Le grand trou que personne ne voit

Depuis le 30 mai, une véritable course à l’échalotte se déroule sous nos yeux. La ligne d’arrivée se situe au cours du mois de mai 2007. Les coureurs de ce marathon de vingt mois sont les hommes politiques français les plus en vue. Et les règles de la course sont simples : tous les coups sont permis, le dopage est autorisé, et le fair-play définitivement oublié. Les coureurs se sont élancés, à fond de train. Et pourtant, il semble qu’aucun ne voie le trou.

Le trou est pourtant large et profond.

Profond, car le constat d’échec des politiciens devant la fessée du référendum n’a pas été suivi, d’aucune façon, d’une prise de conscience de leur indigence. Certains pourraient arguer du changement de guignols (passant d’un immobilisme médiatiquement fleuri à un attentisme poétiquement enrobé) pour prétendre que si, des mesures furent prises à droite. D’autres pointeront les efforts de rassemblement de la gauche, avec les extraordinaires unités de ton, de mesure et de sagacité intellectuelle servies par les joyeux représentants dans un ensemble parfaitement orchestré. On sent là la machine de guerre électorale finement affûtée. Enfin, on pourrait aussi prétendre que les gesticulations des extrêmistes terroristo-syndico-nationalistes constituaient une forme de prise de parole de la rue (qui a d’ailleurs bouillonné avec plus ou moins de bonheur du cri répétitif des mêmes castes sociales depuis plusieurs décennies – Des moyens, des moyens, encore des moyens !).

Mais en pratique, force est de constater que les habitudes politiques n’ont pas changé d’un cachou, que nos impôts n’ont pas baissé d’un iota, que les remboursements de notre sécu-que-le-reste-du-monde-regarde-d’un-oeil-indifférent se font de moins en moins bien pour de moins en moins de produits, que les réponses du gouvernement aux événements locaux, régionaux, nationaux ou mondiaux continuent à fort bien se résumer dans la maxime « Plus de moyens, plus d’état », que … bref, la situation ne change pas tant que ça, ou si elle change, ce n’est pas en bien. Ah si, le chômage « diminue »… d’autant d’ailleurs que les méthodes statistiques changent, les périmètres évoluent et les définitions s’éloignent de celles, officielles et mondiales, du BIT …

Large, car entre juin 2005 et mai 2007, il se sera écoulé 24 mois pendant lesquels toutes les gesticulations des politiques se seront axées sur un seul objectif, l’arrivée, sans tenir compte du voyage jusque là. En clair, nous allons assister à toute une parade grotesque pour savoir de quelle façon nous désirerons être gobés à partir de juin 2007, alors que tous les jours se présenteront des façons extrêmement concrètes d’actions sans qu’elles ne soient jamais saisies par les politiques, trop heureux de pouvoir jouer entre eux au jeu pathétique de la patate chaude.

Ainsi, un politicien de droite se gargarisera du succès d’un contrat de travail bricolé pour offrir une plus grande souplesse d’embauche et de débauche, tout en construisant soigneusement un édifice légal inextricable pour que son utilisation soit la plus bordée possible et vienne se rajouter aux tuyauteries juridiques monstrueuses déjà en place pour les formes de contrat précédentes. Brazil, en français dans le texte.

Quant au politicien de gauche, il se tortillera de plaisir à dénoncer les abus auxquels ces mêmes contrats sont censés amener, proposant dans la foulée l’augmentation des minima sociaux, le support de la veuve et du pain pour les orphelins, et oubliant dans la foulée que ces abus existent déjà et qu’ils furent causés par les mesures votées par lui ou ses confrères dans le plus parfait cynisme.

Le plus incroyable, finalement, n’est même pas la profondeur et la largeur de ce trou. Non.

Le plus incroyable, c’est qu’ aucun média, et aucun politique bien évidemment, ne semble le voir. Pas un mot sur l’importance de gérer les crises courantes en faisant de l’ordre maintenant. Le trou (un autre) de la sécu ? On verra bien. Le trou des retraites ? On verra bien. Le trou de l’assurance chômage ? On verra bien. Le trou budgétaire ? On verra bien. La dette française ? On verra bien.

Des solutions existent, par paquets, même. Elles ont été appliqués avec succès par des pays aussi variés que l’Angletterre, la Suède, la Roumanie, la Pologne, … Et elles peuvent se mettre en place rapidement. En quelques mois, tout au plus. Leurs effets, pour les solutions les plus radicales, pourraient être immédiats et relancer durablement l’économie.

Mais, mon bon monsieur, si jamais on bouge maintenant, si jamais on fait quelque chose, la rue, celle-là même qui bouillonne pour un oui pour un non et fait des claquettes sur la voie démocratique normale, cette rue va se lâcher et partir en sucette ! C’est sûr !

Alors, surtout, ne pas bouger ! Tenir bon jusqu’en mai 2007. Tenir bon.

Ne pas bouger. Ne pas respirer.

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