Pepyment et foutage de gueule

Il y a quelques jours, c’était Attali qui trollait méchamment les médias avec l’idée lumineuse d’éliminer complètement le monopole étatique du tabac en plaçant l’ensemble de la filière dans le marché noir. Aujourd’hui, c’est Guillaume Pépy, l’actuel conducteur de la SNCF, qui a reçu dans la plus grande discrétion de l’ensemble de la presse le prestigieux prix de « Manager de l’Année » remis par Le Nouvel Économiste. Oui. Vous avez bien lu.

C’est grâce à un lecteur attentif – que je remercie au passage – que j’ai découvert ce magnifique troll de niveau 25 : Guillaume Pepy a été élu manager de l’année 2010 car, je cite l’article,

« (il) s’est rudement frotté aux réalités sociales provoquées par la colère des usagers et le mécontentement des salariés avant de trouver les bonnes réponses à ces défis comme à ceux de la concurrence naissante et aux difficultés endémiques de l’activité du fret. »

Rien que l’énoncé des raisons qui ont poussé les journalistes du Nouvel Économiste à décerner ce prix au PDG de la SNCF fait fondre deux à trois klaxibulles de l’homme honnête dans un petit klonk! pas très rassurant.

Guillaume Pepy

Certes, le gentil Guillaume – dont le regard perdu sur un horizon éthéré de rêves enfantins lui permet d’obtenir le Bon Dieu sans confession – a bel et bien pu goûter aux joies alternatives de la confrontation musclée tant avec des clients qu’avec des syndicats absolument pas prêts à se rouler dans les bottes de pailles en riant comme le laisserait supposer la mine intelligente du patron.

Mais de là à dire que cette confrontation — qui s’apparente plus au frottement vif de moignons sur du papier de verre qu’à une sereine discussion de fond sur la qualité des services fournis par son entreprise — aurait permis à notre primesautier PDG de trouver les bonnes réponses aux conflits, c’est du plus haut comique.

On en vient à se demander si les journalistes du Nouvel Économiste n’étaient pas les discrets mais seuls clients de ces Vietnamiens horticulteurs festifs de la Courneuve tant ce qu’ils écrivent – et le prix attribué – fricote sans vergogne dans la catégorie du stupéfiant.

D’ailleurs, on découvre sans trop de problème que les principaux intéressés, à savoir les clients et les syndicats, justement, se tortillent de rire lorsqu’ils apprennent la nouvelle. Certes, les syndicats sont des habitués de la moquerie et les constats qu’ils dressent, toujours sur le mode lancinant de y’a pas de moyens, on n’a pas assez d’argent et il faut des sous, sont à prendre avec les habituelles pincettes qui permettent de mâtiner leurs allégations de l’expérience concrète des décennies de pipeau éhonté qu’ils nous servent à chaque occasion.

En ce qui concerne les clients, cependant, force est de constater que leurs revendications ne frisent en rien l’absurde : avoir des trains qui partent à l’heure, arrivent à l’heure et fournissent un service décent n’a rien d’incompréhensible. Si l’on se rappelle que ces mêmes clients en viennent à faire la grève des tickets ou à monter des associations pour déposer plainte, on comprend que le stade de la grogne est dépassé pour atteindre celui de la colère pure, qu’on comprend d’autant plus que les retards systématiques de l’entreprise qui, naguère, faisait rouler des trains, provoquent maintenant des licenciements : à force d’arriver en retard, ou pas du tout, les employeurs de ces clients malheureux finissent par ne plus y trouver leur compte.

Le plus beau est que, selon le Nouvel Économiste toujours, le gentil Guillaume aurait trouvé les bonnes réponses aux défis posés. On se demande un peu comment il a fait tant l’épais nuage de THC qui devait régner dans les bureaux de la rédaction et ceux de la direction de la SNCF rendait difficile toute orientation.

D’autant que les « bonnes réponses » s’apparentent, lorsqu’on les examine, à la même substance vaporeuse et euphorisante que celle inhalée à plein poumons par notre sémillant PDG : distribuer des réductions aux clients licenciés, présenter des excuses plates et sans intérêt à ceux qui mirent plus de 24H à traverser la France, tout ceci ne justifie qu’assez mal une nomination quelconque, mis à part, peut-être, celle d’énarque le plus standard de France tant rien dans son parcours ne se démarque des autres énarques passés par là avant lui.

