Il faut à tout prix sauver la vérité et Asterix

Pendant que le président Sarkozy monte au créneau pour sauver les magouilles mafieuses des syndicats de SeaFrance, la presse bruisse de la catastrophe annoncée du laboratoire cinématographique LTC. Vite, il faut faire quelque chose, vite, n’importe quoi, mais quelque chose !

Le problème semble épineux.

Sur le papier, il semble que la plus grosse entreprise de post-production cinématographique française soit en carafe, ce qui provoque des affres abominables pour une trentaine de films, dans lesquels il manque les effets spéciaux, le montage, le son, que sais-je ; en conséquence des problèmes financiers de Quintas Industries, le groupe parent du laboratoire LTC actuellement en faillite, des œuvres majeures du cinéma français, comme La Vérité Si Je Mens 8 ou Astérix et Obélix 12 vont avoir du mal à trouver leur chemin vers les salles obscures et jeter ainsi le public français dans la géhenne et l’ennui.

En première analyse, et alors que les articles s’accumulent doucement sur le sujet, il semblerait que la post-production sera assurée malgré tout et que la plupart de ces monuments du 7ème art vont pouvoir débuter leur carrière commerciale dans les temps.

Mais comme le souligne l’un des articles liés, on peut s’interroger sur cette crise majeure que le cinéma français traverse avec le brio habituel des industries du pays dans les périodes difficiles : panique, chantages des salariés, des syndicats, petites magouilles et collusion plus ou moins ouverte avec le Ministère de la Culture, tout va y passer pour que le secteur finisse sa mutation dans la plus grande douleur festive possible.

Il est en effet étonnant que cette crise apparaît alors qu’officiellement, 2011 fut une année record en termes d’entrées dans les salles. Les succès auprès du public semblent en effet s’enchaîner avec des millions de spectateurs acceptant de claquer une soirée et plusieurs dizaines d’euros, assurant ainsi de juteux revenus à une filière qu’on croyait pourtant moribonde si l’on s’en tient aux discours catastrophistes et lacrymogènes des sociétés d’auteurs, de distributeurs, d’ayant-droits et autres ardents pourfendeurs de la méchante copie illégale ; on pourra même noter que plus les Français téléchargent, piratent et copient comme des gorets du film, du DVD et du Blu-Ray en se moquant ouvertement de la HADOPI, plus le nombre d’entrées en salle augmente.

Cinéma argentique : the end ?

Alors ? Quelle peut bien être la raison fondamentale de la déconfiture de LTC, laboratoire fondé en 1935, ce qui donne un certain recul pour juger de la pérennité d’une entreprise ?

Comme le dit l’adage, si l’erreur est humaine, pour une vraie catastrophe, il faut faire intervenir l’Etat. Et il ne faut pas chercher bien longtemps pour en trouver le groin dodu. On apprend en effet que depuis quelques années, le CNC, établissement public de patouillage cinématographique, s’est fixé pour mission de lancer le cinéma numérique en France. Et en 2010, le Centre a même accéléré la numérisation des salles de cinéma. On imagine ici sans problème les montagnes d’argent public claqué dans l’accompagnement à marche forcée d’une révolution qui aurait eu lieu de toute façon.

Seul, le CNC pouvait donc déjà provoquer une certaine pagaille. Mais grâce au Capitalisme De Connivence, ce capitalisme bien particulier qui individualise les profits mais socialise les pertes par de savants tuyaux entre des affairistes et des politiciens, on a transformé une nouvelle intervention de l’état dans un marché normalement sain en une énorme magouille juteuse pour le petit nombre et déplorable pour le reste.

Ainsi, à la suite de la faillite de LTC, les films qui étaient en cours de post-production seront repris par le concurrent direct, les laboratoires Eclair … et par un heureux et étrange hasard, l’actionnaire principal de LTC, Tarak Ben Ammar, ami connu et reconnu de Ben Ali, Berlusconi, et médaillé de la légion d’honneur par Chirac en son temps, est aussi actionnaire à 43% du concurrent. Beau personnage, beau capitalisme.

Au passage, on s’étonnera aussi du degré de concentration des laboratoires français (il n’y en avait que deux capables de traiter de grands nombres de copies avant la chute de LTC), ainsi que du peu d’acteurs capable de faire de la post-production industrielle de films, comme les effets spéciaux par exemple (Duran-Duboi, filiale de la société de Ben Ammar, carafe elle aussi).

Tout ceci ressemble assez furieusement à une autre déroute mémorable, celle du jeu vidéo en France où, par d’habiles coups de boutoirs subventions et autres plans de relances et interventions massives de l’Etat pour « sauver » le secteur, celui-ci n’est plus que l’ombre de lui-même. Et on peut même rapprocher l’actuelle survie sous perfusion du domaine cinématographique français de celui de la presse (au sujet duquel j’écrivais quelques mots vendredi), ou encore, si l’on veut remonter plus loin, aux secteurs miniers ou sidérurgiques français pendant les années 80 où le pouvoir en place aura absolument tout fait pour faire traîner l’agonie aussi longtemps que possible.

