Cela faisait longtemps que nous n’avions pas fait un petit point rapide sur l’immobilier. Après tout, c’est un gros marché bien joufflu, qui a beaucoup pris d’embonpoint et qui est tout de même à l’origine d’une bulle et d’une crise d’un fort beau gabarit : nous aurions tort de le négliger plus longtemps. Et ça tombe bien, des nouvelles fraîches sont arrivées.
En effet, le premier semestre est passé et les différents réseaux d’agences et les notaires ont donc fiévreusement consolidé leurs calculs, mis bout à bout leurs petits chiffres, sucé une nouvelle fois leur petit crayon H2B pour le poser, consciencieusement sur leur feuille A4 petit carreaux margée de rouge, et aboutir à l’évidente conclusion que les prix de l’immobilier montent, dixit Century 21.
Mais non, enfin. Qu’ils descendent, dixit la FNAIM.
Hmmh. Disons que tout ça stagne.
Hem oui, on peut le dire, vu avec un peu de recul : tout ceci sent bon l’enfumage et le vœu pieux, du « Je Sais Pas Mais Je Vais Vous Le Dire Quand Même » bien opaque. De la part des réseaux d’agence, on était habitué : jusqu’en 2009, l’immobilier montait et, comme le proverbial dindon ayant vécu du 1er janvier au 24 décembre et se disant naïvement que le 25 décembre apporterait son lot de graines, la sagacité des agents immobiliers fut légèrement mise à mal alors que la crise envoyait une bonne volée aux prix constatés et que le nombre de transactions s’effondraient.
Pourtant, la courbe de Friggit montrait clairement le chemin.
Mais baste, passons sur leur médiocrité, finalement assez semblable à tous les autres vendeurs de promesses dont l’expertise essentielle ne s’établit pas dans le marché où ils font office mais plutôt dans la maîtrise de la langue (de bois, bien sûr).
Ce qui est plus intéressant, ici, c’est le déni de réalité qui illustre assez bien le même déni qu’on observe aussi chez les politiciens alors que la France s’enfonce dans les problèmes et que la crise fait tout sauf passer.
Et ce déni passe par une phase de « Allons allons, vous voyez : les prix remontent, ou arrêtent de descendre, ou descendent moins vite – au choix – la crise est finie et nous allons observer un Atterrissage En Douceur« . Atterrissage en douceur tout à fait comparable à celui que ferait un A380 après un petit passage juste au-dessus de Eyjafjöll, le volcan péteur.
En effet, outre le ridicule de la proposition – jamais, sur aucun marché, n’a été constaté un tel atterrissage en douceur – elle arrive au moment où l’on constate, ailleurs, une baisse légère des prix dans l’alimentaire, et une baisse, plus sévère, des prix du baril. Oh, de la à y voir une solide déflation, il y a un gouffre que je franchirai pas.
Mais plusieurs signes pointent tout de même vers une inflation très faible, voire nulle.
Et là, on peut se poser quelques questions.
Il est en effet étrange de la part des réseaux d’agence de parier sur une hausse des prix de l’immobilier.
Économiquement tout d’abord, la démarche est curieuse alors que le monde subit la crise, que l’Europe n’en est pas sortie et que la situation en France ne s’améliore pas, loin s’en faut. Parier sur une hausse alors qu’au final, les gens vont avoir plutôt moins d’argent, moins d’emplois et moins de facilités de crédit, c’est couillu. Parier sur une hausse alors qu’en plus, on constate une baisse partout ailleurs, à l’exception notable des impôts fonciers – ce qui devrait là encore inciter les volontaires au propriétariat à réfléchir encore un peu -, que les taux remontent et que l’inflation ne veut pas décoller, ce n’est plus couillu, c’est carrément stupide.
Commercialement ensuite, quand on y réfléchit deux secondes, le raisonnement qui parie bruyamment sur la hausse, celui qui revient à souhaiter « la reprise du marché », c’est vouloir que les prix augmentent. Qui, à part ceux qui possèdent ou ceux qui touchent sur les transactions (les moins nombreux et les plus riches, donc) peut souhaiter sciemment que des prix montent ? Comment peut-on avoir une estimation fiable des tendances du marché quand ce sont ceux qui bénéficient en premier lieu d’une hausse qui procèdent, justement, à cette estimation ? Et dans les faits, les agents, au lieu de jouer sur une parfaite transparence qui serait très bénéfique pour leur profession à long terme ont choisi la petite bidouille ou les euphémismes pour cacher le repli.
