Euro : Nous n’aurons qu’une seule chance…

Grâce au blog pointu et bien informé d’Alex Korbel, j’ai découvert un passionnant article du Spiegel retraçant, heure par heure, le week-end qui vit naître le plan de sauvetage le plus obèse que l’Histoire économique aura connu.

Je vous encourage vivement à le lire, tant il est édifiant sur la façon de procéder de nos politiciens : incompétence, panique, gestion de l’urgence au pifomètre, improvisation, jeux de pouvoir. En gros, tout fut décidé dans les deux dernières heures du dimanche 9 mai, dans la plus parfaite précipitation. Palpitant… Tout y est pour en faire un excellent roman. Sauf qu’évidemment, c’est pour de vrai et avec votre argent (et votre avenir, aussi).

C’est en anglais (je pense qu’une version dans la langue de Goethe doit exister), que je résume ici en français (le ton est sensément un peu différent de l’original).

— 7 Mai —
09:00, Berlin
Les taux d’intérêts longs et l’EURIBOR inquiètent Jens Weidmann, le conseiller économique de la Chancelière, qui lui en touche un mot dans une note.

10:00, Berlin, Francfort
Le parlement allemand vote le soutien à la Grèce. Le week-end approche, tout va bien. Au même moment, à la BCE, on fronce les sourcils devant ces taux qui grimpent.

11:00, Bruxelles, Commission Européenne
Barroso appelle Merkel. Il s’inquiète un chouilla des développement en bourse. Les marchés sont nerveux.

14:00, Berlin
Téléconférence entre le secrétaire d’état US Tim Geithner et les autres membres du G7. Les marchés sont de plus en plus nerveux, certains commencent à avoir les mains un peu moites.

15:00, Bruxelles, Conseil de l’Union Européenne
Sarkozy arrive le premier. Il en profite pour avoir une discussion privée avec les premiers ministres Sócrates, Berlusconi et Zapatero. Il a un « plan ». Evidemment.

18:00, Bruxelles, Conseil de l’Union Européenne
Sarkozy touche un mot de son « plan » à Merkel, en insistant sur la nécessité d’agir dans la précipitationrapidement. Merkel soupçonne une entourloupe. On la comprend.

21:00, Bruxelles, Conseil de l’Union Européenne
Finalement, on ne parle plus trop de la Grèce. Devant les petits graphiques de Trichet dont la moitié des intervenants découvre la teneur avec l’oeil un peu affolé de bovins qu’on amène à l’abattoir, l’assistance comprend qu’il est fini le temps des petites broutilles grecques. On commence à parler gros sous. Chacun sait qu’à partir de ce moment, il faut y aller franco : « Nous n’aurons qu’un essai« , se disent-ils.

— 8 Mai —
00:30, Bruxelles, Conseil de l’Union Européenne
Le sommet prend fin. Merkel, fatiguée, s’en va sans dire un mot ou presque. De son côté, Sarkozy en profite pour expliquer en long et en large l’importance du plan qui va être mis en place et qui doit beaucoup à ses petits muscles. Berlusconi renchérit. Tout le monde sourit : la maison était en feu, on va l’éteindre à coup de milliards et ce sont les Allemands qui arrosent.

18:00, Moscou
Merkel est allé assister aux cérémonies officielles pour la célébration de la Victoire contre les Nazis. A ses côtés, outre Poutine, Hu Jintao, le chef d’état Chinois. Ce dernier lui explique qu’il est inquiet pour l’euro. Merkel lui assure que tout sera fait pour sauver la monnaie unique. Vraiment tout (et plus encore).

— 9 Mai —
12:00, Francfort, Bundesbank
Les petits calculs ont été faits. Ce ne sera pas quelques dizaines de milliards qui sauveront les miches des pays dans le caca, mais plutôt 500. Mines déconfites, yeux hagards et petits fours, tout ceci n’est pas qu’un petit mauvais moment à passer.

13:00, Bruxelles, Commission Européenne

La Commission produit un draft de proposition pour le plan en question. Gratiné, on le croirait écrit directement par l’équipe de l’Elysée : pas de limitation de date, pas ou peu d’implication du FMI, émissions de dette directement par la BCE, pas besoin de l’unanimité des états membres, tout le monde cotise … Les mêmes recettes de base qui ont fait le succès de la Sécu française. Miam.