Et tout comme pour ces précédents secteurs où, pourtant, les avis des professionnels ne manquent pas (tenez, les salariés de LTC ont même un blog, fort instructif), le pouvoir en place s’est empressé de ne surtout pas tenir compte des remarques qui lui furent faites, ni des signes avant-coureurs pourtant clairs que des soucis s’accumulaient sur la production cinématographique française.

Tout comme dans ces autres secteurs, on retrouve les mêmes réflexes où certains réclament plus ou moins bruyamment que l’on ne cherche pas, ou plus, la rentabilité à tout prix, la volonté de ne surtout pas s’adapter au changement profond de paradigme sauf si c’est avec l’argent gratuit des autres (Subventions ! Subventions ! entend-on dans le fond), et bien évidemment des surcoûts de post-production faramineux par rapport à d’autres pays.

Et pour parfaire le tableau, la lecture des articles de presse permettent de renforcer l’impression de plus en plus forte de l’immense gâchis qui étreint le lecteur de bon sens devant cette catastrophe en mode ralenti : pas la moindre analyse ne semble surnager sur ce qui constitue la petite liste des geignements tristounets des dinosaures de l’argentique…

Comme je le dis souvent, ce pays est foutu. Mais il apparaît, à l’observation de ce genre d’événements épisodiques, qu’il est bien avant tout vieux, en ce qu’il est composé de gens qui fuient le changement, recherchent la protection contre les hasards et les difficultés de la vie au travers des bobards que seul l’Etat peut offrir de façon crédible grâce à son pouvoir de coercition.

Ce qui mine le pays, finalement, n’est pas tant le socialisme ou le collectivisme dont fait preuve une frange de la population. Ce qui mine le pays est cette peur panique du changement, cette terreur devant tout risque, cette incapacité à admettre sa propre faiblesse et à vouloir la surmonter : l’Etat a réussi à faire croire à tout le monde qu’il serait la main secourable qui nous sortirait de l’ornière alors qu’il n’est que cette main calleuse qui manie la pelle pour creuser le trou de notre cercueil.

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Commentaires23

  1. vincent

    A propos de Duran Duboi, je discutais il y a qqs années avec un employé de cette boite. Le système était le suivant: au lieu d’avoir des employés en CDI, il employait ses infographistes, modélisateurs 3D et tout le toutim sous le régime des intermittents du spectacle, et signait des contrats de montage film par film. Ainsi, entre deux films, un monteur émargeait à l’ANPE. Car c’est vrai, quoi: un graphiste est un homme de spectacle.

    Les salariés y trouvaient leur compte car l’employeur se démerdait pour que le total salaire+alloc soit compétitif. L’employeur, évidemment, économisait de nombreuses charges.

    Evidemment, l’Unedic est la couillonne dans l’affaire, c’est à dire tous les salariés qui cotisent à ce système ainsi dévoyé.

    L’employé avec qui j’en discutais trouvait ça normal. « l’Unedic ? Les contribuables ? Kestenanafout’ ? »

    CPEF

    1. Glam

      ah oui j’ai fait partie du club, mais bon maintenant je suis dans un autre pays avec un CDI.
      Les salaries n’y trouvaient pas tant que ca leur compte vu la faiblesse du salaire compare au meme travail ailleurs, dans les pays ou on ne confond pas les infographistes et les jongleurs de plage.
      L’impression diffuse que j’en ai eu c’est qu’en fRance il y a des secteurs qui sont guignolesques, pour les zenfants et les faibles d’esprit: la BD il y a longtemps, le cinema fantastique, et le jeux video (qui partage ses artistes avec la post-prod cine)…

  2. gnarf

    Aujourd’hui je regardais quelques petites emissions de TV5 sur l’artisanat.
    Le message rabache environ 3 fois par minute dans ces emissions est que le seul salut vient de la protection d’activites traditionnelles, que la modernite c’est la perte catastrophique de tout le sens de la vie, de toute les choses precieuses. En gros c’est on en fait plus des comme-ca, c’etait mieux avant, tout fout le camp.

    Mais pourtant, il fut bien un temps ou ces films, ces techniques, ces fromages etaient des nouveautes, des innovations. Il a fallu des gens pour changer leur facon de faire mois apres mois en utilisant les techniques de leur temps. Quand est-ce que ca a bascule? Quand est-ce que la fabrique France est devenue un musee?

    1. Glam

      quand les jeunes ont commence a adopter le discours des vieux.Je dirais les annees fin 90 debut 2000, non?

      1. gem

        C’est facile à dater : jusqu’au début des années 80, on acceptait encore d’achever les canards boiteux (sidérurgie, Tapie, …) et on lançait encore des activités neuves (quoique frileusement, ce qui donne le rigolo bibop — vous savez, le téléphone demi-portable, qui appelle mais ne peut pas être appeler – ou le contraire, je sais plus trop).

