Les grands combats inutiles

Vous voulez vous lancer dans la politique ? Vous êtes déjà dans la politique mais les média vous boudent et vous n’arrivez pas à obtenir la notoriété que votre égo surdimensionné réclame ? Vous pensez pouvoir changer le monde, imposer vos valeurs morales supérieures aux béotiens qui vous entourent ? Une seule solution : le Combat Inutile !

Prenons un exemple concret : vous savez pertinemment que la situation de l’emploi en France est désastreuse et que la politique gouvernementale n’est pas la bonne. Vous n’avez aucune solution alternative à proposer, mais d’un autre côté, faire parler de vous et vous faire passer pour un leader charismatique ou supposé tel vous enchante.

Une seule solution : en brassant de l’air et des slogans en carton bourrés de fautes d’orthographe, et avec une force de conviction qui vous a permis de rassembler les foules sur des sujets aussi importants que la hausse du ticket restaurant ou le renouvellement de la machine à café du 3ème étage, vous pouvez sans problème mobiliser à nouveau une foule hétéroclite d’étudiants à l’esprit affûté comme du beurre chaud, de fonctionnaires abonnés à la grève, de syndicalistes cacochymes et de politiques démagos contre le CPE, le CNE, les modifications du droit du travail, les licenciements, les délocalisations, les super-profits scandaleux des pétroliers mangeurs d’enfants et, mettons, la baisse du prix du poulet.

Le combat consistera à organiser une mergez-partie dans les rues parisiennes et dans les villes de province, à brailler des slogans faciles en utilisant habilement les lettres CPE dans des jeux de mots finement ciselés, et à défiler avec le plus de petits copains branlemusards dans le seul but de “montrer votre détermination contre ce projet de loi qui affaiblit les jeunes et institutionnalise leur précarité”.

Mais … le combat sera inutile car si la loi ne passe pas, la situation de l’emploi en France ne changera pas à la suite de la manifestation. Et si la loi passe, ce ne sont pas les quelques entreprises qui signeront ces contrats qui assècheront les millions de demandes que la société semble contenir, bref, la situation de l’emploi en France ne changera pas non plus…

En plus, quelle que soit la mobilisation effective, bien malin sera celui qui pourra dire précisemment combien de râleurs invétérés elle aura rassemblé : 800.000[1] et selon les organisations syndicales, 300.000 selon la police, et probablement 150.000 si l’on compte effectivement les péquins qui seront allés se geler les miches sous les pluies froides de ce début mars.

A ce propos (et un peu hors du sujet), on peut se demander exactement comment on arrive à des différences allant du simple au double entre les estimations des uns et des autres, alors qu’un comptage complet par des volontaires, éventuellement étudiants, et, peut être, en CPE (eh eh eh) pour un institut de sondage permettrait soit de rassénérer les syndicats dans leurs chiffres et leurs actions, soit (plus probablement) de minorer encore les estimations de la police (et rendre alors à leur juste proportion ces agitations bruyantes et odorantes).

Malgré une mobilisation sans précédent, la cause politique pour l’emploi ne peut pas toujours faire entendre votre voix ?

Qu’à cela ne tienne ! Ayez des couilles, soyez courageux, mettez votre vie en danger : arrêtez de manger !

Une bonne petite grève de la faim, une petite conférence de presse, et vous voilà lancé dans la sphère publique de la notoriété. Par exemple, vous êtes député UDF (extrême-centre, donc) et vous apprenez par Radio Bruits de Couloirs qu’une entreprise détenue par Total, le groupe de capitalistes superprofiteurs mangeurs d’enfants, va fermer ses portes dans votre département.

Une seule solution pour sauver l’emploi : arrêter de manger. Ainsi, vous pourrez vous justifier, par exemple en éructant – sans friser le ridicule – une saillie grotesque du genre :

« Il m’est devenu insupportable que des hommes seuls, aussi puissants soient-ils, puissent décider du sort de dizaines de familles, de leur vie ou de leur mort et du devenir de notre territoire déjà en lambeaux ».

… Car pour ameuter la presse, il faut au moins ça : des hommes puissants d’un côté, des familles de l’autre, la vie, la mort, et un territoire en ruines. On croirait du John Wayne dans le Jour le Plus Long, tiens, ou du “Il faut sauver le soldat Lassalle” (c’est le nom du candidat à la postérité par inanition interposée).

