Sarkozy, le bricoleur de Schengen

Les politiciens ne savent pas se tenir. On leur lâche la bride quelques jours pour profiter de chocolats traditionnels en cette période, et ping, le dos à peine tourné, les voilà en plein exercice de n’importe quoi bavou : se croyant super-malin, Sarkozy a décidé d’amoindrir les rumeurs courant sur sa femme enceinte en laissant entendre que la France pourrait sortir de Schengen.

Et effectivement, dit comme ça, cela choque et provoque naturellement pas mal de petits articles de presse dans un week-end qui aurait normalement été consacré aux déclarations papales ubi et orbi, ce qui a tendance à filer de l’urticaire à une partie des journalistes dont l’anticléricalisme primaire n’est pas une exagération.

Oubliées, donc, les célébrations pascales et rouvert, de facto, le débat pourtant complètement fermé depuis des années de la France dans l’espace Schengen.

Rappelons brièvement que cette zone existe depuis 1985 ; elle a été institutionnalisée dans le cadre européen en 1997 et permet aux ressortissants européens de s’y déplacer librement. En gros, les contrôles aux frontières internes de la zone se sont considérablement allégés, et ceux aux frontières extérieures se sont normalement accrus. D’autre part, un étranger bénéficiant d’un visa de l’un des pays signataire pourra, une fois entré dans l’espace Schengen, y circuler librement.

Cela fait donc maintenant une quinzaine d’années que le système fonctionne ainsi ; deux éléments vont pourtant s’ajouter à ce contexte et faire germer une idée diabolique dans le cerveau de Sarkozy et son gouvernement.

D’une part, la situation tunisienne et libyenne provoque un afflux d’immigrants qui tentent d’échapper à la misère pour les uns – qui bénéficient alors de la chute du régime dictatorial de Ben Ali – et aux combats pour les autres libyens. Cet afflux se traduit par des petites grappes de réfugiés bruyants s’agglutinant aux portes de l’Europe.

D’autre part, la France rentre dans cette période gluante où plus rien ne sera possible sans un grand raout médiatique systématique, avec des invectives, des idées idiotes propulsées au canon de 105, du slogan bidon et des petites phrases assassines lancées à la cantonade, période qui caractérise toute campagne électorale présidentielle moyenne notamment depuis que les candidats se recrutent parmi les vendeurs à gourmette de tapis républicain qu’ils foulent de leurs mocassins Berluti payés avec l’argent d’un contribuable taillé de plus en plus ras.

Ces deux facteurs, conjugués à l’atonie maladive de la diplomatie européenne incarnée par une Anglaise caricaturale et surpayée, ont quasiment poussé l’effervescent chef de l’Etat français dans ses retranchements : impossible pour lui de ne pas bondir, tel le singe sur la banane, sur une occasion d’agiter un peu plus le microcosme politique français puis européen.

La présidence a donc modestement déclaré :

«La gouvernance de Schengen est défaillante. Il faut réfléchir à un mécanisme qui permette, lorsqu’il y a une défaillance systémique à une frontière extérieure de l’Union européenne, d’intervenir, en prévoyant une suspension provisoire, le temps que la défaillance soit réglée»

Gouvernance, défaillance systémique, suspension provisoire, tous les mots essentiels sont là pour bien faire comprendre l’ampleur de la catastrophe : si l’on intervient pas, la République puis l’Union vont s’effondrer d’un coup, schplouich, comme une canette de Coke soumise à trop intense pression qui explose d’un coup, sans prévenir.

Le bricolage pour les gros nuls

Réactions immédiates de l’ensemble du petit monde politique, sur le mode attendu et réglé comme du papier à musique de « Rooh mais Sarkozy veut la mort de l’Union, c’est pas croyable non mais dites rooh là là ! » ou des variantes un peu plus amènes ; à noter dans le cœur des pleureuses, que ceux du fond à gauche ont globalement la même réaction que ceux du fond à l’extrême-droite, bien que pour des raisons diamétralement opposées.

En tout cas, tous s’ingénient à trouver une bonne raison de tripoter l’espace Schengen pour y aménager ci ou ça, alors qu’il y a encore une semaine, la question ne s’était même pas posée. De ce point de vue, on ne pourra pas ôter à Sarkozy la maîtrise de l’agenda politique puisqu’il a réussi, de façon assez régulière, à fixer le sujet des débats, avec assez de brio pour toujours éviter les questions de fond(s) et permettre ainsi à toute la clique des politiciens (de son camp et des autres) de continuer à se foutre ouvertement de la tête des Français avec la complicité inconsciente de journalistes toujours en retard d’une paire de trains.

