Ces derniers jours, je devais prendre la voiture. Foudre de puissance et de chevaux à peine maîtrisables (une 2CV tuning injection), le bolide, fier destrier d’acier qui m’emmène par monts et par vaux, ne dispose malheureusement pas d’un lecteur CD et je suis cantonné à la réception de la radio, de préférence nationale pour éviter de perdre le fil entre deux bornes d’autoroute.
Voguant ainsi d’émissions stupides ou gnangnan en pages publicitaires répétitives, je suis tombé sur, notamment, les auto-succions gloutonnes de Philippe Stark, le designer, dont le succès planétaire est parfaitement contrebalancé par la boboïtude achevée et le ridicule sophistiqué de ses réponses à des questions consternantes de l’animateur en poste à ce moment.
Mais ce trou-du-cul cosmique ne sera pas le sujet de ce billet. C’était juste histoire de casser du sucre sur cet abruti.
En fait, de fils d’informations vasouillards en brèves tristounettes, je me suis rendu compte que l’actualité a de curieux hasards : il semble qu’actuellement, dans nos belles sociales-démocraties, la chasse aux grands-mères soit ouverte.
Ici, il ne s’agira pas, bien évidemment, de poursuivre mammy dans les champs, pétoire à la main, histoire de lui faire passer l’envie de nous enquiquiner avec son « J’ai froid, mets un chandail ! » ou son « Mais tu reprendras bien un peu de soupe, encore, non ? ». Non, là, il s’agit d’une démarche organisée par les institutions étatiques pour rendre la vie des grands-parents un peu plus compliquée et un peu moins amusante.
On savait déjà que les États s’employaient comme ils le pouvaient (et ils peuvent beaucoup) pour leur rendre la vie misérable. Ainsi, par l’utilisation habile des impôts sur la fortune, on arrivait à ruiner et exproprier des petits vieux vivant depuis leur plus tendre enfance sur l’île de Ré.
En ménageant toute la mansuétude possible pour le corps médical pétri de bonnes intentions, l’État fermera les yeux sur les petits actes anodins pratiqués sur des personnes âgées qui consisteront ainsi à aider grandement des descendants à hériter. Au besoin, on hâtera leurs difficultés en réduisant les pensions comme peau de chagrin, par exemple avec un système raffiné de casse-tête chinois qu’on appellera retraite par répartition.
Mais dernièrement, les institutions étatiques, croqueuses d’âmes anciennes et de mamy-gateau, s’en sont donné à coeur joie. Eh oui, c’est la pleine saison. Jugez plutôt.
Une grand-mère agit pour le bien être de son petit-fils, enfant qui explique clairement qu’il veut être chez elle, qu’il est heureux avec ses grands-parents et malheureux avec chacun de ses parents divorcés. La justice de notre beau pays sait cependant mieux que les intéressés ce qui est bon pour eux. Ce sera une condamnation pour la grand-mère, et un foyer pour l’enfant. L’enfant sera malheureux seul, bien que réclamant ses grands-parents. Les grands-parents seront séparés de leur petit-enfant dont ils peuvent parfaitement s’occuper et qui déclarent vouloir le faire. Bien fait pour tout le monde. Ca, c’est de la justice, du béton, du solide. Et en plus, après Outreau, on sent que maintenant, les erreurs seront évitées.
Après cela, on trouvera toujours un naïf pour dire « J’ai confiance dans la justice de mon pays ». Le naïf est bien le seul, et, pire, la justice ne lui rend pas, qui n’a, par défaut, jamais confiance en lui…
Quand les grands-parents ne se retrouvent pas au procès, on va tout de même trouver des moyens de leur en faire baver ! Par exemple, lorsqu’ils ont la garde d’une petite fille depuis son plus jeune âge, et que tout se passe bien, on va leur imposer de ne surtout pas avoir de velléité de déménager trop loin. La mère de la fille (incapable de l’élever), disposant tout de même d’un droit de visite, imposera – via la justice – le malheur de la petite et de ses tuteurs pour le plus grand bien de … de qui déjà ? De personne, même pas de la mère. Ce n’est qu’une fois les retraités revenus à proximité (après un second déménagement) qu’on pourra leur rendre la garde de la petite.
