L’impossible vainqueur

A la suite d’un premier tour des élections présidentielles particulièrement médiocre où tout, finalement, se sera passé – contre toute attente – comme sur des roulettes, je me retrouvais avec un stock conséquent de popcorn. Ne pouvant décemment me lancer dans l’exportation de ce stock sans risquer de déséquilibrer la balance du commerce extérieur, je me décidai à le conserver en attendant des jours plus fun où la mastication effrénée de maïs soufflé pourrait reprendre. J’ai bien fait : le débat entre les Bonnie & Clyde de la politique française m’aura permis de liquider le stock, même si, c’est vrai, cette émission s’est beaucoup plus rapprochée de la Guerre des Boutons que d’une joute rhétorique entre un Leibniz et un Newton.

Après deux heures et demi de rebondissements, de petites claques, de piques, de vol planés et d’ambiance électrique, le constat s’impose de lui-même : tout le monde attendait une bonne baston, et il faut admettre que les deux candidats se sont effectivement bigornés.

Autre constatation factuelle : on attendait un Clyde agressif, il fut plutôt calme. On attendait une Bonnie se plaçant dans le consensus ou la défense, on l’aura trouvé en attaque, sabre au clair. En revanche, pas de doute : papa et maman, s’ils se disputent le budget familial, n’en restent pas moins totalement certains qu’il faut absolument se mêler de la vie de leurs petits chérubins. Et ne l’oublions pas : Bonnie & Clyde ne font pas dans le petit travaille pépère, mais bien dans le détroussage.

La soirée aura donc consisté à observer l’intéressante prise de bec de deux époux dans un vieux couple qui se déchire la répartition des tâches dans leurs travaux quotidiens ; mais là où un couple d’épiciers traditionnels peuvent éventuellement se rouspéter l’un-l’autre l’accès au stock de chocolat, il s’agissait en fait ici de connaître la nature, le montant et le mode opératoire des crapuleries qu’ils voulaient mettre en place au sein de leur bande organisée.

Et pendant deux heures trente, on aura donc eu le loisir douteux de savoir de quelle façon on allait se faire dépouiller ; d’un côté, Bonnie se voit déjà augmentant tout le staff pour que chacun puisse raccompagner l’autre, en payant tout le monde par de nouvelles ponctions, de l’autre Clyde estime qu’en ne délestant quelqu’un que de la moitié de son pécule, on est déjà bien bon. D’un commun accord pour enfiler les droits opposables comme on ajouterai sur un collier des perles de cultures dérobées à la Marquise, nos deux statolovers s’entendaient comme larrons en foire pour se renvoyer la balle avec brio dès qu’il s’agissait de convenir d’une nouvelle façon de piller dans le sac des gogos (dont je suis) qui les regardaient.

Au cours du débat, une vérité semblait cependant faire jour.

Quelque soit le vainqueur réel du débat, si tant est qu’on puisse appeler vainqueur celui des deux bandits qui aura été le plus roublard, le vainqueur proclamé se devait d’être Bonnie.

Pour les journalistes et les commentateurs, le gagne-pain, c’est la vente de journaux et de commentaires. A l’approche d’un climax comme le second tour, il est nécessaire pour eux de créer ou d’entretenir une part de suspens, puisque c’est un des éléments principaux et moteurs de succès dans toute intrigue. Un bon match de boxe n’est pas celui où le favori met le challenger KO dès les premiers coups, mais bien un match qui dure et dont l’issue n’est pas certaine.

Evidemment, dans le cadre d’un match de boxe, ou d’un jeu de baballe, il ne peut subsister d’ambiguïté : à la fin du match, il ne doit en rester qu’un. Cependant, dans le cadre de la rhétorique, l’incroyable souplesse des mots, des expressions corporelles, des interprétations possibles permettent de conserver le bénéfice du doute. Ceci est d’autant plus vrai que nos deux protagonistes ont joué des partitions auxquelles on ne s’attendait pas.

En effet, plaçons-nous dans tous les cas de figure que le débat aurait pû proposer:

  • Si Clyde avait réduit Bonnie en cendres avec des arguments chocs, des phrases assassines et des prises de paroles sèches et péremptoires, il aurait été présenté comme perdant : tout le monde aurait commenté sur son incapacité à rester calme et posé. De façon générale, tout excitation visible, tout pêtage de plomb de la part du favori risquait clairement de le faire passer pour instable. Au pire, il passait pour le martyre de Bonnie. Au mieux, pour un incorrigible colérique.
  • Si l’ensemble du débat s’était déroulé dans un calme relatif avec des échanges courtois et millimétrés, le constant rappel aux sentiments gluants et le feu d’artifice de moraline que Bonnie nous aurait proposé lui aurait de fait accordé bien plus de crédit qu’une présentation froide d’un Clyde trop pondéré pour être honnête. Là encore, elle gagnait.
  • Enfin, si la perte de klaxibules et les explosions de boulons devaient faire partie de la panoplie de Bonnie, on présentera immédiatement cette péripétie comme une tactique claire pour montrer l’ampleur des épaules de Bonnie qui, ne l’oublions pas, vise à prendre possession du compte-joint du vieux couple.

En clair, tant par le désir de vendre du papier que par la conformation du débat lui-même, il était peu probable que, même après des saillies ahurissantes ou des comportements hors-normes, on ne présente pas Bonnie comme, si ce n’est gagnante, au moins « pas perdante » à l’issue du combat.

Mieux, l’issue relativement peu incertaine du scrutin dimanche accroit encore l’intérêt de placer Bonnie favorable dans la chicorée télévisuelle qui nous fut servie mercredi soir : si elle décroche la timbale, chacun s’accordera à dire que cette bonne pouillade aura finalement servi la Dame d’Aplomb. Si elle échoue, lui accorder ce débat comme victoire ne coûte rien et place celui qui donne ce commentaire dans une position favorable tant vis-à-vis du pouvoir que de son opposition.

Eh oui, force est de constater : même si des sondages permettent de faire planer le doute sur ce que la presse et les commentaires en disent, chacun admettra un match nul ou un relatif échec de Clyde.

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Commentaires4

  1. Arno

    Petite forme en ce moment! Ou sont les moments demaerd qui nous faisaient tant rire! D’un autre, vu la morosité ambiante, je comprends.

    Allez, allez! On se ressaisit. Une crêpe au sucre vous fera du bien mon cher H16.

  2. La société Demaerd, comme beaucoup de sociétés, attend avec anxiété le résultat des élections fraônçaises… Encore quelques jours, et le tunnel sera passé. Enfin, j’espère.

  3. pp

    > entre un Leibniz et un Newton.

    Tu ne pouvais pas trouver meilleure référence en matière de débat ! 😉

    Par contre ça n’a pas grand chose à voir avec la rhétorique. Ca a plutôt à voir avec des questions hautement métaphysiques. Mais passons …

    Le débat de la semaine dernière était un genre de débat Newton – Newton, où chacun des 2 veut faire croire qu’il est différent de l’autre ! 😉

    Ceci dit à un moment on a senti comme un "frémissement" de Bonnie lorsqu’elle a timidement évoqué l’importance du développement technologique. On se prend alors à espérer. Mais ce ne fut que de courte durée, elle retomba vite dans la mythologie anti-technologique du réchauffement climatique.

  4. @pp : oh, comparer les deux philosophes géniaux avec nos deux loulous présidentiables, c’était de toute façon un peu osé 😉 – Bonnie comme Clyde auraient dans ce débat vendu père, mère et théories pour assurer le succès…

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