Le journaliste est un petit animal craintif, et dont l’absence d’ossature lui permet de s’insérer dans n’importe quel environnement sans rien déplacer… On pourrait croire que le trait est ici forcé. Certes, ce blog se prête assez aisément à la caricature. Mais non, quand on est en France, et qu’on est journaliste, pas de doute, il faut être le plus discret possible pour durer dans la carrière, et conserver clairement à l’esprit l’image de l’Huître comme Totem : mou et solidement accroché à ses petits privilèges.
Pourquoi diable une telle constatation ?
Après tout, je suis sûr qu’il existe de vaillant pisse-copies journalistes qui sont réellement prêts à mener des enquêtes, à fouiller les bas-fonds, à retrousser leurs manches de chemises en coton d’importation chinoise et ramener de l’information, du solide, du concret, du Qui Fait Trembler La République. Oui, probablement, l’esprit d’Albert Londres souffle probablement encore dans quelques bronches de certains de ces multiples pigistes, journalistes et autres rédac’chefs qui hantent, hagards et désoeuvrés, les feuilles de choux que notre hexagone produit par milliers chaque jour.
Seulement, force est de constater que sur les sujets qui mériteraient des enquêtes approfondies, il n’y a pas grand’monde.
Evidemment, ici, par « sujets méritant des enquêtes pointues », je ne parle pas des recettes culinaires confidentielles de Ségo, des secrets de coiffure de Sarko ou les petits trucs de maquillage de Fafa pour paraître rouge, jeune et dynamique sur un plateau télé. Et je ne pense même pas aux enquêtes palpitantes dont on nous aura abreuvés ces derniers mois sur les Flots Clairs et autres torpilles inter-ministérielles que la France est maintenant totalement habituée à subir avec une régularité d’horloge suisse.
Non. Le vrai fond des choses, les vrais sujets ne se situent pas là où on les attends. Par définition, une enquête est vraiment valable, un sujet est franchement intéressant si, de façon manifeste, on a tout fait pour qu’il soit oublié, laissé pour compte. Et c’est assez facile de se rendre compte qu’un sujet a été abandonné.
Dans le cas des Flots Clairs, le sujet a, par exemple, continuellement été remué comme une limande du fond des eaux pour qu’il soulève le plus de vase possible : pas de doute, une enquête menée ne revèlera que les éternelles gabegies, coups tordus, magouilles et trafics d’influence qui sont aux hommes politiques ce que les mocassins à glands sont au libéral arriviste. Rien de neuf sous le soleil, donc.
Non, la vraie enquête qui tache devra porter sur un sujet qu’un article ou deux de la presse traditionnelle aura relaté, et qui, bizarrement, n’aura provoqué aucun bruit, aucune panique, aucun mouvement de foule. Mieux, si le sujet est d’ampleur nationale ou internationale et qu’il implique pas mal de politiques, l’absence complète de passage dans un journal télévisé vous garantira la fraîcheur et la pertinence de l’enquête. Si le sujet est trop ardu pour être résumé en un petit reportage de 3″30 avec un micro-trottoir, vous tenez le bon bout. Si l’homme-tronc du 20H n’y consacre qu’une ou deux phrases rapides et confuses illustrées d’une petite diapo bavouse et floue, en incrustation vidéo en haut à droite, vous avez une piste sérieuse. Si aucune mention de l’affaire n’est même sous-entendue dans son discours, bingo ! vous avez votre affaire.
Par exemple, on peut prendre l’affaire du Compte Bancaire Secret du Chi. D’après certaines sources, de la DGSE s’il vous plaît, le Président de la République aurait donc stocké, discrêtement, un petit monceau de billets dans un coffre au Japon. Un président en exercice, des sommes importantes, un compte bancaire secret, des rumeurs de fils naturel caché dans un pays lointain : tous les ingrédients d’un bon petit polar bien crapuleux, plein de rebondissements et de mises en examens retentissantes ; mais là, personne ou presque pour en parler.
De même, on pourrait évoquer l’extraordinaire mutisme compact, scellé à l’époxy, de la presse mainstream concernant les petits tours de passe-passe de Bercy. Qui, en effet, au delà d’une lecture attentive et pointilleuse d’internet, des forums et des blogs bien rares, aura noté que l’arrivée de la norme IFRS allait probablement provoquer des sueurs acides chez nos énarques de service et la faillite complète de notre système de retraite ?
Et même sans évoquer ces sauts périlleux qui classent notre administration fiscale dans la catégorie olympique pour sa souplesse et son inventivité, on pourra se pencher sur le cas ahurissant des avances sur impôts que les entreprises les plus performantes devront consentir, pour aider le « collectif budgétaire » à rentrer dans les normes d’un déficit « acceptable ».