Et c’est d’ailleurs exactement le problème : incolore, inodore et sans saveur, le diplômé habituel qu’on place aux principales entreprises de France n’apporte plus, depuis longtemps, la moindre réponse à quelque défi que ce soit. C’est vrai à la SNCF, mais c’est vrai aussi pour les autres pontes de notre magnifique système de grandes écoles nationales qui furent, cette année, en « compétition » avec le petit Guillaume.

On apprend ainsi que sa nomination s’est faite sur le fil, coincé entre Jean-Paul Bailly (frétillant polytechnicien en charge du blob postal) et Stéphane Richard (lui aussi énarque, et responsable mais pas coupable du mammouth télécom).

Voir loin. Sérieusement. WTF ?!« Voir loin. » : c’est de l’humour, où c’est juste de la moquerie ?!

Eh oui. Cet article ébouriffant, véritable caca de troll, est en réalité une illustration cristalline et parfaite, chimiquement pure, de ce qu’est devenue la France : sur un tissu de petite et moyennes entreprises totalement inconnues et parfaitement oubliées des médias, prospèrent quelques gros champions nationaux mous, lents et gérés avec la poigne d’un octogénaire lexomilé sous tétrazépam, dont les directions sont distribuées comme des cacahuètes à un apéritif inaugurant une soirée échangiste poivrée ; dans quelques années, il y a fort à parier qu’on retrouvera ainsi l’un de nos trois compères à la place de l’autre, et les chaises musicales pourront continuer sous les applaudissements des contribuables.

Supportant cette absence complète de toute latitude dans la gestion sociale et financière, ajoutée à la carence chronique d’expérience réelle du terrain de ces managers en carton, les entreprises qu’ils gèrent et gèreront continueront de se comporter exactement comme elles l’ont toujours fait : en parfaite déconnexion des gens qu’elles emploient et dans le mépris feutré mais permanent de leurs usagers qui n’obtiendront jamais le statut de client tant l’état y aura fait de dégâts.

Avec de tels managers, et de tels journalistes pour les encenser, pas de doute : ce pays est foutu.

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Commentaires34

  1. ANT1

    Excellent, encore une fois. Je suis on ne peut plus d’accord sur les derniers paragraphes.
    C’est d’une certaine maniere la méritocratie a la française… vous avez les meilleurs diplomes, alors l’Etat vous donnera les meilleurs postes. Pas étonnant qu’ils soient tous socialistes…

  2. Kelevra

    et si vous vous trompiez, peut etre que le nouvel economiste a decerne ce prix comme une blague, manager de l annee pour une buse incompetente.
    bon c est vrai que mireille mathieu a ete promu officier de la legion d honneur et christophe mae chevalier des art et des lettres.
    la france phare de la culture et des grandes ecoles…

  3. aliascent

    Comment un manager d’une entreprise fonctionnant aussi « bien » que la SNCF puisse être élu « manager de l’année » s’apparente a une sinistre blague.

    Étant usager fréquent (malgré moi) des services de la SNCF, chaque voyage me laisse la chance d’apercevoir le foutoir sans nom (retards assurés, contact avec le personnel extrêmement difficile, et autres).
    Peut-être cette nomination s’apprécie mieux une fois sous lexomil. Mais ça me rend quand même amer.

    Quoi qu’il en soit, excellent article, comme tous ceux que j’ai pu lire depuis ma découverte de ce blog.
    Bonne continuation a vous.

  4. deres

    Vécu la semaine dernière dans un TGV :
    Une rame est en panne, donc ses passagers sont envoyés dans une autre rame en leur disant de piquer les places des autres passagers (premier arrivé, premier servi). Bien entendu, aucune annonce ni personne pour régler les conflits et vexations inévitables. Un quart d’heure après le départ, juste un message vaguement informatif sans excuses ni directives. Bien entendu, de manière à ne pas se faire engueuler, il n’y a pas eu de contrôle de billet sur ce train …

    Ce n’est pas fini. En plus, le wagon restaurant n’avait pas été ravitaillé. Donc au départ, le message habituel nous incitant à consommer avec enthousiasme. Mais dix minutes plus tard, une variante du même message ne parlant plus que de friandises et de boissons fraîches. Puis plus rien. Il faut savoir que le même train ne sera bien évidemment pas ravitaillé du tout pour son retour … ce sera sans pain sec et sans eau pour ceux qui compte sur la qualité du service.