        Dans les anciens de 68, il y avait des bons et des mauvais. Les bons ont fait leur trous dans le privé et fait des choses biens. Les mauvais ont trouvé une niche dans l’état et, devenus quadra, ont pris le pouvoir en 81. La suite …

  3. Bruno

    Bonjour,

    Bravo pour vos articles ! Je ne suis pas toujours d’accord avec tout, mais cela change du discours idéologiquement consensuel que l’on nous sert dans les medias « mainstream ».

    Par contre, j’approuve totalement le dernier paragraphe. Aujourd’hui, Paris est un exemple frappant de la sclérose du système.

    Le problème est qu’aujourd’hui l’Etat et les collectivités territoriales n’ont plus les moyens de ce type de politique, qu’il va falloir arrêter de vivre à crédit et payer ses dettes.

    Bien cordialement,
    Bruno.

  4. kelevra

    comme nos villes musees, on restaure rehabilite des ruines moyennageuses, on interdit de construire du moderne l architecte des batiments de france veille. heureusement que nos ancetres etaient moins betes que nous, enfin certains parmis nous, nous vivrions encore dans des huttes en bouses de vaches.

    1. Bof. Si des gens se servent du SMIC pour vivre décemment à l’étranger, c’est mieux que de faire clochard ou voleur à Paris.
      Ma position est simple : pas d’aide étatique pour personne, jamais. Problème résolu.

      1. Calvin

        Mon bon monsieur H16, cela résout aussi un autre problème.
        De nombreux français considèrent que l’immigration est un problème car les étrangers « prennent » des allocations en tout genre. Pas d’aide étatique pour personne, jamais. Et il n’y a plus de problème avec l’immigration.

      2. flandrin

        Ben oui quoi, un type qui est soudainement paralysé par exemple, et ben c’est simple l’Etat ne l’aide pas : que devient-il ? Il crève la bouche ouverte ?

        1. Au fait, toi, là, flandrin, un type soudainement paralysé, tu le laisses crever la bouche ouverte ?

        2. Glam

          voyons H16, sans etat il n’existe pas d’aide d’aucune sorte, c’est bien connu.D’ailleurs les assurances, ca n’existe pas.

  5. Pascale

    La majorité des subventions empêchent la disparition de ce qui doit disparaître pour cause d’obsolescence. Elles protègent les agriculteurs qui produisent tel produit non concurrentiel, les libraires de quartier en concurrence avec les grandes surfaces, les fabricants de photovoltaïque qui n’arrivent pas à écouler leurs production, etc… Tout ce qui n’est pas rentable, donc tout ce qui devrait disparaître pour que le marché soit en équilibre est maintenu la tête hors de l’eau avec notre argent (gratuit). L’équilibre est rompu, l’économie est plombée et la croissance aussi, et les esprits sont moroses de se sentir bridés et mis à contribution financièrement pour se raccrocher au passé.

  6. NP

    J’ai trouvé la solution : je suis parti vivre au Canada. Au québec, plus précisément, où toutes ces choses insupportables que je lis sur la France n’existent pas. Et, oh la vache, ca fait du bien.

    1. flandrin

      Ce ne serait pas ce merveilleux pays où on avait envisagé d’instaurer une justice islamique communautaire ?

      1. Glam

        et ou ca n’est pas passe, mais ou il y a eu tout de meme debat au nom de la liberte de religion.
        un horrible pays ou les debats d’idee ont encore lieu, au detriment des combats de petites phrases…horrible pays ou les entreprises embauchent…berk!

  7. Avalyn

    Cet article a une forte résonance avec la crise que rencontre la télévision actuellement, du moins dans certains secteurs comme le documentaire ou le magazine, pour le reste, je suis moins informée… quoique sur le dernier Secret Story, Endemol n’a embauché que des gens en interne, chose complètement improbable les années précédentes.
    Bref, tout cela pour dire que grâce à l’intervention de Papa Sarkozy pour supprimer une plage de pub sur les chaînes du service public (avec un bonus capitalisme de connivence envers ses potes du secteur privé), elles ont désormais moins d’argent et ne peuvent investir autant dans des programmes qui coûtent toujours plus chers. Beaucoup de sociétés de production du secteur n’arrivent plus à faire de marge sur leurs programmes (alors qu’elles en faisaient avant, comme c’est bizarre !) et vivotent (et cela touche autant les petites sociétés que les grosses boîtes). Mais bon, faut pas toucher au service public, alors les gens vont continuer à payer une redevance hors-de-prix, tout ça pour un « service » amoindri (qui était déjà pas bien intéressant à la base).
    Toutefois la différence avec l’article, comme cela a été souligné, le cinéma n’est pas en crise, c’est simplement la fin du procédé argentique.

  8. justt

    Pourtant, on ne manque pas de talents. Regardez les génériques d’Holywood, sections effets spéciaux : plein de français.

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