Iranian deadlock

En algorithmique, le deadlock, ou plus poétiquement étreinte mortelle, s’obtient lorsqu’un processus P1 prend l’exclusivité d’une ressource R2, qu’un processus P2 prend l’exclusivité d’une ressource R1, puis que les deux processus tentent alors d’obtenir l’exclusivité sur la ressource détenue par l’autre. Chacun se retrouve alors bloqué, verrouillé, dans une position de « Je te tiens par la barbichette », qu’aucun ne peut réellement résoudre sans lâcher quelque part. La crise qui se noue actuellement autour de l’Iran ressemble fort à l’application de ce problème informatique dans la vie réelle.

Dans cette vie réelle, partie processus, nous avons plusieurs groupes.

Tout d’abord, un ensemble assez large, qu’on pourra nommer Pays Occidentaux. Cet ensemble à la cohérence discutable est composé de la France, de la Grande Bretagne, de l’Allemagne, des Etats-Unis, et d’Israël. Un autre ensemble pourrait être constitué des pays comme la Russie et la Chine. Leurs intérêts et profils ne sont pas exactement les mêmes que les nations du premier groupe. Enfin, un troisième ensemble pourrait être les pays arabes, comme l’Arabie Saoudite, la Syrie, l’Irak, les Emirats, et bien sûr, l’Iran.

Pour la partie ressources, nous avons d’un côté, l’atome, ou, disons, la maîtrise de l’atome : elle est entièrement possédée et filtrée par un petit groupe de nations (des deux premiers groupes). Comme cette ressource est potentiellement très destructrice sur le plan militaire, les nations qui la possédent trouvent là une justification à la rétention d’information, le verrou sur le savoir lié à la maîtrise de l’atome militaire.

De l’autre côté, le pétrole, dont l’importance n’est plus à démontrer. Le verrou, dans ce cas, est posé sur la localisation de cette ressource : elle n’est pas disponible partout, et pas pour tout le monde, mais essentiellement pour le dernier groupe de nations.

L’étreinte mortelle prend place : une nation veut l’atome, et peut utiliser son pétrole comme verrou. Les nations qui ont l’atome veulent le pétrole, et peuvent utiliser leur nucléaire comme verrou.

Bilan : crispation générale.

Il est en effet difficile de voler dans les plumes du dirigeant iranien, sans immédiatement risquer une rétorsion pétrolière au travers des autres pays du Golfe, plus ou moins amis de l’Iran. Et le pétrole cher, on sait ce que ça coûte : certains gouvernements ont sauté pour moins que ça.

D’un autre côté, il est aussi difficile pour les dirigeants actuels de laisser passer les bravades du dirigeant iranien sans passer pour des dégonflés, et surtout, sans immédiatement laisser les coudées franches tant à Ahmadinejad qu’aux autres comiques planétaires en mal d’arsenal nucléaire. Si l’on ajoute la destination officiellement déclarée de ces développement (la vitrification d’Israël), on comprend que les mains des politiques en charge de gérer la situation deviennent légèrement moites.

D’autre part, chaque dirigeant à un intérêt personnel à trouver une solution à cette crise : il en sortirait grandit, et mettrait son pays dans une meilleure position tant pour le pétrole que pour le nucléaire. Au final, le verrou mortel est complet : chaque politicien tente de tirer la couverture vers lui, en lâchant le moins possible, tout en réclamant une ressource dont seul l’autre dispose.

En algorithmique, pour résoudre un deadlock une fois celui-ci en place, il n’existe qu’un nombre réduit de solutions : une (au moins) des ressources vient à disparaître, ou un (au moins) des processus qui verrouillait une ressource vient à disparaître, ou au moins l’un des processus lâche sa ressource ou sa demande sur la ressource de l’autre processus. Un panachage de ces solutions est possible.

