V vour Vendetta, vun vilm vraiment vuper !

A l’occasion de cette semaine de vacances, j’ai eu le bonheur d’aller voir V for Vendetta, le dernier film des frères Wachowski…

Via le dernier opus de Matrix (Revolutions), les frères W avaient clairement marqué leur attachement à l’aspect recette d’un film. Recette non pas comme dans Recette Du Succès, mais bien comme dans Recette Financière Importante. A ce titre, le dérapage incontrôlé – que leur avait imposé la Warner au travers de Joel Silver dans le but assez clair de ratisser le plus possible d’adolescents boutonneux en mal de dépenses cinématographiques – laissait craindre le pire pour ce film au contenu politique quasi-explosif.

Jugez-en : dans un futur proche, l’Angleterre, soumise à la botte d’un dictateur au nom évocateur de Sutler, se laisse tranquillement couler dans le moule totalitaire et omnistatolâtre quand un mystérieux terroriste, qui se fait appeler V, finit par introduire la sédition et une vision pour le moins libérale de la façon dont un gouvernement doit gérer les affaires du pays.

Avec un tel sujet, fort était à parier en effet que les pontes hollywoodiens, généralement timides pour faire de la politique sur celluloïde, ne dénaturent le sujet en transformant le super-héros libertarien en un Dolph Lundgren de la Sédition Facile, baigné de stéroïdes, d’explosifs et de courses folles en voitures à l’huile de colza[1] (enfin, je dis Dolph, j’aurai pu dire Arnold).

Finalement, non : le sujet est bien traité, le héros n’est ni super (au point d’en être caricatural) ni anti, le message de fond ressort bien et, cerise sur le gâteau, le tout avec un savant dosage de scènes d’actions / bastons, ni trop ni trop peu. Et comme dans toute mayonnaise correctement préparée, cela monte bien, et … vite.

Sur le plan graphique tout d’abord, on notera que c’est l’assistant réalisateur des précédents Matrix (Mc Teigue) qui a pris la caméra cette fois-ci, pour laisser toute latitude aux frères W sur la mise en scène et le scénario : dès lors, on appréciera un traitement de l’image assez proche des Matrix, bien léché, net, et dans le choix de certains plans, l’esthétisme de certaines scènes d’actions, l’ambiance sombre sans être glauque, les contrastes importants entre les scènes intimistes, aux couleurs chaudes, et les scènes d’actions, plus froides…

Sur le plan de la mise en scène, et du jeu d’acteur, rien à dire : efficace. Les acteurs ne sont pas des débutants, et on le sent facilement. Portman a fait ses preuves notamment dans Leon, Star Wars, … Quand à Hugo Weaving (Matrix, Le Seigneur des Anneaux), ses qualités d’élocutions sont très bien mises à profit dans les nombreuses saillies de V – on notera d’ailleurs une véritable performance en début de film où ce dernier sort une tirade, longue allitération liquide et limpide de … ‘v‘, cela va de soi…

Ces constatations d’usage sont évidemment des prérequis nécessaires, mais pas suffisants pour faire de ce film un véritable chef-d’oeuvre ; car finalement, la seule chose qui prévaut, dans tout film, c’est l’histoire. Les meilleurs acteurs, la meilleure mise en scène au service d’une histoire bancale permettraient peut-être de faire rentrer un film dans ses frais, mais ne le feraient jamais entrer dans la catégorie des points de repères cinématographiques, ou, mieux encore, dans une DVDthèque personnelle – la mienne est très peu fournie ce qui donne une idée de la sélection drastique à l’entrée.

Or, miracle, ce film trouvera sa place sans problème, entre Dark City et Brazil, par exemple : la trame se tient, le développement est efficace. Le film, assez condensé, arrive ainsi à faire passer l’essentiel du message libertarien et anti-totalitaire, anti-fasciste, dont il est, quasiment, le prétexte : on lit clairement une critique pointue, précise et argumentée du système étatique… Et c’est d’ailleurs cette critique anarchiste qui, finalement et à mon avis, sera la moins analysée tant elle est voyante, alors qu’elle est d’une profondeur que les films hollywoodiens, blockbusters d’action de surcroît, ne nous ont pas habitué à dispenser.

Je m’explique : le héros n’est pas seulement un adepte de la liberté d’expression, libéral et revendicatif, mais aussi anarchiste. Non seulement il réclame pour tous et chacun le droit de disposer de sa vie comme il l’entend, mais il explique très clairement deux choses :
– que l’état s’oppose toujours à notre désir de liberté, et qu’il doit être combattu, au moins à ce titre
– que la démocratie contient en elle-même les germes incontrôlables du totalitarisme.

