La rupture et le Houla-Houla

Au fur et à mesure que les réformettes s’enchaînent, l’ensemble de l’appareil d’état me fait penser à ce petit oiseau, le Houla-Houla. Cet étrange animal est un volatile pourvu de petites ailes et d’une énorme paire de roubignoles, ce qui lui occasionne bien des tracas quand celui-ci vient à se poser sur des terrains caillouteux puisqu’il s’y écrase alors copieusement les gonades, d’où son nom. Et quand on regarde les agissements du gouvernement, force est de constater que les points de comparaison avec le Houla-Houla sont nombreux.

En effet, pour le moment, en fait de rupture franche et massive, Sarkozy nous propose une espèce de « mupture », rupture molle, où chacun s’ingénie à faire en sorte que les idées les plus subversives pour le système français, s’avérant en fait du simple bon sens partout ailleurs, se transforment, par utilisation forcenée de novlangue et de moraline en shoots massifs, en petits bricolages discrets dont l’impact est, au mieux, cosmétique, au pire assez contre-productif.

A l’instar du Houla-Houla, le gouvernement semble n’avoir que de toutes petites ailes, bien trop faibles pour parvenir à faire prendre son envol à une politique qu’on peine à percevoir comme différente des précédentes, tant le principe de précaution aura été employé sur chacune des idées de base. Idées de base, qui, là encore à l’image du Houla-Houla, se voulaient – si vous me passez l’expression – solidement burnées et qui auraient donc dû être présentées comme telles : après tout, le président a été élu justement sur cette idée qu’il fallait du changement, de la remise en question, … de la rupture.

Ce week-end aura été l’occasion de faire le point sur l’avancée de cette « rupture » dans deux ministères clefs de la République Populaire Démocratique de France. Il s’agit de celui de l’Education Nationale et celui de la Santé, deux ministères qui, en toute bonne logique, n’ont rien à faire dans le giron de l’état n’étant par définition régalien ni l’un, ni l’autre et qui représentent pourtant l’un la plupart des ressources de notre budget, et l’autre, au travers de la Sécurité Sociale, un véritable état dans l’état tant ses pouvoirs sont grands.

Songer à réformer ces systèmes, et le dire clairement, c’est faire preuve d’un volume testiculaire hors-norme pour un homme politique en France, et il faut reconnaître à l’actuel président qu’en avoir simplement parlé, et, d’autre part, avoir été jusqu’à demander à ses ministres de regarder ce qu’ils pouvaient faire, sans rire, mérite un coup de chapeau.

Cependant, au regard des actions entreprises à la suite de ce beau geste, le coup de chapeau s’arrête bien vite.

Ainsi, pour l’éducation, après un foirage mémorable de la réforme des universités dont le contenu s’est réduit à peau de chagrin pour ne plus se résumer qu’à de vagues dispositions administratives, notre sémillant ministre à l’entrain frétillant d’un représentant en aspirateurs s’est donc fait une joie de tripoter les horaires des élèves de primaire et de collège. Evidemment, il n’en aura pas fallu plus pour agiter la sphère médiatique. On pourra prendre par exemple cet article du Moôonde qui permet de se faire une idée de l’effervescence qui s’en est emparée :

La Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) a dénoncé une décision « aberrante » et « brutale ».
« Il n’y a pas eu d’évaluation d’impact pour les enfants. En plus, on va demander aux enseignants d’improviser pour accueillir les élèves en difficulté. On aboutit à un système où des enfants seront à 24 heures et d’autres à 26 heures », a déclaré à Reuters son président, Faride Hamana.
« Il y a eu 25 ans de débats sur le sujet et là en deux jours, c’est plié. On aurait quand même pu prendre une semaine pour en discuter », a-t-il ajouté.

On appréciera au passage la logique implacable de la Fédération en question : cela fait 25 ans qu’on tourne autour du pot, et, apparemment, une semaine de plus était nécessaire à la prise d’une décision. Se précipiter si près du but après un demi-siècle de ratiocinations, c’est vraiment ballot. Et puis, pensez donc, supprimer des heures de cours, c’est forcément aller à la catastrophe, puisque, chacun le comprend, plus il y en a, mieux c’est !

Or, cette terrible agitation qui semble mettre en péril les petits bigorneaux peureux de la FCPE ne représente au final qu’un petit tressautement dans un gobelet d’eau froide : compte tenu des résultats plus que médiocres de nos élèves de façon générale, ce ne sont pas quelques heures en moins qui y changeront grand chose, surtout quand on voit la disparité de ces performances, consternantes, avec celles, bien meilleures, de pays dont le contingent d’heures est encore bien inférieur.

