C’est avec une gourmandise non feinte que j’ai découvert la liste des nominations dans le nouveau gouvernement Fillon. Cependant, à la manière d’une pâtisserie grossière composée sur le mode de l’étouffe-chrétien, qui donne un sentiment d’écoeurement ou de trop plein dès les premières bouchées, j’ai vite calé sur la liste des ministères, des secrétariats et des candidats mis en face. Je suis maintenant en phase de digestion et je dois dire qu’une majeure partie de mon corps est maintenant entièrement consacrée à gérer l’encombrement provoqué, coincé qu’il est entre l’obligation citoyenne et pas franchement festive d’avaler le morceau et l’envie difficilement répressible de tout renvoyer rapidement par toutes les écoutilles.
Ainsi donc les réformes Sarkozy se seront étalées du 6 mai au soir (jour de sa victoire) au 18 mai au matin. Pendant cette période, le nouveau président nous aura offert douze jours de folie novatrice, deux semaines et un peu plus d’avancées osées, de tentatives couillues. Et après cette dépense gargantuesque d’énergie, cette orgie de volontarisme et d’action tous azimuts, pfouit, tout le monde fatigue.
Et là, c’est le drame.
En quelques mots, on pourrait dire essentiellement que la couillemolisation du nouveau président se sera réalisée en douze jours. Pour rappel, la couillemolisation est, à l’instar de la chaptalisation, un procédé chimique qui transforme radicalement le vin qu’on a soumi au traitement ; cependant, là où la chaptalisation permet d’augmenter le degré d’alcool d’un vin par ajout de sucre, la couillemolisation permet de le débarrasser de son alcool, de son goût et de sa couleur pour le transformer en flotte.
Normalement, un président de classe standard se couillemolise en quelques mois, généralement par adjonction de moraline et retrait sec de frétilline. On emploie pour cela des grèves syndicales, des mouvements d’opinions violents et cela passe fréquemment par un changement d’assemblée nationale ou de premier ministre (ou les deux). On se rappellera ainsi de la couillemolisation – consternante – de Chirac en 1995 avec les grèves de décembre sur les retraites, ou celle de Mitterrand – salvatrice – en 1982 sur l’enseignement catholique.
Ici, il ne se sera finalement écoulé que douze petites journées pour un procédé chimique qui prend normalement plusieurs mois. Il est vrai qu’on partait d’un cru assez mal doté question couilles, il n’aura donc pas été très difficile d’en retirer le trop plein. Mais cela reste un triste record de rapidité.
On commençait bien avec une idée de base simple : limiter le nombre de gugusses à 15. Sous la bannière flamboyante visible carrée d’un sémillant Fillon, mousquetaire de l’innovation ministérielle, on pouvait donc s’attendre à une faction de fiers soldats solides et puissamment armés devant la tâche qu’il reste à accomplir. Las, que nenni : les choix furent vasouillard, le jeu de jambe mal cadencé et le maniement de l’épée pour la découpe ministérielle très hésitant voire approximatif. Bilan, au lieu d’un élargissement des compétences, nous assistons à un rétrécissement de la niaque.
Préparez votre mouchoir (ou un petit sac en plastique jetable) et jugez plutôt.
Pour les ténors, nous avons Juppé, Kouchner, MAM, Bertrand et Borloo. Ca donne bizarrement une dimension microbienne au mot ténor.
Je n’évoque qu’avec beaucoup de crispation le cas douloureux et très troublant du petit Juppé. Il s’agit d’un élève modèle, fusible chiraquien convaincu. On se souviendra de lui pour deux choses essentielles ; tout d’abord pour décembre 1995 et la sodomie syndicale la plus profonde de la Vème République, à sec, avec poignée de gravier, béton armé et explosifs. Cela permit de tester un nouveau type de pantalon qui, même en restant droit dans ses bottes, s’attache aux mocassins pour ne jamais atteindre les hanches. L’autre chose essentielle, ce sont bien sûr ses dons naturels pour la finance et la gestion immobilière. Pour le coup, Sarkozy innove vraiment : nous avons un véritable ex-taulard dans nos ministres et qui risque en plus d’y retourner. C’est officiel. Avec un taux de moraline quasiment au max (9.53 / 10) et son taux de frétilline fortement abaissé (1.03 / 10) depuis son retour des grands froids canadiens, il constitue un beau cheval de retour. Le recoller aux transports est sans doute un clin d’oeil cynique du président aux Français qui se sont fait entuber en 1995. Proposition de devise : “Solidarité, Egalité, Vaseline”.