Pour le politique moyen, c’est-à-dire social-démocrate en diable, l’immigration est un grave problème qui ne peut être abordé qu’à l’instar d’une programmation minutieuse d’un tableau de bord de Boeing 747 : chaque petit paramètre doit être minutieusement préparé et réfléchi, chaque petit levier doit être micro-ajusté avant de passer au suivant.

La question de l’immigration est l’épieu dans l’arrière-train de tous les bien-pensants ; la solution est connue mais extrêmement douloureuse pour l’état-nounou et tous les politiciens dont l’intégralité de la carrière et du discours s’est bâti sur la nécessaire intervention de la sphère publique dans la question. Elle consiste essentiellement à laisser les gens entrer et sortir à leur gré, mais à ne leur donner aucune facilité spéciale une fois sur place, aucun passe-droit, aucune subvention ; s’ils viennent, qu’ils ne dépendent que de leur propre travail pour rester. Et s’ils enfreignent la loi, qu’ils en subissent toutes les conséquences.

Comme on le comprend rapidement, on est loin d’une telle liberté et d’une telle responsabilisation. On bricole des aides d’un côté et des tuyauteries étatiques complexes pour prétendument filtrer l’accès de l’autre, on sous-administre la question par le truchement d’associations grassement subventionnées pour faire étalage de leur existence lucrative sans but, on déresponsabilise le nouvel arrivant tant il peut facilement devenir un enjeu électoral juteux, on victimise ou on instrumentalise, mais on ne veut surtout pas, simplement, retirer les sales pattes de l’Etat et de ses affidés et se priver du pouvoir qu’il offre ainsi. La soupe est trop bonne.

Entre les sordides arrangements de maternité pour coïncider confortablement avec les élections et le surf constant sur des micro-sujets très périphériques à tout ce qui pourrait vaguement sortir la France du gouffre dans lequel elle est tombée depuis vingt ans, le président et, plus largement, toute la classe politique française continue d’illustrer sa médiocrité historique en pinaillant sur la couleur et l’épaisseur de l’écume des jours.

Ce pays est foutu.

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Commentaires19

  1. Calvin

    Aaaaah, le retour d’H16 ! Ouf, j’étais à deux doigts d’aller me faire interner…
    « les candidats se recrutent parmi les vendeurs à gourmette de tapis républicain qu’ils foulent de leurs mocassins Berluti payés avec l’argent d’un contribuable taillé de plus en plus ras » Sublime !
    Enfin, si on accepte d’être taillé de plus en plus ras.
    Mais en ai-je le choix ???
    Une chose est certaine, la force de cet article est d’avoir mis en lumière qu’une solution est toujours possible, et c’est (comme souvent) la plus simple et la plus raisonnable :
    « …laisser les gens entrer et sortir à leur gré, … aucun passe-droit, aucune subvention ; … ils ne dépendent que de leur propre travail pour rester. Et s’ils enfreignent la loi, qu’ils en subissent toutes les conséquences. »
    Ca tient en 3 lignes, et remplace avantageusement des kilos de papiers de lois, de décrets, de farces, qui se complètent, s’annulent, se contredisent et de toute façon exacerbent les passions sans résoudre quoi que ce soit.

  2. estienne

    Après lecture des 3 derniers paragraphes – qui sont inattaquables – j’ai pensé qu’après la présidentielle de 2012, lorsque H16 entamera la grande révolution libérale, l’on installera des panneaux aux frontières:
    « Ami étranger, vous entrez ici dans un pays d’hommes aujourd’hui libres et responsables. On ne peut plus espérer y prospérer sur le dos de ses semblables, comme sous les ex-régimes socialistes. Soyez le bienvenu, mais comptez sur vos propres forces pour atteindre vos objectifs et respectez les 10 (ou 12 ?) articles de notre loi fondamentale, sinon il vous en coûtera ».
    On peut bien rêver qu’une fois les libéraux de France s’organisent et passent de la pensée aux actes.

  3. Winston (l’autre)

    « On bricole des aides d’un côté et des tuyauteries étatiques complexes pour prétendument filtrer l’accès de l’autre, on sous-administre la question par le truchement d’associations grassement subventionnées pour faire étalage de leur existence lucrative sans but, on déresponsabilise le nouvel arrivant tant il peut facilement devenir un enjeu électoral juteux, on victimise ou on instrumentalise, mais on ne veut surtout pas, simplement, retirer les sales pattes de l’Etat et de ses affidés et se priver du pouvoir qu’il offre ainsi. »

    Voilà, je pense que tout est dit sur la question de l’immigration, les problèmes qu’elle pose et les solutions à y apporter. C’est remarquablement résumé. Je me permets juste de rajouter que les politiques de ce pays n’auraient pas la vie aussi douce si les médias faisaient leur travail.