15:00, Bruxelles, Conseil de l’Union

Alors que Schäuble, le ministre allemand des Finances, arrive au Justus Lipsius (le building du Conseil), il est pris d’un gros malaise qui l’oblige à repartir rapidement en ambulance. Peut-être aura-t-il entendu la radio débiter les petites phrases de Lagarde (« Tout va bien » et « Tout est sous contrôle » ou « La crise est finie »)… Ce sera finalement De Maizière qui le remplacera, au pied levé. Pendant ce temps, les membres présents compulsent la proposition de la Commission. Les petits fours ont du mal à passer.

16:15, Berlin
Les premières estimations sur les élections en cours en Allemagne prédisent un échec du gouvernement Merkel. Tout le monde, à la Chancellerie, reste calme. Le résultat était prévu, et ils ont d’autres chats à fouetter que cette péripétie. Dans le même temps, Merkel s’entretient avec Obama. Ce dernier veut du lourd, du gros, du qui fait mal. Merkel convient qu’il va falloir substantiellement plus que les 60 milliards prévus au départ, mais demande son appui pour l’aide du FMI. Obama est content. De toute façon et pour une fois, ce n’est pas directement l’argent des Américains. Enfin, pour le moment.

20:30, Bruxelles, Conseil de l’Union

Bon, maintenant, faut se magner : les marchés ouvrent bientôt à Sydney, il va falloir cogner très fort. Peu importe ce qu’on raconte, ça doit dépoter. Allez, go go go. Cependant, les discussions s’éternisent. A 22:00, rien n’est encore bien clair sur qui fait quoi, combien et comment.

22:30, Francfort, Bundesbank
Weber, Le président de la Bundesbank, explique aux membres exécutifs que la BCE a décidé de racheter les dettes des pays ayant besoin de crédit, probablement dès le lundi.

Silence choqué dans la salle.

Tout le monde a compris, à ce moment, que le traité de Maastricht est violé, que la zone euro est directement responsable pour chacun et tous ses membres, et que la BCE a totalement perdu son indépendance et se lance sans vergogne dans la planche à billet.

Le plus joli, c’est que bien que cette constatation viole l’esprit même de la Bundesbank, finalement, les membres du bureau exécutif acceptent l’amère dragée et votent donc la coopération avec la BCE et les autres banques centrales des pays membres.

La fête du slip peut continuer.

23:00, Bruxelles, Conseil de l’Union
Les négociations s’enlisent. On chipote sur des détails (un petit milliard par ci, un gros milliard par là, ne mégotons pas que diable, sachons vivre !) ou sur des points de procédures tatillonnes (ratifier ceci ou cela, c’est long, c’est chiant, et le peuple pourrait grogner). L’ouverture des marchés de Sydney se rapproche. Lagarde, devenue modératrice de fait de la réunion, propose un petit break festif et de changer le point de focale vers Tokyo – deux heures de plus, c’est toujours bon à prendre avant d’allumer une bombe thermonucléaire.

Retour de pause. Ça se chamaille toujours. Les Britanniques ne veulent pas payer, les rapiats. Les Espagnols et les Portugais ne veulent pas qu’on mentionne leurs déficits galopants, pudeur oblige.

Finalement, 15 minutes avant l’ouverture des marchés à Tokyo, une déclaration est prête. Pas de dette européenne directe, mais, youpi tralala, une nouvelle institution, et une limite de trois ans pour pisser de l’euro par milliards dans tous les coins.

La suite, vous la découvrez maintenant. Le lundi suivant, la Bourse fait un super-bon, pour rechuter les jours suivants. L’Euro continue de dégringoler.

Ce fut le Lundi 10 Mai le plus coûteux de l’Histoire de l’Humanité.

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Commentaires33

  1. Septix

    L’Europe, ce pays qu’était la France, est un avion piloté à vue par un aveugle sourd et muet en pleine nuit, par temps de brouillard dans un ouragan déchaîné. Que dire de plus ? Le pire est que ces gens se croient importants et indispensables ! Nous devons supporter leur morale à deux balles, leurs élucubrations, leurs mentons levés vers un avenir plus qu’incertain. Le pire est que la masse les suit, chacun y va de son explication, de sa croyance, de sa conviction. Peut-être faut-il en rire, mais que cela est triste ! Bon ok, je dénote avec le caractère du billet, je sors….

        1. gnarf

          A propos des Polonais….3.1% de croissance au premier trimestre…collectivites locales enregistres 6 milliards de benef au lieu des 20 milliards de deficit budgetes.

          Sarko devrait venir aux cours de pilotage.

  2. Mr T

    J’ai juste commencé à lire l’article en diagonale mais votre résumé a l’air assez proche des faits 😀 c’est juste édifiant.