Dans la réalité, la disparition rapide des ressources incriminées semble peu probable… Tout comme l’évaporation des acteurs de la crise. Ce qui nous laisse avec l’improbable revirement de position du leader iranien, ou un aussi improbable consensus mou des pays occidentaux pour laisser le pays disposer de l’arme.

En pratique, d’un point de vue libéral, cette crise est l’occasion d’observer la faillite de plusieurs systèmes de pensée :

  • la première faillite, c’est bien celle d’une régulation d’ordre mondial pour le nucléaire. La non prolifération est virtuellement impossible, et les paperasses juridiques bricolées par les états les plus puissants du moment n’ont, en définitive, aucune valeur. Ceci tend à donner une valeur assez fidèle aux instances méta-étatiques : l’ONU, encore une fois, montre sa totale inutilité. Quant à l’Europe, elle est inexistante. En outre, un pays qui veut absolument se munir de l’arme atomique finira bien par l’avoir, surtout quand ses dirigeants semblent parfaitement déterminés et que ses voisins l’ont déjà. Devant cette conclusion, on peut se demander comment comptent s’y prendre les différents dirigeants des puissances nucléaires actuelles pour empêcher maintenant l’Iran de disposer de l’arme, et bientôt tous les autres pays dont les moyens financiers et les ressources offrent un levier important pour leurs exigences nucléaires… A moins de continuer la longue série d’interventions étatiques, paraétatiques, métaétatiques et internationales, officielles ou secrètes, pour décaniller discrêtement les fous furieux, la communauté internationale va devoir s’habituer à ce genre de crises sur fond de pétrole et de nucléaire.
  • la seconde faillite, c’est celle du système de dissuasion nucléaire « à la française » qui semblerait bien marcher pour la France, mais ne pourrait en rien être appliquée à un autre pays, l’Iran par exemple. Rappelons que l’Iran est entouré de puissances nucléaires ou de pays envahis par des puissances nucléaires. Par nature même, la dissuasion, c’est le droit du port d’arme du citoyen au niveau des états. Il est particulièrement savoureux de constater que le citoyen n’a pas le droit de porter des armes (pour dissuader tout voyou d’attaquer), mais que les états peuvent, eux, disposer de l’atome militaire, pour dissuader tout état-voyou d’attaquer. On remarquera l’ambivalence commode du raisonnement des gens de l’appareil. C’est cette même ambivalence qui tend à rendre leurs saillies anti-nucléaire particulièrement croustillantes…
  • la troisième faillite, enfin et surtout, c’est celle qui prétend que les états veulent, finalement, notre bien. Sur le strict plan du nucléaire, on peut remarquer que sa maîtrise militaire n’est dûe qu’à l’existence de l’état. Son utilisation effective contre des centaines de milliers de civils aussi. Sa prolifération totalement incontrôlée, à cause de buts politico-financiers scabreux, encore et toujours.

On peut sincèrement se demander ce qui pousse encore les citoyens à accorder du crédit aux états devant des faits d’armes aussi formidables. En dehors de ces constatations sur le nucléaire, les manoeuvres géopolitiques des pays occidentaux avaient, en leur temps, amené à des postes clefs, en Afghanistan par exemple, des fanatiques religieux avec le résultat qu’on connaît. On ne peut que se demander exactement ce qui a poussé ces mêmes pays à laisser un Ahmadinejad au passé franchement trouble accéder à ce rang de responsabilité dans un pays pétrolier… A moins bien sûr qu’il s’agisse d’un calcul cynique visant à justifier un jour, une intervention préventive.

« Nous savons ce qui est bon pour vous », n’est-ce pas…

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Commentaires2

  1. chris

    Votre approche logarithmique est intéressante.

    Toutefois, et c’est là ou je diverge un peu si j’ose dire : votre équation ne laisse pas apparaître les poids relatifs des processus et ressources 1 et 2.
    Et n’ancre pas les conséquences redoutables dans le réel.

    Car l’équation de mon point de vue n’est pas balancée, et à ce titre ne constitue pas vraiment un pur deadlock.

