La patrie à toutes les sauces

C’est maintenant la dernière ligne droite pour nos canassons engagés dans le Grand Prix de la Timbale de la République et l’on peut déjà noter un essoufflement des trois principaux concurrents. Innocent Du Béarn (casaque orange) montre des signes clairs de ralentissement alors qu’il vient d’être rattrapé par Chabichou d’Avenir (casaque rose), dont le galop un peu maladroit et désordonné à cet instant de la course ne parvient pas à rattraper Minnie-Ministre (casaque bleue), dont les furieux coups de sabots l’ont aidé à rester en tête pour le moment. Pendant ce temps, Tribun Borgne (casaque furieusement bleue, blanc et rouge) continue sur sa lancée en petites foulées régulières…

Eh oui : alors que se profile déjà le mois d’avril et qu’en France, maintenant, tout ne sera plus qu’élections et cuisine électorale jusqu’au mois de juin, les principaux protagonistes sentent le vent du boulet qui s’approche pour dégommer une poignée d’entre eux…

Jugeant que la fuite en avant constitue sans doute la meilleure défense ou une bonne protection contre la fessée qui se profile le 22 avril, nos petits chevaux s’éparpillent dans des considérations tortueuses basées sur la Patrie et la Nation (qu’on devrait presque écrire Paâatrie et Naâation tant l’attachement subit à ces deux mots apportent un parfum d’entre deux-guerres à une campagne jusque là terriblement convenue).

Mais ne nous leurrons pas. La Patrie et la Nation sont des notions extrêmement floues : il ne s’agit pas d’une couleur de peau, d’un nom ou d’un trait dominant, pas plus qu’une naissance ou une position géographique, puisqu’un immigrant peut s’en réclamer après quelques années. Patrie et Nation ne sont pas des coutumes, l’Etat Français ressemblant bien plus en cela à un patchwork de différentes régions, elles-mêmes assemblages de communautés ayant trouvé des règles similaires de vie en société.

Si l’on s’en tient aux définitions de l’un et l’autre mot, on tombe sur “pays où l’on est né” pour Patrie, et “ensemble des personnes nées ou naturalisées dans un pays et vivant sous un même gouvernement” pour Nation. Pas de quoi, donc, fouetter un chat, noir ou pas : Patrie comme Nation sont des objets chimiquement peu réactifs, qu’on peut manipuler sans grand danger dès lors qu’on n’est pas dans son petit laboratoire d’apprenti-politique bidouillant les bancs d’essais d’un pays en proie aux affres existentiels d’une fin de gloire qui dure[1].

Bizarrement cependant, si l’on place un peu de Nation en suspension aqueuse en présence de collectivisme gazeux, on obtient un précipité colloïdal brun à forte odeur nauséabonde, appelé Nationalisme. De façon tout à fait aussi étonnante, en agitant un peu de Patrie en phase grasse avec des sels de collectivisme, on aboutit là encore à des cristaux sombres et tranchants de Patriotisme, avec parfois des impuretés de Chauvinisme acide. Le doute est levé : le collectivisme, fût-il de droite ou de gauche, transforme ces deux mots simples en composés chimiquement dangereux, voire explosifs.

Si l’on se penche à présent sur l’Identité Nationale, on se rend compte qu’au contraire du précipité colloïdal de Nationalisme, ce concept est incolore, inodore et insipide : c’est, comme bien souvent en politique, un artifice utile, une arme. En tant qu’arme, il permet d’aller triturer les nationalistes de la droite sans en avoir l’air, et permet de découper du socialiste boboïde à moindre frais. En tant qu’artifice, il dissimule facilement un discours creux par une notion toute gonflée de sa suffisance. Mais las, quand on aiguillonne l’Identité Nationale en cherchant exactement ce que ça veut dire, paf !, le concept creux explose : c’est de l’air chaud ! Il est en effet bien difficile d’obtenir des candidats une définition claire ou même une vague idée de ce qu’ils veulent englober dans ce fourre-tout idéologique. En revanche, on comprend fort bien qu’il s’agit de créer une différenciation entre ceux qui “partagent” cette identité nationale (et peu importe ce qu’on y met derrière) et ceux qui n’en veulent pas ou ne se déclarent pas ouvertement.