Comme on pourra le vérifier dans ces articles ici et là, la situation tient quasiment du rocambolesque et du hold-up fiscal rendu légal. Jugez plutôt : l’Etat, prime de décembre, petits cadeaux et Papa Noël sous le sapin pour les enfants de fonctionnaires aidant, a besoin de sous pour boucler sa fin d’année et distribuer les oranges à ceux qui en ont le plus besoin, comme il se doit. Par l’entremise de son Ministère du Racket, il va donc obliger les entreprises qui ont plus de 500 millions d’euros de CA à payer en avance l’impôt sur les sociétés qu’elles se devaient de payer normalement en … 2007. A la limite, on se demande pourquoi les brigands du ministère n’en ont pas profité pour demander aussi une avance sur les impôts 2008, pour faire bonne mesure.
Pendant ce temps, France 2 jettera les sujets suivants en pâture à ses veaux téléspectateurs dans son journal (mercredi 15/11, 20H) :
Chiens écrasés:
– La mort d’une mannequin anorexique et une polémique sur les mannequins maigres
– Alpinistes français disparus dans l’Himalaya
– Bagagistes de Roissy: 2 badges restitués
Propagande d’état:
– Les médicaments génériques
– Le plan de lutte contre les addictions, celle dûe au tabac
– Soirée de soutien à Robert Redeker, prof menacé
– La conférence sur le climat à Nairobi touche à sa fin
Borborygmes politiques:
– les adhérents PS choisissent demain leur candidat
– Nicolas Sarkozy attaqué par le camp chiraquien
International sans danger de choquer:
– Irak: un kamikaze arrêté avant de passer à l’acte
– Tchétchénie: portrait du jeune gouverneur Ramzan Kadyrov
– La chaîne Al-Jazeera lance une version anglaise
Il ne manque plus que les conseils de lecture de la semaine, la fiche cuisine et les trucs & astuces de jardinage et nous aurons ici un monument à la gloire des Petits Riens de la Vie de Tous les Jours et du Dormez Tranquilles, Bonnes Gens.
En fait, il n’y a plus guère d’illusion à se faire. Les média traditionnels sont complètement dépassés, engoncés dans leur gangue antichoc et dans la collusion gluante avec tous les pouvoirs. Les rares soubresauts de vérité, rarement diffusés sur les ondes ou dans les journaux, ne sont plus, finalement, qu’une vague excuse, un cache-misère, pour toutes les niaiseries qu’on nous enfile à longueur de journées. Synchronisant les abrutissantes platitudes du 20H avec les séries nultes comme Plus Connne Belle La Vie, hymne triomphal à la solidarité citoyenne, festive et écoresponsable, le journalisme qui réussit, en France, est celui qui, finalement, dégorge du poncif par brouettes.
Reste Internet… dont la puissance est encore naissante et fortement putative. A ce titre, je vais sauvagement trackbacker (ou rétrolier ?) ce site, histoire d’ajouter un peu d’entropie à ces mornes constatations. Peut-être, finalement, arriverons-nous, via ce canal, à faire sauter le masque figé de Poujadas dont la coiffure en béton donne une bonne mesure de la fossilisation du service public. En tout cas, cela vaut le coup d’essayer.
Et je m’en vais reprendre une crêpe au sucre !
Entre deux crepes et avec un verre de cidre…
En voici un qui dit assez bien ce qui est:
http://www.washingtonpost.com/wp...
Enfin quelq’un qui a compris les médias français d’aujourd’hui.
Il ne manque qu’une chose que je me permettrais d’ajouter: tous les médias publics ET privés sont dirigés par les gouvernants successifs qu’ils soient de gauche ou de droite (ce sont les mêmes ânes enarchisés à la puissance 100).
Bravo pour tes articles: chaque jour je scrute ton blog qui est dans mes marques pages préférés.
Et comme tu l’as bien sousligné: il ne rest qu’internet sur lequel ils auront du mal à prendre le contrôle car on peut s’expatrier et polémiquer toujours en français sans être dépendant du pouvoir de l’assocratie (trop d’associations) ambiante en France.
🙂
Repensant à ton dernier paragraphe, au sujet des trackbacks, je me suis dit qu’il y a un truc rigolo à faire : déposer des bonnes grosses phrases bienpensantes dans les commentaires des sites des journaleux bienpensants. Au passage, on donne son pseudo et l’adresse d’un blog, bien entendu. Les gens intéressés par les propos creux seront tentés de visiter ledit blog. Un p’tit piège à bobos, en somme…
On peut même envisager de monter un site "la liberté pour les nuls" ou un truc du genre, histoire d’y aller en douceur ^_^
Gaël
Gaël:
J’en suis! La liberté pour les nuls, comme si on l’enseignant à des maternelles. Avec le ton, la pédagogie et les punitions pour les cancres et/ou chenapans.