Sacré soldat, ce dépité des Pyrénées Atlantiques : il se lance dans un combat inutile, un combat à mort ! Inutile, car finalement, sauf à vraiment claquer bêtement, tout sec et tout maigre, dans son bureau, et faire s’émouvoir toute l’opinion publique, il ne risque pas vraiment de faire changer quoi que ce soit à la situation de l’entreprise en difficulté qui choisit de délocaliser. Et quand bien même : le mieux que puisse acheter son combat et son ultime résultat gastronomiquement discutable, ce serait un petit sursis dans l’hypothétique fermeture locale.

En définitive, si l’entreprise est suffisamment compétitive pour rester sur le sol français, son combat est inutile : elle y restera. Si l’entreprise ne l’est pas assez, son combat est inutile : elle partira ou fermera ses portes. A moins bien sûr que, derrière ses phrases grandiloquentes, se cache en fait le désir inavoué de créer une ponction supplémentaire sur les “superprofits” de l’entreprise mère, Total, en guise de subvention à son entreprise déficiente dans le département… pour y sauver des emplois, et, de façon plus rentable encore pour notre petit soldat, des contribuables citoyens électeurs. Slurp.

Mais j’ai bien conscience que tout le monde ne peut mettre sa vie et son prochain repas en danger pour se faire connaître, et qu’entamer un Combat Inutile peut aussi se révéler fort simple, sans se traduire ni par des manifestations de colère sur la voie publique, ni par des manifestations de protestations gastriques dans un bureau de l’Assemblée. Il suffit par exemple d’enduire de bienpensance dégoulinante un projet de loi en y ajoutant, par exemple, un amendement pour rendre les CV anonymes.

Voilà, dans le Combat Inutile, qui confine au luxe : non seulement, ce combat ne sert pas la cause qu’il est sensé mettre en exergue, mais en plus, il ne met personne en valeur : aucun député ne semble porter ce projet sur ses larges épaules de tribun courageux, et aucun sénateur ne semble suffisamment en manque de notoriété pour marketer bruyamment son support à ce projet de loi foutraque.

Et à présent, donc, les CV seront anonymes. Impact en terme de discrimination : nul. Le raciste déplacera sa discrimination de la lecture du CV à l’entretien, c’est tout. Par contre, l’impact en terme de coût (psychologique et financier) sur le candidat, lui, aura augmenté, puisqu’il ne découvrira qu’il a été discriminé qu’une fois aura été prise la peine de se déplacer.

Mais au final, ce qu’on retiendra, c’est que plus le combat est inutile, plus il semble, dans ce pays, nécessaire. On y sent comme une raison pour s’occuper l’esprit. On s’ennuie ? On fait une manifestation. On ne passe pas à la télé ? On arrête de manger. On veut montrer qu’on agit contre tel comportement jugé amoral ? On légifère bêtement, sans réfléchir.

Après tout, cela fait passer le temps, non ?

Un combat inutile
Un autre combat inutile
Et encore un autre

Notes

[1] Enfin, 800.000 ici, mais 200.000 de mieux

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Commentaires3

  1. arnaud

    Mort de rire, je suis étonné cependant que le combat inutile (c) n’aie pas été inventé par la vilaine supercorporation demaerd (c)(r)(tm) mangeuse d’enfants. Ca aurait tellement plus d’impact.

    Quand au racisme à l’embauche, je ne suis pas d’accord. Le racisme n’existe pas, car il n’y pas de races chez les humains, biologiquement nous faisons tous parti de la même espèce. Donc les gens qui accusent d’autres de racisme sont eux-même racistes. CQFD.
    Le terme xénophobie ou religiophobie serait finalement plus approprié.

    Quand au député qui fait grève de la faim, quel bel exemple pour un élu. D’un autre côté il coutera moins cher en notes de frais présentées aux contribuables. Un combat inutile pour lui est un gain pour le contribuable.

  2. Jojo

    Analyse intéressante et juste dans l’ensemble. Une zone d’ombre, une certaine complaisance pour la super corporation mangeuse d’enfants. Renseigne toi sur le marché du pétrôle, sur les dérives liées à ce joli fluide noir, en particulier en Afrique avant de la défendre becs et ongles. Voilà, pas d’autre commentaire.

  3. Le marché du pétroôole est détenu à 90% par … des états. Si tu veux glisser sur ce terrain (noir) là, libre à toi. Mais dans ce cas, taper sur les grandes compagnies pétrolières, c’est d’abord taper sur les magouilles interétatiques sauvages, les milliers de morts qu’elles entraînent et sur la géopolitique mondiale directement afférente.

    Voilà. Pas d’autre commentaire.

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