    1. Mr T

      Cela dit je pense que le projet de notre généralissime de donner à la CE le pouvoir de s’endetter au nom de tous les européens aurait mérité une mention plus explicite

  3. Flo

    Ca fait irrésistiblement penser à cette autre transcription lue il y a quelques jours chez Skyfall:

    http://www.skyfall.fr/?p=532

    Mêmes acteurs (hors tiers monde), même heure, mêmes magouilles, même panique, même gabegie, même fiasco!

    Toute ressemblance serait pure coincidence.

    Pour Copenhague les sceptiques peuvent au moins se consoler en se disant que la menace est plus qu’hypothétique, alors que pour la situation actuelle…

    1. Winston (l’autre)

      si ça tourne en Weimar ou en Zimbabwe il va y en avoir des sousous… 🙁

  4. Serge Cheminade

    C’est un accord pour faire patienter et qui ne règle rien. L’accord prévoit de mettre en place un mécanisme pour éviter l’inflation sans le décrire. Dans mon article http://www.orvinfait.fr/internet_gene_la_censure_francaise.html
    je pense montrer que la position de Sarkozy est à l’origine de la chute qui a suivi la hausse à l’annonce du plan. Si ma vision est exacte il va y avoir bataille entre deux visions de l’euro. Je pense qu’il peut y avoir une bataille médiatique sur Internet entre ces deux visions.

  5. Tremendo

    Certains blogs spécialisés en Espagne révèlent que le vendredi 7 mai l’Espagne fut techniquement en faillite car plus personne n’achetait de bons ni de dettes publiques ou privées (banques et caisses d’épargne). C’est ce qui explique que mystérieusement dans le weekend le plan de sauvetage de 750 millions est adopté et que Zapatero décide subitement de se contredire et de réduire certaines dépenses publiques le lundi 10 mai.

    Pour ceux qui parlent espagnol:
    http://www.libertaddigital.com/economia/espana-estaba-quebrada-el-pasado-7-de-mayo-1276393140/

  6. Leepose

    décidément, je continue de trouver ta vision des choses a coté de la plaque. Bien sur que les politiques se précipitent lorsque la maison brule. C’est ce qu’on leur demande, c’est ce qu’attendent les citoyens autant que les marchés. Heureusement qu’ils se bougent, heureusement qu’eux, la BCE et le FMI ont fait ce qu’ils ont fait.

    Heureusement que Merkel fait ce qu’elle fait… Elle régule… encore hier… Ca doit vous faire suer mais elle a raison.

    La réaction des marchés n’est pas significative. Ils font +3% un jour, et -3% le lendemain. Peu importe. Les dirigeants font leur taf, ils le font bien, et c’est manifestement les marchés qui petent un boulon.

    Une crise mondiale pour des risques de défaut sur la dette Greque, c’est complètement con. Les marchés sont des putains de névrosés.

    (après ce message fort sympathique, si tu veux bien faire le nécessaire pour que je sois de nouveau accepté sur Lib.org, je trouverai ca.. sympa 😉

    a+

    1. Leepose

      en plus, bon, j’ai encore un tas de trucs a dire sur la démocratie, sur les marchés, sur la liquidité, sur la régulation.

      C’est dommage de vous privés de mes lumières, et d’en priver les lecteurs et les participants a Libéraux.org.

      Et puis c’est dommage pour moi, aussi.

      Un gros gachis, quoi, ca ressemble a la façon dont les libéraux défendent leurs idées sur le terrain politique, presque.

        1. Leepose

          Le monde est vaste? C’est a dire?

          Si tu veux dire que je peux me trouver un autre forum, figures toi que j’ai cherché! J’ai rien trouvé. Le forum du Monde est payant, et j’aime pas le monde, de toute façon.

          Si t’as des idées, sans rires, je suis preneur. Meme un forum de gauche.

          Après tout, je peux aussi bien expliquer les limites de leurs raisonnements a des libéraux qu’a des alter-comprenants de goche.

        2. Leepose

          pour etre honnete j’ai trouvé quelques forum, mais d’un niveau absolument désolant. Du genre :

          Je ne comprends rien, l’Europe est endettée, les Etats Unis sont endettés… mais a qui emprunte t-on l’argent alors?

          Et la je renonce.

          Lib.org a un certain niveau, je le reconnais.

        3. Joe

          En lisant la charte d’utilisation de Liberaux.org, il est clairement spécifié que ce n’est pas un lieu de débat libéraux vs le monde, mais un lieu entre libéraux. Si tu viens pour casser du libéral ou pour essayer de trouver des limites au libéralisme (qui existent forcément), ce n’est simplement pas le lieu.