Et c’est là qu’on voit que les ailes du Houla-Houla gouvernemental de l’Education sont toutes petites : ce que notre insipide VRP en tapis d’importation ne veut surtout pas dire, c’est qu’il vise à une amélioration qualitative de l’EdNat, en offrant, finalement, des performances par élèves meilleures pour un nombre d’heures plus faible. Oui, mais sortir un truc pareil, ce serait se faire couper les ailes, justement, et se prendre de facto le sol rocailleux de la réalité syndicale de l’EdNat en pleins glawis. Ce serait, suicidairement, demander une certaine productivité à l’institution, une obligation de résultats, en quelque sorte. Oh, mon Dieu, que ne faut-il pas lire ici ! Argh et tout ça.

Mais surtout, cette modification des horaires qui fait tant parler d’elle masque complètement l’absence totale de toute remise en cause des dogmes de l’EdNat concernant l’apprentissage : l’idée selon laquelle l’apprenant doit trouver dans les établissements de quoi l’éveiller et apprendre essentiellement par lui-même, l’idée selon laquelle le système de notation doit plus s’adapter à l’élève que le contraire, entraînant avec elle l’idée qu’une mauvaise note ne peut plus, ne doit plus représenter une sanction (voire ne doit plus exister du tout), que le diplôme est un dû ou que l’entrée en fac constitue un point de passage logique et normal de toute scolarité. Alors que notre ministre d’astreinte bidouille les horaires d’enseignement comme le mécano en chef tripote les myriades de boutons d’un panneau de contrôle plus haut et plus grand que lui, l’usine à tubulures multiple et klaxibules en fil de rotabidon continue à tourner, offrant par exemple dans la panoplie des armes en usage la méthode globale dont les effets radioactifs sont pourtant connus…

De l’autre côté, la frétillante Roselyne, qui, rappelons-le, pointe à la Santé (le ministère, pas la prison), est globalement dans la même position. Réformer le système collectiviste de santé, en France, relève de la gageure. A ce titre, en parler et l’envisager sérieusement demande donc, là encore, un courage hors norme. En revanche, lorsqu’on fait un bilan rapide des réformes engagées ou prévues pour ce même système de santé, badaboum, on s’écorche les parties sensibles sur le tarmac abrasif des immobilismes et forteresses conçues au fil des ans.

Ainsi, le pauvre Hirsch devra attendre avant la mise en place de son Bouclier Sanitaire, temps mis à profit pour ajouter la verrue abominable des franchises diverses et variées, toutes destinées à boucher les trous colossaux que les ponctions diverses, la CSG, la CRDS, les mesures d’économies et les actions anti-fraude n’ont pas réussi à combler.

Là encore, le syndrome Houla-Houla joue à plein régime. Tout le monde sait que ce système ne fonctionne plus et qu’il est voué à la faillite à plus ou moins court terme, pour au moins deux raisons principales …

Tout d’abord, par simple pression environnementale. De la même sorte que le Houla-Houla finira par disparaître puisque placé dans une niche écologique inconfortable, la sinistre SS française tombera d’elle-même comme un fruit mûr puisqu’elle n’a jamais été bâtie pour supporter la démographie vers laquelle se dirige la France. De plus en plus de personnes bénéficiant de soins plus ou moins coûteux, et de moins en moins de cotisants, tel est en effet le résultat d’un pays qui, quoi qu’on en dise, vieillit tranquillement et, offrant à chacun une espérance de vie de plus en plus longue, met aussi les jeunes (proportionnellement de moins en moins nombreux) à contribution de plus en plus forte, pour un nombre de plus en plus important de personnes agées.

Mais bien avant ça, de façon structurelle, la SS ne peut fonctionner pour la simple et bonne raison que le système collectiviste d’assurance, par opposition au système traditionnel, incite chaque cotisant à disposer du maximum possible de ressource pour la somme qu’il cotise ; comme les ressources mises à disposition ne sont en rien corrélées avec les ressources mises à contribution, les dépenses, par nature individuelles, sont maximisées pour chacun, alors que les contributions, par nature tout aussi individuelles, sont minimisées autant que faire se peut : les bénéficiaires de soins essaieront d’avoir toujours plus de soins pour toujours moins de cotisations payées.