J’allais écrire « hide the decline », mais je crains qu’on s’égarerait.
Historiquement enfin, comme je l’ai mentionné plus haut, le tunnel de Friggit semble bel et bien pointer vers une seule direction : la baisse (et sévère aussi) ; certes, le petit rebond a bel et bien été enregistré. Comme il l’a été aussi dans d’autres pays, qui ont ensuite subi une solide dégringolade.
Ceci me rappelle ce petit graphique, tout à fait à propos :
En fait, le raisonnement des agences est idiot, mais pas totalement illogique : les agents immobiliers ne vendent pas des appartements ou des maisons, ils vendent du rêve, le rêve maintes fois colporté, à tort, que l’immobilier est un placement solide (comme la pierre, hein), que l’on ne peut que s’enrichir avec, et qu’il est l’alpha et l’oméga de la classe moyenne. Eh bien non : l’immobilier est un achat comme un autre, une spéculation financière comme une autre, et il subit des aléas comme les autres biens. Il peut s’effondrer, monter, stagner.
Mais compte-tenu des bases d’économies catastrophiques reçues en France lors d’un parcours standard, le discours passe très bien, et les saillies à la « un loyer, c’est de l’argent jeté par les fenêtres » sont cautionnées de vigoureux hochement de tête, bien dans le mouvement général : beaucoup de mouvement, pas de réflexion.
Plus profondément d’ailleurs, le raisonnement des agents immobiliers montre aussi une tendance lourde de la société actuelle, que les politiques ont shooté massivement au keynésianisme : l’emprunt, c’est super génial, payer avec l’argent qu’on a économisé, c’est ringard. On retrouve le même raisonnement derrière l’absence de scrupules à vivre sur le dos des autres – m’en fiche j’y ai droit – , trouver tout étalonnage de la monnaie sur l’or profondément suranné – normal, voilà qui gênerait l’inflation et donc l’impôt indolore des états – etc…
Bref : adieu le bon sens, vivons d’amour, d’eau fraîche, d’emprunts et d’inflation.
Reconnaissons cependant aux réseaux une qualité indéniable : avec leurs prédictions, ils nous font bien rire.
Friggit nous montre que nous sommes entre le « bull trap » et le « return to normal », ça va saigner.
Friggit lui même reconnait qu’il ne prédit pas l’avenir, mais qu’il ne fait qu’étudier le passé.
Pour le moment, même si ca sent le bull trap à plein nez, rien ne nous permet d’en être sûr à 100%.
Car comme le dit H16 « les agents immobiliers ne vendent pas des appartements ou des maisons, ils vendent du rêve… », et là tout est dit car on est dans l’irrationnel.
Et n’oublions que les baissiers hurlent au krach depuis 2004, forcément, à un moment, ca va arriver ! 😉
Merci. À quand un article sur comment convaincre sa femme que ce n’est pas le moment d’acheter? (j’ai moi-même réussi ouf)
Je suis preneur aussi…
Je vais y réfléchir. Un article pour un dimanche, ça, peut-être…
Je suis preneur aussi, et surtout pas de trucs compliques!
Un bon moyen que j’ai trouve pour enfoncer le poncif du « loyer jete par la fenetre » c’est de calculer le montant des interets du pret, en general autour de 1.5-2 fois le prix du logement. Ensuite il suffit de convertir cela en annee de loyer pour un logement equivalent et je trouve selon les calculs entre 15 et 20 ans de loyer equivalents sur Sydney (bon c’est sans doute moins en France)
Ensuite il suffit de calculer combien on peut mettre de cote sur cette duree pour voir qu’au final il est bien plus sage d’attendre et ce meme si les prix stagnent ou augmentent moins de 5% par an.
Du temps, juste du temps,
Lorsque je recherchais une maison, je prenais le soin d’archiver les annonces (toutes confondues pour chaque bien (seloger, leboncoin, pap…) qui m’intéressaient dans des fichiers *.doc. Il me suffisait d’attendre quelques mois pour voir ces mêmes annonces avec des prix à la baisse.
J’ai constaté une baisse globale de 10% par an sur ma région (périphérie lyonnaise) ; même si les stocks de bien ont un peu baissé, cette baisse se vérifie encore.
Je recommande aussi pour ceux qui ne connaissent pas :
http://www.petitscailloux.com/
Par ailleurs, et puisque tu en parles, à quand un article sur l’étalon or ? J’apprécierais de bénéficier de quelques explications sur ce sujet peu clair.
Tout un article ? A la limite, les économistes autrichiens sont beaucoup mieux placés que moi pour en parler.