    Ainsi, la ressource pétrole a un poids plus important.
    En outre, il y a beaucoup (d’autres) inconnues dans l’équation.

    Solution 1 : Si l’occident n’agit pas :
    -alors l’Iran fabrique la bombe, et se sanctuarise. Dès lors son pétrole ne pourra plus être "acquis" avec la méthode US en Irak.

    –> le pétrole iranien devient dès lors une arme économique encore plus redoutable, dans un contexte ou l’offre va se réduire, face à une demande toujours croissante
    Les iraniens nous le feront payer très cher leur or noir.

    Si l’occident agit (destruction ou intervention, du moins tentative)
    -alors, cascades de risques majeurs : conflit généralisé dans le moyen orient (et que l’on se souvienne du conflit iran/irak, c’était 14/18 revisité)
    -embrasement de toutes les communautés chiites (dont la majoritaire en irak), donc perte du pétrole irakien, terrorisme etc.
    -déstabilisation absolue du marché pétrolier – > explosion du prix du baril -> crise économique aiguë à l’échelle planétaire (les bulles n’attendent qu’une pichenette pour nous exploser à la figure)

    Alors solution 1 ou solution 2, il n’est pas exagéré de paraphraser le bon sergent US : "we’re fucked".

    Avec toutefois, un coefficient "apocalypse" bien supérieur dans la solution 2, du moins à court terme.

    Et voilà pourquoi je pense que l’Occident va se coucher. Face à deux maux, nos politiciens choisiront toujours celui qui est le moins douleureux à court terme…

    Mais les choses sont encore plus complexes : car dans ce jeu d’échecs, il y a toujours le Cavalier israélien. Se sentant menacé, Israël pourrait fort bien décidé d’intervenir. Seul.

    Enfin, on voit circuler certaines thèses au sujet de la défense du dollar, les iraniens s’apprêtant à commettre le crime suprême : autoriser l’achat de leur pétrole en euros… Mettant ainsi en péril la domination impériale du dollar.

    D’autres font le parallèle avec la Corée du nord (les iraniens par exemple) : "voyez, les USA sont tenus en respect, la Corée du nord possédant la bombe a été sanctuarisée".
    Certes… mais c’est peut-être une grossière erreur : la Corée du nord n’a aucun poid, pas de pétrole. C’est juste une salissure stalinienne sur la mappemonde, sans intérêt sur un plan real politik.

    Bref, il y a de grandes chances pour que nous soyons "fucked". La seule question qui demeure est : à quel terme ?
    Et dans quelles proportions.

  2. Théories intéressantes. Mon point était surtout de montrer l’échec des états dans la gestion de ces crises, d’autant plus qu’ils en sont directement les instigateurs.

    Au delà de cet aspect, toute théorie prospective est bien difficile dans ce contexte, précisemment parce que les ressources sont extrêmement stratégiques, et c’est en cela que nous avons ce que je pense être un verrou. Le nucléaire ne peut être employé à la légère sans directement nous placer dans une perspective de dégâts très importants. Il est très peu probable qu’il en soit fait usage de la part des occidentaux. Le pétrole est un levier puissant qui ne peut lui aussi être employé sans avoir des effets adverses importants sur celui qui l’emploie. Si le dirigeant iranien semble fanatique, il n’est pas totalement stupide. Ses petites poussées d’hormones, aggravées par son égo d’un joli gabarit, ne changeront pas au fait que si jamais l’Iran devait utiliser la bombe sur Israël, ce dernier répliquerait immédiatement, et qu’ils le savent. Les israëliens ont les moyens de riposter, le monde arabe en a fait l’amère expérience par le passé.

    En tout état de cause, je ne crois pas à l’intervention unilatérale d’Israël. Ni à l’utilisation de la bombe par l’Iran. Précisemment parce que les iraniens, pour disposer d’un levier, ont absolument besoin de vendre leur pétrole. Et que les occidentaux ont absolument besoin de leur acheter.

    Je souhaite ne pas me tromper.

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