  4. Stéphane

    « les sordides arrangements de maternité pour coïncider confortablement avec les élections »

    Alors là pour une fois je regrette le coup bas. Je ne suis pas dans les petits papiers du couple Bruni-machin-chose, mais niveau timing une maternité ne se programme pas comme un rendez-vous chez la coiffeuse – surtout quand on a l’âge de Carla.

    Pour le reste, c’est du tout bon.

      1. Url

        Nan nan, je confirme, même avec les technologies modernes, même à l’hôpital américain.

        Autrement ce billet me fait penser à une forme d’ouvrage possible : relever les x évènements choisis posés comme un cheveu sur la soupe l’agenda médiatique de la présidence Sarkozy, et leurs résolutions limpides en moins de 10 lignes par H16 (et ses nègres).

        Modèle facilement déclinable au fil des présidentielles. 😉

  5. kelevra

    ca n’aura pas durer tres longtemps ce week end pascal. je mettais deja fait une raison en me disant qu il faudrait vous attendre que mardi, mais non, le demon en vous a ressurgi pour notre plus grand plaisir. en fait, plutot mon plaisir, celui des autres, comme tout bon ultraliberal, je m en fout.
    quant a sarko, il tire toujours les memes ficelles et les cretins suivent comme un seul homme.
    comme une mouche, il vole dans tous les sens, et de temps en temps, se pose sur une bouse, juste assez de temps pour que toutes les autres mouches s y posent. et le cirque recommence a l infini.
    pour carla, ca m etonnerait beaucoup que la donzelle soit en cloque du nain, elle est pas du genre a rester apres 2012 quand son darling se sera fait ejecter a coup de pompes dans le derriere de son palais. elle est plus surement deja en chasse du suivant.

  6. JB7756

    Je suis surpris chaque jour par la débilité de ce gouvernement. C’est vraiment la présidence la plus nulle de toutes !

    Les idées les plus idiotes se succèdent les unes aux autres pour essayer de remonter la cote de popularité minable et méritée du plus idiot de nos présidents.
    Il faut voir après chaque idiotie, les ministres se corriger les uns les autres suivant leur point de vue. L’histoire de la prime de 1000 Euros étant la plus navrante… pour l’instant.

    Un coup vers les écolos avec la taxe carbone, un coup vers les fachos avec les roms, un coup vers les prolos avec la prime… Autant de gesticulation qui n’aboutissent à rien. Et à force de vouloir contenter tout le monde, on se discrédite avec tout le monde. C’est bien connu. Mais Sarkozy est simplement totalement con ! Voilà la réalité !

    Quelle délectation mêlée de consternation doit avoir Juppé en le voyant se débattre en vain dans les sables mouvants de l’impopularité.

  7. Seb

    Oui, on voit bien comme la campagne électorale est lancée… Sarkozy va proposer le programme du Front National, mais en plus compliqué pour noyer le poisson.

  8. Culpabilisator – le vrai

    Bien vu votre remarque sur la période gluante. C’est vrai que la merde vole bas en ce moment.
    La rumeur selon laquelle Sarkozy avait largué Carla pour une japonaise est donc bidon ? Radio Moquette Pas Propre m’a encore menti.

    1. Théo31

      Vu l’état des centrales au japon, sa nouvelle copine ne pourra malheureusement pas lui apporter ses lumières, notamment en économie. 😀

  9. Tremendo

    La France est-elle capable d’absorber d’un coup d’un seul autant de réfugiés? sachant qu’ils n’ont pas un rond, que le logement est rare et cher en France à cause des politiques du logement et de l’urbanisme, et vue la situation de l’emploi, on les retrouvera soit dans la rue soit dans des squats soit en train de voler. Beaucoup d’entre eux arriveront en mauvaise santé, ce sera encore à l’Etat de les soigner. Est-ce bien raisonnable de faire peser tous ces problèmes d’un coup d’un seul sur les contribuables?
    La réponse de Sarko est mauvaise, ceci dit il est bien de se poser toutes ces questions.

  10. Joe

    A mon sens, il faut rapprocher cette sortie sur Schengen d’une autre des « bonnes  » idées de notre président, à savoir l’exit tax. Sortir de Schengen permettrait de la mettre en place sans se faire retoquer par la cour européenne de justice.

  11. Nicolas

    Certes, pour résumer, s’il n’y avait pas la France et les français, alors oui, on pourrait laisser entrer tout le monde en France..

    En attendant, on vie tout de même dans un système que le monde entier il nous envie.. (sauf les étrangers, mais c’est pas leur faute : ils sont étrangers)

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