Or, ce sont ces notions floues qui sont utilisées pour tenter de créer un esprit de groupe, une ferveur qu’on ne peut pourtant pas créer de toute pièce, et en tout cas pas de façon aussi artificielle : il faut des années pour qu’un groupe se forme autour de concepts sans cesse répétés ; de même qu’en 2002 le thème de l’insécurité semblait artificiel ou monté en épingle tant par les média que par les politiques, le thème de la nation semble lui aussi lourdement parachuté pour des raisons de manœuvres électorales plus que pour des raisons de fond. On sent par exemple que les mouvements de la Madone du Poitou sont purement tactiques et ne répondent pas, en réalité, à une ferveur soudaine de patriotisme. Bayrou, plus fin politique, ne s’y est d’ailleurs pas laissé prendre.

D’un autre côté, on ne peut qu’admirer la parfaite cohérence du Borgne dans son utilisation constante du message nationaliste. Usant – peut-être sans même l’avoir vraiment voulu – d’une tactique de Sun Tzu qui oblige ainsi les autres candidats à venir sur son terrain plutôt que lui aller sur les leurs, il lui est ensuite facile de stigmatiser la position ambiguë des autres candidats.

La pauvrette de gauche, complètement perdue au milieu de ses ébouriffants changements de caps et de ses déclarations absurdes et flamboyantes, aura bien du mal à récupérer le thème tant il aura été sulfurisé par Le Pen ces vingt dernières années. Et ce ne sont pas quelques drapeaux agités le 14 juillet par les partisans de la Ségo qui installeront le thème dans le coeur des collectivistes déclarés, les faces outrées des extrêmes-cocos prouvant s’il était besoin que ce thème est devenu inabordable.

Quant à Sarkozy, si c’est lui qui a déclenché le glissement de la campagne sur ce thème (et devrait donc en tirer les bénéfices), c’est aussi lui qui fournit les principaux arguments pour le vote Le Pen plutôt qu’un vote pour lui : pourquoi le choisir lui alors qu’on peut avoir un vieux de la vieille constant dans le raisonnement, et pourquoi deviendrait-il subitement bon à traiter maintenant un problème qu’il fut mauvais à régler au poste qu’il a occupé pendant plusieurs années ?

En pratique, le problème majeur qui existe en France au sujet de l’immigration n’est pas l’immigration en elle-même : tous les jours des étrangers de toutes origines viennent sur le sol français et s’y installent, y travaillent, légalement ou pas, et contribuent à former le tissus social, la richesse du pays et des échanges qu’on peut y pratiquer. Non, le principal problème est qu’on ne peut plus, depuis vingt ou trente ans, évoquer ce mot sans immédiatement être taxé de fasciste.

Et si l’on a abouti à ce résultat, c’est parce que ce terme d’immigration en France recouvre en fait deux phénomènes distincts : les gens qui viennent dans ce pays parce qu’ils espèrent y trouver travail et stabilité, d’une part, et d’un autre côté, la ponction des ressources limitées de ce pays par ces mêmes personnes. Or, l’ensemble du système a été conçu pour accroître les moyens de ponctions en défavorisant la création de ces mêmes ressources par, notamment, le travail des immigrants.

Si, a contrario, tout avait été fait pour accroître la facilité de travail des immigrants et diminuer les ponctions aux ressources, la situation générale du pays ne serait certainement plus jugée à l’aune des flux migratoires. Une application concrête de ce principe aurait consisté à ne verser aucune aide à personne (ni immigrants, ni nationaux), et à rendre l’embauche la plus simple et routinière possible. Ce système a fonctionné dans le passé, aux USA au début du XXème, en France dans les années 50, au Canada, en Nouvelle-Zélande, en Australie, de nos jours. A chaque fois, il a permis une création nette de richesse et une augmentation du niveau de vie de tous.

Mais voilà : c’est une solution d’essence libérale qui, par nature, provoque la dissolution rapide des cristaux d’Etat turgescent, dilue le nationalisme et le patriotisme pour ne laisser, au final, que des gens dont les intérêts multiplement liés entre eux incitent à la stabilité.

Or, moins d’état, c’est moins de politiciens, moins de fanfreluche pré-électorale, moins de pouvoirs pour les monstres à talons et égos sur-dimensionnés qui paradent actuellement. Ca ne peut pas le faire.

Alors, en attendant, on braille la Marseillaise en secouant des drapeaux.


L’express
La Tribune

Notes

[1] Diantre, quelle phrase ! Respirez un bon coup.

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