    Vécu l’année dernière dans un TER pour aller au ski :
    suite à des retards dans les TGV, ceux-ci deviennent prioritaires car remboursés après une demi heure de retard contrairement aux TER. Donc au final, le TER parti à l’heure aura 2 heures et demi de retard passées à attendre bien sagement dans des voies de garage pour permettre au TGV de le doubler sans ralentir. Bien entendu le TER est arrivé à destination largement après le dernier TGV de la journée, donc du dernier bus vers les stations. Est-il besoin de préciser qu’il n’est pas possible de se faire rembourser le taxi que l’on est bien obligé de prendre ?

    1. deres

      J’avais oublié le plus croustillant. Le train a fait un arrêt technique pour changer de conducteur. Mais celui-ci était en retard. Donc tous les passagers ont tranquillement attendu son arrivé pendant 5 minutes.

  5. Paulo

    Le prix sera décerné au Conseil économique et social
    (et environnemental, pardon, j’oubliais),
    gros cheesecake maçonnique s’il en fut.
    Il ne faut peut-être pas chercher plus loin.
    En bons laïques attendons patiemment une loi de séparation
    de la loge et de l’Etat.

  6. seb

    Ca se lit encore le nouvel economiste? Je veux pas cliquer sur le lien pour éviter de leur donner mon clic…

    1. Emmanuel M

      Effectivement

      Les revenus du nouvel économiste proviennent peut être plus de la pub SNCF et des subventions que de l’argent des lecteurs.

      D’où la désignation du « manager de l’année » en question

  7. NeBu

    La glorieuse époque est décidément bien loin.
    Je me plonge actuellement dans l’histoire de France et me demande comment nous en sommes arrivés là.

    1. Paulo

      On n’est pas les seuls, allez !
      Les Italiens, par exemple, ne sont pas manchots non plus :
      Pour Pellegrino Capaldo, professeur d’économie à l’université Sapienza de Rome : « La dette publique équivaut à 25 % du patrimoine immobilier du pays », explique-t-il. Pour la réduire de moitié, il faudrait donc taxer « chaque bien à un taux moyen de 12,5 % de sa valeur courante. » Fastoche !
      La suite dans les Echoss du jour.
      http://www.lesechos.fr/economie-politique/monde/actu/0201135101315-en-italie-la-gauche-prone-une-taxe-de-12-5-sur-le-patrimoine-immobilier.htm

  8. Groucho Marx

    En même temps, le Nouvel Obs est plutôt du niveau Pif Gadget:

    Mêmes articles de fond, même ligne éditoriale, et même gauchisme exacerbé.
    Rien de très nouveau si ce n’est que maintenant, les Pifous et autres Gay Lurons d’hier sont les Pepy et Richard d’aujourd’hui.
    Etonnant, non ?

    1. Flak

      le nouvel eco c’est l’ex nouvel obs? (pardonnez moi j’ai perdu le fil depuis que je me suis tiré)
      rien que le premier paragraphe de l’article merite bien son .fr : on va faire un best of des manager, mais celui qui gagne le plus n’est pas le meilleur, on va ajouter des consideration humaines, sociales, durable et eco-citoyennes et la pouf! le winner c’est le pdg de la sncf – pourquoi pas la poste ?

      quelque part c’est interessant cette folie furieuse qui tient lieu de culture economique a l’integralite de la sphere media-pouvoir…

      1. BugBreeder

        @Flak
        « le winner c’est le pdg de la sncf – pourquoi pas la poste ? » : pourquoi pas, style « grosse connerie à la Barthez », plus c’est gros plus ça passe ?

        Vous avez mal lu l’article, les 2 autres finalistes étaient bel et bien La Poste et France Telecom justement, comme quoi dans la France actuelle même une option particulièrement débile aux yeux de n’importe qui de normalement constitué peut devenir une réalité concrète après étude par nos énarques.