En deux mots, on peut noter que l’étalon-or a rapidement été décrié par tous les étatistes qui ont bien compris qu’il était très lié à la liberté économique.
Si l’or a si longtemps été un étalon monétaire, c’est parce qu’il remplit bien son office : durable, divisible, homogène, et surtout un objet de luxe puisque rare. Or, la demande pour les objets très rares de luxe est, par définition du luxe, illimité ce qui veut dire que l’or est, a priori dans ce qu’il représente, toujours demandé. (A noter, on pourrait avoir un étalon-platine). De plus, l’or a toujours été accepté internationalement, ce qui n’est pas une mince affaire de nos jours : des monnaies avec des pegs sur l’or serait donc échangeables sans risque de change, par exemple.
Ceci posé, on remarquera que jusqu’au début du XXè, les économies basées sur l’or n’ont pas eu de crises monétaires graves, que ces crises se sont résorbées très vite, et que les régulations bancaires étaient bien moindres qu’actuellement. Le lien entre ces éléments n’est pas fortuit : un système bancaire basé sur l’or ne peut pas se permettre n’importe quoi n’importe comment sans, à un moment ou un autre, rencontrer de graves difficultés. Là encore, l’expérience de l’histoire donne tout simplement raison à cette remarque. A contrario, on se rappellera par exemple l’injection massive de papier par la Fed en 27 qui a directement provoqué la crise de 29.
L’abandon de l’étalon-or, depuis ces années, a d’ailleurs introduit l’inflation (il n’y a qu’à voir celle des USA : les petites frasques de Nixon marquent une véritable explosion de la masse papier en circulation).
Pour plus de détail, se reporter à cet article, fort complet.
Merci bien 🙂
Ah ! Il n’y a pas que moi qui réclame plus de promotion sur l’école de Vienne 🙂
Remarque, tu ne mentionnes pas le rôle essentiel de l’Etat dans l’évolution actuelle du marché. S’il tient, c’est essentiellement car les prêts aidés ont été boostés, +50% pour le prêt paris logement à zéro pour cent par exemple, doublement du PTZ dans le neuf, etc. Pour ceux qui en bénéficient, il fait sens d’acheter, mais encore une fois, l’action étatique fout le merdier et maintient les prix hauts.
Oui, l’état est en réalité le grand gagnant de ces bulles : en obligeant les gens à devenir proprios, il les fixe et les tond plus facilement, et en fait, indirectement, un vivier de votants pour plus d’état (puisqu’il devient très difficile de bouger pour une famille, le bassin local a intérêt à conserver des emplois ; la pompe à subvention/ponctions/phynances est alors enclenchée en mode maximum).
Dès lors, on comprend mieux pourquoi d’un côté, sur le plan monétaire, il fait tout pour avoir un peu d’inflation et favoriser dangereusement l’accession à la propriété sur le dos de tous, et de l’autre, pourquoi il est directement responsable du bordel dans lequel on se dirige…
Bonjour Hash et merci pour vos articles toujours aussi roboratif surtout par les temps qui courent! Une petite question pourtant: pourquoi écrivez-vous « phynance » ainsi? Je ne vois pas à quoi ou qui vous faites allusion, pourriez-vous avoir éclairer ma lanterne? Merci par avance.
« en obligeant les gens à devenir proprios, il les fixe et les tond plus facilement »
N’est-ce pas là, en fait, la base même du clientélisme…
Merci pour les compliments 🙂
Pour « phynance », c’est pour moquer l’avidité de ceux qui en usent (l’état, ici). Ca vient d’Alfred Jarry, dans Père Ubu : http://fr.wiktionary.org/wiki/phynance
Pas mal du tout ce graphique 🙂
Je découvre ce blog via @SebMusset et le lien fait vers l’un de nos articles (merci d’ailleurs 😉 ). J’adore le ton et je fais le même constat. J’ai hâte de lire le prochain article sur « comment dissuader ma femme d’acheter ? »
Je partage ton analyse, mais pour info, il n’y a pas qu’en France que l’on est dans la phase de stagnation/ remontee legere, aux UK aussi et notamment a Londres les prix remontent legerement depuis quelques mois
Personnelement j’ai vendu mon appart et place l’argent depuis 1 an. En ce moment je loue patiemment (plus de soucis et de charges… c’est genial) et j’attends la chute avec une certaine avidite 😉
Oui, je confirme que l’analyse tient aussi pour d’autres marchés.
en même temps, ça fait hésiter à vendre sa maison, parce que dans une crise, c’est mieux d’avoir un toit, non?
