Mieux : pour contenir les viri du bestiau pathogène, le gouvernement va au moins décider de boucler tout le département, de sortir la DCA et de modifier les périodes de chasse pour permettre à nos amis Pêche et Tradition de nettoyer le ciel.
Et si telles mesures ne sont pas prises, gageons en revanche que des cochortes de scientifiques en blouse blanche, des politicien en De Fursac et des fonctionnaires en tweed avec patch de cuir sous les coudes vont nous sortir de cette mauvaise passe ! Haut les coeurs ! Si la fin est proche, elle sera en tout cas maîtrisée par l’état, en cinémascope à la télé et dolby surround à la radio.
Et pour la facture finale, cher citoyen, ne vous inquiétez pas : elle vous sera envoyée sous pli discret à entête « Ministères Des Finances ».
Notes
[1] au sens: tout le monde paye
Toujours aussi drôle 🙂
Mais aussi proche de l’absurde réalité. Parfois je m’imagine de tels textes être prononcés lors d’une Assemblée Générale devant un parterre de ministres et députés tous aussi ahuris les uns que les autres. Put*** ce serait le pied !
T’as un probleme avec les patches en cuir sur veston en tweed?
… Non non, je trouve ça top classe.
Mort de rire,
C’est vrai que c’est top classe. On est sur la même longueur d’ondes alors?
Hein?
Elle est plutôt bienvenue cette tempête médiatique ridicule: je me gave de poulets Label Rouge pour moins de 3 euros. Miam!
Idem 🙂
Un des posts les plus jubilatoires de h16 ! Bravo et merci d’avoir ainsi égayé ma matinée.
Au passage, un petit lien sur Citoyen durable, qui m’a bien fait rire : ici
… et un autre sur les réflexions de Guy Sorman.
Salut.
En tout cas tu as tes fans …
Ce qui me surprend dans cette histoire c’est qu’on entasse des volailles dans des conditions de merde et qu’on s’étonne après que la moindre petite grippe se transforme en catastrophe. Et effectivement comme d’hab, c’est quand c’est catastrophique que ça commence à devenir médiatique.
C’est intriguant comme nous les humains fonctionnons, c’est seulement à ce stade, réel ou fictif, que l’on se pose des questions, mais juste sur le problème donné et si peu sur ses causes. Comme par exemple avec nos voitures, y’a un petit bruit, et au lieu d’essayer de diagnostiquer vite fait la cause, on continue à rouler jusqu’à ce que le phénomène ait pris une ampleur trop importante, là finalement on se décide à réparer.
Idem pour le réchauffement, depuis combien de temps le sait on, en parle t on ? Et on a attendu patiement uqe les média en aient fait une catastrophe soit disant inévitable pour commencer une vague prise de conscience. Et maintenant nous attendons patiement que qu’une solution nous tombe des cieux, sans bien sur remettre réellement en question notre fonctionnement, résultat, si solution un jour il y a, ce sera encore par interdit, punition, etc.
Nous le savons tous pour la plupart, mais on a pas le temps … alors on continue …
De quelle catastrophe parlez-vous ? Des 100 morts (à tout casser) en 3 ans ? Dans le même temps, la malaria a fait 4 millions de morts… Alors, les poulets entassés, je m’en cogne un peu, à vrai dire…
C’est étonnant comment certains humains fonctionnent : on leur agite un épouvantail, ils font pipi dans leur culotte, l’industrie leur produit des couches et ensuite ils se plaignent que ces couches valent cher…
Salut.
Heu je parlais de catastrophe d’un point de vue de volaille, et économique nous dit on.
J’aime bien la métaphore de l’épouvantail, assez d’accord.