Ainsi, V s’attaque à deux choses simultanément : d’une part au dictateur, incarnation ultime de l’état, de son appareil, de ses déviances et pires malversations, et d’autre part, aux “institutions” de représentations du peuple (les officielles comme le Parlement et les auto-proclamées comme les média). Or, si attaquer le dictateur constitue une réponse évidente aux dérives de l’état, c’est bien s’en prendre aussi aux institutions qui présente un vrai saut quantique dans la dénonciation du système.

Chacun retiendra de ce film le “People should not be afraid of their governments. Governments should be afraid of their people” : normal, la phrase de Jefferson est exactement ce à quoi on devrait effectivement tendre.

Mais combien retiendront le plus subtil argument de V : “…if you’re looking for the guilty, you need only look into a mirror : you were afraid… Fear got the best of you, and in your panic you turned to … Adam Sutler. He promised you order, peace, and all he demanded in return was your silent, obedient consent. “ ?

Combien comprendront que le basculement de la démocratie vers le totalitarisme est un glissement lent, quasi-indolore, invisible, et que si la dénonciation d’un gouvernement outre-atlantique semble claire dans ce film, elle concerne tout autant les démocraties de toute la planète, à commencer par la nôtre ? Combien verront que s’il est aisé de dénoncer les dérives totalitaires d’un Bush, il est plus délicat de dénoncer les mêmes dérives, beaucoup plus feutrées, chez nous, sans, justement, se faire traiter de facho, ou, pire, de … libéral ?

Combien comprendront qu’ils ont d’ores et déjà voté pour celui qui a promis l’ordre et la paix, la sécurité, en échange de notre silence et de notre consentement obéissant ?

Notes

[1] Car l’huile de colza, question Sédition & Vendetta, ça cogne !

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Commentaires9

  1. Etienne

    Petit pavé dans la mare, tout de même. Si le message du film est explicitement antitotalitaire, antifasciste, favorable à la liberté, etc., il me semble que ce serait prendre ses réves pour la réalité que de le considérer comme strictement libéral. Les thèmes traitées sont également ceux mis en valeur par le libéralisme, mais celà ne veut pas dire que l’on puisse récupérer le film comme libéral – pas plus qu’on ne peut récupérer 1984 comme exclusivement libéral. D’autant plus qu’Alan Moore ne cache pas qu’au moment où il a rédigé la BD – dans les années 80 -, son scénario s’inspirait de la situation qui régnait alors en Grande-Bretagne dont le Premier Ministre était… Margareth Thatcher.

  2. Rocou

    L’anarchie est par définition libérale. C’est l’essence du libéralisme.
    Je me demande comment on peut se prétendre anarchiste en affirmant:
    "Anarchists believe in a society without rich and poor, a society where resources are shared equitably and everyone’s needs are met".
    Ce n’est pas être anarchiste, c’est être idiot.
    aforanarchy.com n’est nullement le site de la BD, c’est une récupération à l’instar de celle (judicieuse) de H16 🙂

  3. Que la BD ou le film n’aient pas été créés pour être explicitement libéraux, on s’en fiche : le message final, celui qu’on peut déceler et comprendre sont, eux, libéraux, et ce sans ambiguïté. Il m’apparaît clair que la fortune des intervenants de l’histoire n’intervient pas – pas de lutte des classes donc – et qu’il n’est en fait question que de liberté, notamment d’expression. La liberté n’est-elle pas l’essence du libéralisme ?

    Il me semble donc que ce serait passer à côté de quelque chose que de ne pas voir ce message libéral ou libertarien dans le film…

    Quant à classer 1984 comme libéral, il n’en a jamais été question : c’est une critique claire du totalitarisme, mais sans proposition alternative (qui pourrait être libérale, elle). 1984 est simplement une dénonciation, V est une dénonciation couplée à une analyse du problème (la démocratie). Il me semble que ce dernier est donc plus profond que ce premier…

  4. RonnieHayek

    Le film est clairement plus libéral et moins "anar de gauche" que la BD.

    D’abord, plusieurs répliques intéressantes ne figurent pas dans l’oeuvre originale, par exemple :

    – "Why not? This is the BTN. Our job is to report the news, not fabricate it. That’s the government’s job."

