Le pire, dans toute situation, est de réagir à chaud. La réaction instinctive n’est en effet pas toujours la meilleure, elle est parfois même la pire. Notamment dans des cas de colère ou de panique. Mais lorsqu’on réagit à froid, ou qu’on se donne les moyens d’attendre avant de réagir, il est regrettable d’agir de travers. Si on a pris le temps de réfléchir pour aboutir à une action maladroite, on a perdu son temps et son énergie en réflexion inutile. Comme bien souvent, l’état illustre à merveille ce petit principe pourtant simple…
En l’espèce, il s’agit ici de la vente d’essence au détail. Enfin, de son interdiction.
En effet, la préfecture de police de Paris a interdit aujourd’hui la vente de carburants au détail pour empêcher d’éventuels émeutiers de fabriquer des engins incendiaires. Le commentaire de cette préfecture est le suivant : « Pour limiter au maximum la capacité des groupes violents à s’approvisionner en produits inflammables, la préfecture a décidé d’interdire aux gérants des stations-service la vente de carburant au détail sur l’ensemble du ressort parisien ».
Voilà qui est une bonne idée. En effet, chacun sait que se procurer 30 litres d’essence pour sa voiture et la siphonner à moitié ou au trois quart n’est pas chose aisée, et qu’aucun rigolo de banlieue n’aura cette idée géniale.
A tout le moins, cette interdiction aurait dû être couplée d’une interdiction de la vente de briquets, d’allumettes et de pierrres à feu, avec le double avantage d’enquiquiner les émeutiers et les fumeurs dont bientôt la toxicomanie sera jugée criminelle, cela va de soi.
Pour que l’ensemble forme un tout cohérent, la préfecture aurait peut-être dû pousser jusqu’à l’interdiction des bouteilles en verre et des vieux chiffons, ou des alcools forts et de la lessive.
…
L’absurdité même de l’interdiction (elle n’empêchera rien) montre la totale inadéquation entre les services de l’état (la préfecture en l’occurrence) et les événements. Il ne faut pas s’appeler Einstein pour savoir que l’essence est remplaçable par de l’alcool à brûler (qu’on retrouvera dans n’importe quelle droguerie de quartier), que les détergents et les huiles sont faciles à trouver et difficilement contrôlables, et, pour paraphraser une version de Cocktail Molotov dans Wikipedia.org (09/11/05):
It is thus possible for a woman carrying a bottle of liquor, tampons, a scarf, cigarettes and lighter to be in the possession of deadly ingredients that would ordinarily arouse little suspicion.
La réaction ayant lieu quasiment à froid, on peut supposer que le prefet aura réfléchi pour aboutir à cette interdiction. Je suis perplexe quant aux prochaines actions que le gouvernement, les prefets et les maires, par exemple, pourront bien prendre au jugé de celle-là.
Cela, au demeurant, se rapproche fort bien d’un précédent article qui évoquait les gesticulations du législateur pour le renforcement de la protection parentale sur Internet. On y retrouve tous les ingrédients classiques des décisions étatiques : manque d’imagination, inadaptation de la réponse au problème, méconnaissance des tenants et des aboutissants.
Ou simple bêtise crasse ?
En fait, non !
Là encore, le gouvernement et les gens qui le représentent utilisent les mêmes grosses ficelles que d’habitude : on s’agite et on pond des textes (un arrêté ici) plus ou moins fumoïdes, pour montrer qu’on fait quelque chose.
Ca donne lieu à quelques lignes médiatisées par les organes d’état, et ça rassure (peut-être) la populace qu’on prend décidemment pour beaucoup plus bête qu’elle n’est.