        Il y a longtemps j’ai été frappé (du style « à moitié assomé ») par un trait de l’amuseur Jean Roucas qui animait le « bébête show », émission d’une débilité consternante mais qui s’affichait honnêtement comme tel, qui avait sorti aussi à la veille d’élections locales une énorme connerie par le biais de « Marchi la cochonne » pour Georges Marchais, secrétaire général du PCF. On demandait à « Marchi » pourquoi 2 candidats dissidents communistes s’étaient vus retirer leur carte du parti, elle avait répondu « pour les nettoyer, on leur rendra après les élections s’ils gagnent », et à la question « et si ils perdent » elle avait répondu « alors on n’est pas sûr de les retrouver ». Et bien c’est exactement ce qui s’est passé dans la réalité aussi débile que soit la chose, le PCF a bel et bien rendu leurs cartes du parti aux 2 dissidents communistes une fois élus.

        C’était en 1984, aujourd’hui comme hier en France il n’y a plus la moindre option aussi débile qu’elle soit qui ne risque d’être adoptée par nos énarques. Comme le dit le maître des lieux « ce pays est foutu », et je rajouterais « depuis un moment déjà ».

  9. Flak

    je viens de parcourir la home du Nouvel Ecoterroriste, c’est personnalites politiques + propagande socialiste.

  10. alpharuper

    L’autre jours, dans le TGV revenant de Marseille, arrêt en rase campagne puis le train se traine jusqu’à Macon pour un arrêt imprévu. Au bout d’1/2h d’attente, message de notre IDcontroleur (j’étais dans un IDtgv) : « le conducteur consulte le manuel pour trouver la panne » – rigolade (jaune) dans le wagon. la SNCF devrait inventer « le TGV pour les nuls ». On est arrivé avec 2h de retard (sur un trajet de 3h00)

    1. Robert Marchenoir

      « Le conducteur consulte le manuel pour trouver la panne »

      C’est probablement parce que la SNCF est privatisée, comme les chemins de fer britanniques.

  11. Seb

    incroyable !

    Usager (pas client, ils ne connaissent pas ce mot) de la SNCF en Rhone Alpes, ayant eu a subir moulte crises & grèves … la SNCF nous propose dernièrement « Un «club fidélité» au lieu d’une indemnisation des voyageurs ».

    cliquez sur le lien, c’est édifiant.

    Alors manager de l’année, vue comme on se fout de not’gueule …

    merci pour ce grand moment de rigolade, vive nos élites visionnaires , vive la France !

  12. Francisco d’Anconia

    Une autre idée d’article sur la èssènecéhèf : lors de la prochaine publication des comptes, se demander sérieusement comment leurs experts-comptables peuvent les laisser annoncer fièrement que la SNCF a fait un bénéfice, quand elle reçoit 15 milliards d’euros de subvention de l’état par an !

  13. Théo31

    « Gérer de très près » = DTC, et avec le sourire svp.

    Honteux de parler de services rendus aux clients quand on leur sert autant de merde.

    La dernière fois que j’ai pris le train (couplé à un bus pour cause de travaux sur voies, j’ai mis 3 heures pour faire 50 km. Le train n’a pas attendu le bus et le gros connard au guichet a rembarré deux jeunes filles venues faire part de leur colère et fermé son guichet pour aller réceptionner une pizza.

  14. gem

    J’ai trop ri.

    Le brave Pepy était directeur du fret. On a du trouvé qu’il avait été particulièrement performant : le fret divisé par deux « seulement », sans doute que sans lui le fret SNCF aurait carrément disparu ? On l’a donc nommé directeur du bidule. Avec les même effets prévisibles…

    Prenez un train en région parisienne vers 8h et 17 h. La première classe est pleine … d’agents SNCF ! C’est tout juste s’il restent quelques sièges pour les vrais clients

    Comme dit l’autre : à la SNCF, ils étaient 30 dont 10 qui bossaient vraiment et 10 glandeurs voire fouteurs de merde ; on a donc réduit les effectifs à 20… en taillant dans ceux qui bossaient (par contre, les glandeurs sont toujours là) ! Bravo Pepy

  15. Alex6

    Puisqu’on en est aux anecdotes SNCF… sur un trajet Australie-France il y a quelques annees, taxi + avions + ICE sont arrives parfaitement a l’heure partout. Par contre le dernier troncon a ete parcouru en TER… 30 minutes de retard pour un trajet de… 45 minutes.
    C’etait la derniere fois que je prennais le train en France.

  16. Kelevra

    « guillaume pepy:voir loin, gerer de tres pres » ca c est sur, c est pas pour me moquer du physique, mais vu comment il louche, il doit pas voir plus loin que son gros nez.

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