    – "One thing is true of all governments. The most reliable records are tax records. "

    – "Evey: Where did you get all this stuff?
    V: Oh, here and there. Much of it from the vaults at the Ministry of Objectionable Materials.
    Evey: You stole them?
    V: Heavens, no. Stealing implies ownership. You cannot steal from the censors. I merely. . . reclaimed them."

    Ensuite, comme Melodius me l’a récemment fait remarquer, c’est l’une des rares charges anti-gouvernementales dont les protagonistes, victimes de l’arbitraire étatique, sont des gens des classes moyennes, voire des individus très aisés. La BD est, au contraire, plus misérabiliste.

    Je partage l’analyse de h16 sur le caractère central du discours télévisé de V, qui s’en prend aux bases de la servitude volontaire des individus, prêts à céder leur liberté en échange de vaines promesses de sécurité, débouchant sur la terreur. Si ce discours figurait grosso modo dans le récit de Moore & Lloyd, la relation avec la mise en question de la démocratie y était fort ténue, car le parti totalitaire arrivait au pouvoir à la suite d’un coup de force. Or, dans le film, il y parvient par voie démocratique. Enorme différence avec la BD, et bien plus dérangeante pour le confort intellectuel de ceux qui voudraient voir dans la démocratie l’horizon indépassable de notre temps.

  5. Laurent

    D’accord avec H16 sur l’interpretation, mais la realite est que 90% de ceux qui ont vu le film (d’apres un sondage personnel d’une fiabilite toute relative, il est vrai) le voient non pas comme une mise en garde contre TOUT Etat ou TOUTE democratie, mais seulement contre ceux qu’ils estiment deriver vers le totalitarisme. Tous ces sociaux-democrates petris de bien-pensance et defenseurs de l’equation Bush = Thatcher = Berlusconi = Pinochet = Hitler (= Blocher = Heider) ressortent du films revigores et enthousiastes.

    C’est certainement le calcul qu’ont fait les pontes hollywoodiens.

  6. pierrem

    Il semble quand même que le film élude quelque peu la question du capitalisme pourtant centrale dans une logique libertaire. C’est quand même un peu facile. Ne pas oublier que le "pouvoir de l’argent" est justement exactement le centre de la contreverse anti-libérale. Le film reste donc une manière politiquement correcte de traiter le sujet de liberalisme.

  7. Chroniques patagones

    Dissidents pour de vrai

    Ceci n’est pas une histoire de fiction comme V for Vendetta – excellent film, au demeurant – qui montre un dissident s’élever contre le totalitarisme étatique. Ceci est une histoire vraie. Munich, février 1943. Sophie Scholl, 21 ans, est…

  8. bug-in

    A mon sens le film n’est pas libéral, mais libertaire. La critique de la propriété privé (par rapport au vol) n’a rien de libéral puisque la propriété privé est la pièce essentielle du libéralisme, alors que les libertaires critique la propriété privé. Par ailleurs à la fin du film dans le générique, vous pouvez clairement voir un logo apparaître : anarchos production. Anarchie et libéralisme c’est différent. Anarchie, absence d’état… pas dans le libéralisme. Par ailleurs la critique que fait le film est a rapproché de Matrix avec le Néo libertaire contre le Smith libéral. Néo fait la peau à Smith, qui défend l’ordre, les machines, et les entreprises (comme celle pour laquelle travaillait Néo dans le premier matrix). Bref, il y a plus ou moins la même idée de liberté qui traine derrière V et Matrix.

  9. “Absence d’état : pas dans le libéralisme” ?! Mais le libéralisme, c’est tout faire pour réduire l’état autant que possible (minarchie) ou l’annuler complètement (anarcapie). Renseignez-vous !

    A ce titre, la seule anarchie qui soit cohérente, c’est l’anarchie-capitaliste; proposer une anarchie collectiviste, c’est vouer l’individu aux affres du totalitarisme. La liberté est bien présente chez les libertaires, mais elle s’arrête là. L’anarchie des libertaires, c’est l’anomie ou, pire, le collectivisme poussé à son paroxysme qui annihile complètement l’individu.

    Quant à voir dans le Smith de Matrix un libéral alors qu’il représente l’icône parfaite du fonctionnaire purificateur à tendance nazie, c’est aller très loin dans le filtre orienté.

    Le libéralisme prône l’isonomie basée sur la catallarchie, et il n’a en rien besoin de l’Etat. L’anarchie cohérente est forcément libérale. Si le film est violemment quelque chose, c’est anti-démocratique, ce à quoi je souscrits.

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