Eh oui. Quand l’État intervient, ce n’est pas toujours un jeu à somme nulle, c’est parfois un jeu perdant-perdant. Même l’Etat, ici, perd : du temps, de l’argent, et le peu de crédibilité qu’il pourrait avoir en prétendant rendre la justice, pourtant un de ses (rares) pouvoir régalien.
…
Maintenant, si l’on sort des cas épineux des gardes d’enfants, des petits vieux qui se retrouvent en fâcheuse posture pour avoir correctement interprété les termes de « parents » dans « grands parents », il nous reste les petites habitudes, petites manies. Eh bien non, que nenni ! L’Etat, toujours prompt à se mêler de tout, passe par là : l’image d’Épinal du retraité habitué à son béret, sa pipe ou sa chique, c’est du passé !
Le retraité, actif qu’il est du fait d’une santé d’acier acquise à force de petites pilules que la collectivité lui paye à prix d’or, se lance dans des exercices jusque là réservés aux jeunes.
Une grand-mère décharge de la musique en MP3 ? Bam ! Une bonne amende dans le dentier de la vioque ! Ca lui apprendra à se la jouer djeunz. Faut que ça serve d’exemple : si on laisse faire ça, il semble évident qu’ensuite, elle va en parler à son club de bridge ou à l’amicale des couturières de sa commune, et bientôt, toutes les maisons de retraite de France et de Navarre, reliées par une demi-douzaine d’abonnements ADSL chacune, le câble ou le satellite, vont se lancer dans le piratage massif. Et là, c’est tout un pan de l’économie d’un pays qui en pâtirait : fini, la rentabilité des Derrick et des plages de pubs accolées pendant les après-midi d’automne où il fait trop humide pour sortir. Fini, les émissions de Sevran chez Mamy Gertrude, les achats impulsifs de CD de Franck Michael qu’on écoute au thé dansant de Mme Duroubiou ! Le retraité, si on le laisse faire, se vissera une casquette de base-ball sur le crâne, ira tuner sa caisse le samedi et décharger du MP3 et du DIVX toute la sainte journée.
Pire !
Quand le retraité ne cache pas un môme dans des placards, ne tente pas de fuir avec une gamine hors de l’atteinte d’une mère indigne, ou ne décharge pas en douce du MP3 et des contenus sous copyright, le petit vieux se roule des splifs !
…
Tout ceci montre plusieurs choses : la première, que la puissance de l’Etat ne s’arrête jamais à des considérations d’âge, de force morale. Vous pouvez très bien avoir été quelqu’un de remarquable pendant plus de 60 ans, si vous faites un écart, aussi justifié moralement soit-il, par rapport à une loi inique, vous serez sanctionné comme si vous veniez de découvrir le monde, à 18 ans.
Le second enseignement est l’absolue nullité de l’Etat à gérer les relations entre les individus. Les barrières qu’il place, totalement arbitraires et inflexibles, sont grossièrement inadaptées à la richesse de ces interactions et, régulièrement, viennent briser des êtres qui, finalement, ne demandaient rien à personne et s’en sortaient très bien sans lui.
Enfin, l’Etat arrive à se rendre exécrable même lorsqu’il se penche sur des cas triviaux, tant est flagrant le décalage entre les modes de réactions des institutions qui le composent, et l’humanité qu’on serait en droit d’attendre des gens qui vivent de ces institutions.
«Même l’Etat, ici, perd : du temps, de l’argent, et le peu de crédibilité qu’il pourrait avoir en prétendant rendre la justice, pourtant un de ses (rares) pouvoir régalien.»
Ce constat peut éventuellement se faire lorsqu’on est un "assujéti"… Vu de l’état, rien n’est jamais perdu: toute activité parasitaire est la bienvenue.
Le fric, y a toujours moyen de le piquer. Quant à savoir qu’en faire, l’imagination des politiques est sans limite.
La rentabilité, y a bien que ces salauds de capitalistes pour s’en soucier…