Par construction donc, le système collectiviste ne peut fonctionner parce que, précisément, le free-rider existera toujours, chose qui n’est pas possible (ou, disons, très tempéré) dans le système d’assurance traditionnel. Notamment parce qu’il est pris en compte dans les calculs actuariels, calculs dont la Sécu serait très en peine de montrer qu’ils ont été réalisés pour le système actuel, ne serait-ce qu’une fois…

Une caractéristique du Houla-Houla est son nom : pour qu’on l’ait appelé comme ça, il fallait qu’il prenne son envol et qu’il désire se poser. Si, pour le moment, ce nom n’a pas été donné au gouvernement, c’est bien parce que justement, le Houla-Houla gouvernemental n’a pas encore pris son envol.

Trop grosses baloches, ou trop petites ailes ?

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Commentaires8

  1. chris

    Délicieux ! J’adore la "mupture".

    Va falloir vite déposer le nom de domaine : mupture.com ça le fait bien je trouve; 😉

    Vous avez oublié un exemple supplémentaire concernant La Boutin : son idée hallucinante… d’ajouter un étage supplémentaire aux constructions existantes pour résoudre… la crise du logement !

    Si, si, véridique.

    Et uniquement en France, of course.
    😉

    M’est avis que votre chemin de croix de blogger est loin, très loin d’arriver à destination.

    Au rythme ou ça va, cher H16, vous aller avoir du boulot pour mille ans.
    Au moins.

  2. Ash

    "Vous avez oublié un exemple supplémentaire concernant La Boutin : son idée hallucinante… d’ajouter un étage supplémentaire aux constructions existantes pour résoudre… la crise du logement !"

    E-NOR-ME !

  3. pod

    oui mais cher chris, je pense que ça lui plaît au h16 😉 peut être pas pour 1 000 ans, mais pour quelque temps encore, le temps que le cadavre collectiviste soit totalement momifié…

    Quant aux ailes ou aux valseuses, je doute tant des premières que des secondes : en guise d’ailes, je pencherai plutôt pour des pelles (histoire de creuser et de creuser encore); quant aux [bur_] (avec "_nes" à la fin), cela fait bien longtemps que ces organes ont disparu des palais, ministères et autres assemblées, (dont la nazionale) : regardez la moyenne des zozos et autres eunuques qui y traînent en faisant la roue (souvent déplumée) pour assurer les jetons de leur régime spécial !

  4. pod

    et merci pour ce rappel :

    "Il s’agit de celui de l’Education Nationale et celui de la Santé, deux ministères qui, en toute bonne logique, n’ont rien à faire dans le giron de l’état n’étant par définition régalien ni l’un, ni l’autre et qui représentent pourtant l’un la plupart des ressources de notre budget, et l’autre, au travers de la Sécurité Sociale, un véritable état dans l’état tant ses pouvoirs sont grands."

    On aurait pu l’oublier…

  5. twins

    Après la Fracture,
    de l’homme qui murmurait aux culs des veaux victimes de l’Enflure des Impôts aux salons de l’Agriculture…

    la Rupture,
    de l’homme sans stature qui promettait la suture de l’ hémorragie des pis de la vache a lait n’ etait que posture…

    hou la hou lala la dure facture…

  6. Oppossum

    Chris , il vous manque une dimension fantaisiste et de toute façon cela ne risque pas d’aller bien plus loin ou plus haut … Qui aurait crû qu’ Alphonse Allais inspirerait ces espiègleries enfantines qui flottent, sans ailes ni boules , portées par une naïveté aussi fraiche qu’illuminée ?

    Bon le Houla Houla c’est tordant . Un poil (du c..) négatif quand même , Hein ? On voudrait vous y voir (Bon d’accord … ) .
    Car : de toutes façons ! (vous me suivez : la décomposition est programmée . Il faudra donc aller beaucoup plus loin pour espérer un hypothétique sursaut !) .
    Ouais … 53% , c’est une trop petite carrure pour nos écuries …

  7. TiTus

    Je vous remercie pour l’hallucination que je viens d’avoir en lisant l’article sur Christine Boutin. Je savais cette femme barge mais là là… il n’y a même plus de mots…

    La droite est sensationnelle. Je crois que les socialistes doivent souvent se mordre les doigts. La droite leur fait une concurrence terrible et en plus, elle passe à l’acte. Raaah, il va falloir inventer encore plus loufoque alors!

    Sinon, très bon article comme d’habitude. ^^

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