Et une petite surveillance des téléphones pour faire bonne mesure

En janvier dernier, Dupond-Moretti faisait l’article de son projet de loi de programmation pour son ministère. Arrivé au mois de mai, le projet a été présenté au gouvernement et si ce dernier l’a accueilli avec un sourire quasi-libidineux, il en va de façon sensiblement différente du reste de la magistrature pourtant directement concernée…

Pourtant, cette « grande loi » aurait dû les séduire : probablement proposée par Dupond-Moretti afin de laisser, malgré tout, son nom quelque part dans un code et peut-être dans l’Histoire du pays, elle comprend une augmentation sensible du budget de la Justice, des embauches et pleins d’intéressants bonus pour ceux qui exercent au sein de la Justice française.

Le recrutement planifié de 10.000 fonctionnaires d’ici à 2027, ainsi que l’augmentation du budget à 11 milliards d’euros d’ici là, devraient donner du cœur à l’ouvrage pour nos magistrats, juges, huissiers et autres agents d’un ministère qui, avec le reste du régalien de toute façon, a depuis trop longtemps été l’un des parents pauvres de la distribution gratuite d’argent des autres.

Avec ce projet, on semble vouloir réparer cette « frugalité » jusqu’à présent forcée pour rouvrir les petits sprinklers à pognon public, en évoquant même à l’occasion l’idée de créer 15.000 places de prison supplémentaires, ce qui serait insuffisant mais constituerait sans doute un pas dans la bonne direction.

Cependant – rassurez vous – il n’en sera rien. La population carcérale française continuera d’augmenter bien plus vite que les murs pour la contraindre : d’une part, on commanditera de belles entreprises de BTP pour construire ces cellules, et la moitié (si tout va bien) sortira de terre, la facture restant inchangée – un classique du détournement de fonds publics décontracté. D’autre part, il est bien plus intéressant et bien moins coûteux de distribuer des peines de pacotille (des mois de prison sans cellule, du bracelet électronique sans contraintes réelles, etc.) que de construire des bâtiments qu’il faudra, ensuite, entretenir, et dans lesquels les détenus ne se montreront pas plus aimables qu’à l’extérieur. Autant ne pas trop se fouler et empocher discrètement la différence.

Comme dans d’autres domaines (on peut prendre l’exemple des hôpitaux ou des collectivités territoriales, par analogie), les embauches permettront assez vraisemblablement d’accroître le nombre d’inutiles et de petits pousse-papiers qui viendront vérifier avec componction que sont bien atteints tous les petits KPI mis en place par l’un ou l’autre cabinets de conseil, ou que l’assurance-qualité en matière de procédure judiciaire et de suivi des peines de prison répond en tous points aux normes ISO idoines, les cerfas se multipliant beaucoup plus vite que les cellules de prison disponibles dans ce pays.

Quant au budget, la marche inexorable de l’inflation ainsi que les emprunts d’État finement indexés par Bruno Le Rigolo de Bercy garantiront solidement que son augmentation passera au mieux inaperçue, et au pire peinera à conserver le niveau de service fourni.

Bref : comme à l’accoutumée avec ce gouvernement de paltoquets approximatifs, on comprend qu’il s’agit essentiellement d’effets d’annonces et du froufroutage de la robe du ministre en plein exercice oratoire.

Néanmoins, cette loi sera aussi l’occasion de légaliser une bonne petite pratique d’espionnage sur les téléphones portables qui, à elle seule, justifie bien le petit effort de pondre des douzaines d’articles pour camoufler cette nouveauté.

Oui, oui, vous avez bien lu : ce projet de loi comprend bel et bien « l’extension des techniques spéciales d’enquête pour permettre l’activation à distance des appareils connectés aux fins de géolocalisations et de captations de sons et d’images » et dès que ces articles furent découverts, ils n’ont pas manqué de susciter le débat.

Bien évidemment, pour la fine fleur du journalisme juridique de la macronie, imaginer que ceci revient à mettre en place un espionnage généralisé au travers des téléphones portables est une grosse exagération qui place ceux qui la font dans le camp douteux des complotistes à tendance droitière : tout ceci ne revient au final qu’à légaliser ce qui, jusqu’à présent, relevait de l’un de ces trous juridiques qui pullulent en République française et que les parlementaires au pouvoir s’emploient (avec abnégation bien sûr) à reboucher grâce à leur vaillante truelle législative.

Malgré tout, les magistrats et le Conseil de l’Ordre des avocats du barreau de Paris – dont on pourra charitablement admettre qu’ils sont probablement un peu plus au courant du dossier que la piétaille scribouillarde de BFMTV – émettent quelques doutes et semblent avoir quelques trucs à redire sur le principe général :

Cette possibilité nouvelle de l’activation à distance de tout appareil électronique dont le téléphone portable de toute personne qui se trouve en tout lieu constitue une atteinte particulièrement grave au respect de la vie privée qui ne saurait être justifiée par la protection de l’ordre public. En outre, le projet n’interdit pas, par leur collecte, l’écoute des conversations dans son cabinet, entre l’avocat et son client, même si leur transcription est prohibée. Il s’agit-là d’une atteinte inadmissible et contraire au secret professionnel et aux droits de la défense.

Ah, qu’ils sont bien pusillanimes, ces petits avocats du barreau de Paris !

Tout le monde sait que le pouvoir en place s’est lui-même mis des petits garde-fous solides qu’il ne dépassera pas ! Tout le monde sait que tout ceci sera bien encadré, bien limité aux stricts besoins d’enquêtes terroristes, et qu’il n’y aura jamais un usage un peu trop large voire que l’éthique réprouve de ce genre d’articles ! Et l’actualité montre que jamais le pouvoir n’abuse.

Bon, il est cependant exact que, si l’on s’en tient à ce qui s’est passé jusqu’à présent, force est de constater que d’un côté, les entraves à la liberté n’ont cessé de s’accumuler ces dernières décennies avec une accélération depuis le premier mandat de Macron (avec comme dernier exemple en date, l’interdiction préventive de manifestations sous motif de mauvais bord politique). Et de l’autre côté, n’a cessé de croître la liberté de l’État à multiplier les mesures invasives d’espionnage ou de surveillance de masse.

Ainsi, tant pendant l’épisode des Gilets jaunes que pendant les plus récentes manifestations contre la réforme des retraites, ces invasions de moins en moins subtiles se sont multipliées (avec un fichage illégal de gardés à vue par des parquets, des arrestations arbitraires, une législation antiterroriste appliquée contre des casseroles, des garde-à-vues instrumentalisées à des fins répressives, et bien sûr des mutilations). Dès lors, difficile de ne pas imaginer que cette loi, une fois promulguée, ne constituera pas une véritable autoroute de la macronie vers votre vie privée, sur n’importe quel motif.

Mais ne vous inquiétez pas : comme il y aura encore et toujours quelques imbéciles et autres niaiseux pour répéter « mais détendez-vous enfin, arrêtez de tout exagérer, on n’est pas en Corée du Nord ni en Chine, voyons ! », jouant sur une différence de degré (de plus en plus fine) et oubliant la similarité de nature de plus en plus grande, tout ceci passera sans problème.

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