Cela dépend de si la maison est payée ou non.
Car avoir un crédit à rembourser et perdre son emploi, ce n’est pas vraiment ce que j’appelle de la sécurité…
Sachant qu’être locataire offre par ailleurs bien d’autres avantages (par exemple, une bien meilleure mobilité).
Mais je pense que c’est un des trucs que les pros de l’immobilier font croire aux gens : acheter une maison, c’est avoir son « chez soi », avoir un toit, ne plus jeter l’argent par les fenêtres, etc.
En réalité, c’est bien souvent un mauvais calcul.
un toit, une riviere, et une canne a peche 🙂
Il faut bien aussi comprendre que les prix affichés sont souvent très majorés. La négociation est de plus en plus porteuse de réductions.
Paradoxalement en France, louer offre plus de securite qu’acheter avec un gros emprunt car si on ne paye plus son loyer, il peut se passer beaucoup de temps avant que l’on ne soit expulse (une fois un locataire indelicat m’a meme demande de le payer 20,000 euros pour qu’il accepte de partir tout en me devant 4 mois de loyer…)
Par contre si on ne rembourse pas son emprunt, il ne se passe pas longtemps avant que la maison ne soit saisie et generalement il ne nous reste pas grand chose sur la vente.
Mon père a eu un gars qui n’a pas payé pendant 5 ans! Insolvable, refusant tout appartement qu’on lui proposait. Il est parti sans rien payer… 600 euros par mois envolés, frais d’avocats, bref, louer des appartements en France, mieux vaut avoir deux trois gros bras si le locataire refuse de payer.
ouais mais bon faut les comprendre, les locataires sont exploités par ces ordures capitalistes de la droite bourgeoise néolibérale que sont les propriétaires nantis. Ne pas payer son loyer est un acte citoyen, un acte fondateur d’une société plus solidaire et gnagnagnagnagna. Je rigole même si c’est pas drôle du tout, je suis moi-même bailleur et pour l’instant je touche du bois…
« les locataires sont exploités par ces ordures capitalistes de la droite bourgeoise néolibérale que sont les propriétaires nantis. Ne pas payer son loyer est un acte citoyen, un acte fondateur d’une société plus solidaire »
+1 ! 😉
Voui, en plus, on paie surtout des interets les premières années ( et les frais de notaires qui atterrissent… dans les poches de l’état : imparable ! ), ce qui fait que toutes ces années là ne font pas partie de l’achat en « dur » ( je ne sais si je me fais bien comprendre )…
Voui, en plus, on paie surtout des interets les premières années ( et les frais de notaires qui atterrissent… dans les poches de l’état : imparable ! ), ce qui fait que toutes ces années là ne font pas partie de l’achat en « dur » ( je ne sais si je me fais bien comprendre )…
Friggit + la théorie du complot + ma-femme-qui-veut-son-appart.com = le cocktail explosif
Plus raisonnablement il n’y a pas UNE formule mais des pistes en fonction de chaque profil d’investisseur. Vouloir acheter pour un cadre en forte mobilité en mission est aussi stupide que de ne pas vouloir acheter pour un sédentaire ayant un emploi stable.
Quant à la courbe de FRIGGIT voilà ce que j’en pense:
http://immobileimmobulle.hautetfort.com/archive/2009/10/05/friggit-et-ses-disciples-continuent-de-parier-sur-l-apocalyp.html
Je note qu’en tout cas, ceux qui « ont parié sur l’apocalypse » en 2008 ne se sont pas trompés en bourse. Et qu’ils ne se sont pas trompés outre-atlantique sur l’immobilier. Et que s’ils le font maintenant sur la Grèce, ils ont de bonne chance d’emporter le pompon. Et que s’ils le font sur l’immobilier en France, vu la tronche générale des transactions, ils ont plus de chance de gagner que de perdre leur pari.
Il n’y a pas besoin de théorie du complot : les prix immobiliers sont bel et bien montés trop haut, ils redescendent et vont continuer à le faire, non parce que Friggit le veut ou parce ce qu’un complot contre les AI est en cours, mais simplement parce que les Français sont en train de s’appauvrir à grande vitesse, et que l’offre va devoir s’ajuster à la demande. Le marché immo était très peu fluide, ça demandera encore un ou deux ans…
les prix immobiliers, je dirai qui vivra verra, on peut estimer, des experts sont là pour ça mais au final on est sur de rien.
L’immobilier est bien un achat comme un autre, mais avec de bonnes bases, on peut détecter les bons produits.