Kouchner, ici, sert le rôle difficile de Caution d’Ouverture du Gouvernement. Compte tenu de son taux de frétilline élevé (6.01), on aurait pu se dire qu’il allait nous apporter un plus. Mais avec un taux de moraline (9.80) qui pète des records, il est peu probable qu’il nous provoque autre chose que des ulcères. Proposition de devise : “Aux armes citoyens ?”.
MAM est recyclée à l’Intérieur. Elle aura connu les gendarmes, elle va connaître les policiers. Au delà de ça, qui peut dire exactement ce qu’elle a apporté à la Défense ? Mis à part un taux de frétilline bas (1.03) et un taux de moraline élevé (7.12), il est difficile d’attacher à cette charmante grand-mère autre chose qu’un petit chaperon bleu carré Hermès. MAM ? Rappelez-vous ! C’est … heu… MAM, quoi ! Proposition de devise : “Ce qui est neutre en défense se voit à l’intérieur”.
A l’Educature, nous écopons de Darcos, qui n’est pas le nom d’une balise de secours mais bien d’un ministre. Il sera facile à mémoriser : la page de ses actions les plus marquantes est en effet encore vierge. C’est ce gentil monsieur qui va devoir réformer le mammouth, et faire comprendre aux syndicats, la bave déjà aux lèvres à l’évocation du mot réforme, que c’est avec lui que ça va se passer. Frétilline : 0.08, Moraline : 6.75. Une devise qui pourrait lui aller : “Bonne nuit les petits”.
Borloo, le petit cloOown triste à l’air toujours vaporeux d’un égaré de troquet, a réussi à décrocher les stratégies économiques, l’entreprise, l’emploi et devra en conséquence ronger son os avec Xavier Bertrand, qui s’occupe du social et du … travail. La différence entre emploi et travail existe, mais pour départager nos deux chiens fous, notez donc qu’il y aura entre eux, tous les mercredis, une bataille dans la confiture de framboise. On se demande exactement ce qui a poussé à faire cette subtile distinction entre emploi et travail, si ce n’est un double-strapontinage pour deux repêchés d’un précédent gouvernement qui brilla par son efficacité et sa force d’action. Nos deux loustics, barbotant dans la moraline (question frétilline, c’est le calme plat), pourront se chamailler pour la devise “La statistique est la première des sciences inexactes.”
Le reste des maroquins a été distribué à un patchwork consternant d’amis et de bien-placés. Il est déjà loin le temps de “l’efficacité” prôné par le président Sarkozy, qui, sans doute usé par l’exercice d’un pouvoir de près de douze jours, aura finalement cédé, épuisé par les demandes, à bout de forces, aux demandes népotiques incessantes. On retrouve ainsi de la Boutin, de l’Hortefeux, de la Pécresse, et même des bouts de Bachelot barbouillés un peu partout sur des ministères à tiroir. Dans chaque cas, on se rappellera avec peine les hauts-faits d’armes des nommés. Si rupture il y a avec ceux-là, c’est dans les choix vestimentaires tout au plus.
Restent les petits nouveaux. Taux de moraline et de frétilline inconnu. Devises difficiles à cerner. Un vaste océan d’interrogation s’ouvre devant nous.
Ainsi, pour combler le trou laissé par MAM (rappelez-vous, elle était à la Défense), on a rattrapé un UDF, ce parti dont plus personne n’est officiellement adhérent. La Défense refilée à un extrême-centre invisible, ça en jette. Là encore, en France, après le ministre d’Etat à casier judiciaire, nous innovons en ayant le premier maroquin furtif à la Défense. Les Américains nous l’envieront.
Pour le budget, Nicolas 1er a décidé de faire griller du Woerth. Car ne vous y trompez pas : une “rupture” (mot officiel choisi par notre Président à Tous) dans le budget, les comptes publics ou la fonction publique, c’est assurément une façon intéressante de faire griller un ministre. On attend la Woerth-party avec fébrilité.
Enfin, nous terminerons par les femmes, qui ont la part belle dans ce gouvernement. La parité, oeuvre agaçante des collectivistes, sera donc respecté-e en offrant à nos élu-e-s un poste à leurs dimension- e -s. Lagarde est – encore ! – une repêchée du précédent gouvernement. Gageons qu’elle brillera autant maintenant qu’à l’époque. Youpi. Et pendant que Albanel se dépatouillera d’un ministère croupion avec un gros budget (la Culture), Dati s’occupera d’un budget croupion pour un gros ministère (la Justice)[1].
Bref. Nous voilà en de bonnes mains.
Rock’n’roll, je vous le dis.
Notes
[1] Ne lisez pas “gros croupion”. Ne lisez pas “gros croupion”. C’est mal.