          Les lieux de débats sur le libéralisme sont plus un blog comme celui ci où H16 accepte la contradiction du moment qu’elle est argumentée.

        4. Leepose

          Joe,

          c’est plus subtil que ca. Je suis liberal moi aussi, j’ai vote Madelin avec enthousiasme… et a la limite je n’ai rien a prouver a mon sens.

          le fait est qu’il peut y avoir debat entre des liberaux plutot orthodoxes ou plutot ouverts a la social-democratie, entre ceux qui croient a la politique et ceux qui qui la ridiculise comme H16, entre ceux qui pensent que le systeme actuel a une issue et ceux qui pensent qu’on va dans le mur a long terme, entre ceux qui pensent que la responsabilite incombe aux francais (trop cons pour comprendre) et ceux qui disent comme moi que c’est aux liberaux de faire valoir leurs idees, DANS le debat politique, avec peut-etre plus de modestie et moi d’apriori.

          Apparemment ce debat n’est plus tolere sur Liberaux.org.
          J’ai peut-etre agace avec mon style un peu rendre-dedans mais je ne suis jamais venu casser du liberal.

          Merci quand meme

          1. Tu agaces parce qu’en plusieurs années, tu n’as rien compris. On retrouve dans tes posts actuels la même naïveté que celle qui prévalait à tes débuts. Et ton manque de culture générale qui te permet d’affirmer des bêtises énormes avec l’aplomb des ignorants finit par lasser.

        5. Leepose

          J’ai pas en mémoire qu’on démonte mes arguments si facilement. Quand on vous dis que les ventes a découvert permettent d’augmenter la liquidité, et que vous dites tous Amen. Permets moi d’etre un peu plus critique.
          Je m’y suis repris a 5 fois pour vous faie rentrer dans le crane qu’on nous bourre le mou avec cet argument nullissime, qui ne résiste pas une seconde a l’analyse.

          Toi-meme tu n’y a rien compris puisque tu soutiens que de vendre ses actions quelques centimes plus chers, grace a cette liquidité plus abondante, est un progrès décisif pour l’humanité.

    2. monoi

      Ce qu’on demande aux « dirigeants », c’est justement de faire en sorte que la maison ne brule pas. Si c’est pour rebondir de crises en problemes (tous d’ailleurs prevus depuis longtemps), en inventant des fausses solutions qui ne feront qu’aggraver les choses mais qui ont l’avantage de faire croire a des demeures que c’est la faute aux marches mangeurs d’enfants, je ne vois pas tres bien a quoi ils servent.

      Un conseil: si personne n’est interesse par vos elucubrations, c’est peut etre qu’elles n’ont aucun interet.

      1. Leepose

        Peut-etre pas.

        Il suffit d’avoir un peu d’intelligence, de connaissances economiques et financieres, et d’esprit de déductions pour voir que TOUS les marchés déconnent de plus en plus, jouent de plus en plus la stratégie du pire, le scénario catastrophe.

        Paul Jorion a consacré cette journée du 21/05 a parlé de l’importance des tentatives de régulations de Merkel, l’interdiction des ventes a découvert.

        On ne peut pas dire qu’il n’y a aucun argument. On peut dire, modestement, qu’on n’y comprend rien, c’est tout.

      2. Leepose

        C’est tout sauf sans intéret franchement. La finance de marché est partiellement utile, indispensable meme, et partiellement parasitaire.

        D’autre part une liquidité abondante n’est pas une fin en soit, c’est donc nul comme argument pour justifier les opérations les plus acrobatiques et spéculatives. D’autant que l aliquidité apportée par les spéculateurs et bouffée par d’autres en face.

        Un gros paquet de moutons…

        On a atteint un stade ou un krach mondial entièrement automatique est possible. Sans meme en connaitre la raison, sans meme qu’il y en ait une. Comme cette baisse de 9% du Dow-Jones.

      3. Leepose

        en fait je vous trouve tous desesperants. Comment ne voyez vous pas que ce sont les banques et les marchés qui merdent, et que ce sont les gens qui payent la facture?

        j’arrete de participer a ce blog.

        Pas la peine de me virer.

        😉

  7. adnstep

    « Ce fut le Lundi 10 Mai le plus coûteux de l’Histoire de l’Humanité. »

    En même temps, il fallait fêter dignement ce 29ème anniversaire.

    1. De la prise de pouvoir par Mitterrand ? Oh, non, n’oubliez pas que le 9 mai, c’était la St Schuman, voyons 🙂 C’était pour fêter l’Europe. Et paf, les traités !

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